Réveil difficile à la Plaine où il faudra vivre deux ans sans marché

Reportage
le 7 Sep 2018
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Dans quelques semaines, la rénovation de la plus grande place de Marseille va démarrer. Par la même occasion, le marché va complètement quitter le quartier pour au moins deux ans et les palissades vont s'installer. Un bouleversement pour ce quartier populaire.

Le marché de la Plaine avant les travaux. (Image LC)
Le marché de la Plaine avant les travaux. (Image LC)

Le marché de la Plaine avant les travaux. (Image LC)

L’ambiance n’est pas très joviale, ce jeudi matin au bar le Select. À quelques semaines des travaux – dont on estime à la Ville qu’il démarreront “courant octobre”– on digère difficilement la nouvelle confirmée mercredi : pendant les deux ans de chantier, il n’y aura aucun forain sur la place. Un revirement de situation qui fout le cafard à plus d’un des habitués de ce petit troquet. “C’est une bombe atomique cette décision, souffle Roger Doukhan, derrière le comptoir. Mes recettes principales toute l’année, ce sont les forains du marché. Les jours où il n’y a pas marché, je ne vends presque rien”.

Venu, comme tant d’autres chaque matin, saluer le patron et boire un rapide verre, Georges Burcev, forain, accuse le coup. “Être dispersés sur des petits marchés de quartier, c’est la mort des forains”, estime celui qui déballe son étal de prêt-à-porter sur le marché depuis plus de 20 ans. Ce vendredi, à l’appel de plusieurs représentants des forains de la Plaine, il se rendra au rassemblement prévu tôt le matin. Une opération escargot est envisagée. “Je vais manifester mais je ne sais pas bien pourquoi, pour être solidaire. C’est un peu tard, tout est signé. Deux ans de travaux, c’est long. Six mois, on aurait dit bon, ça va, mais là on ne sait pas où on va”. Il travaille déjà deux jours par semaine au Prado, et a fait la demande d’être déplacé, pour les autres jours, place de la Joliette, sans grand enthousiasme.

Le soldeur dénonce au passage une mauvaise gestion du marché par la municipalité qui aurait, à ses yeux, mené à des abus de la part d’une partie des forains et aggravé les tensions. “Ailleurs, si on laisse des déchets on prend une amende ou une interdiction de déballer. À la Plaine ils n’ont jamais rien fait pour sanctionner ceux qui ne respectent pas les règles. Ils n’arrivent pas à gérer une grosse structure comme ça”, pointe-t-il. Si l’adjointe aux emplacements, Marie-Louise Lota, annonçait en juin que le marché post-travaux serait plus encadré, lui craint de ne pas être retenu parmi les 190 forains sur 300 aujourd’hui qui auront le droit de revenir sur la place dans deux ans.

“Ça va être nuisible pour tout le monde”

L’absence de marché aura inévitablement un impact sur les affaires des commerces du pourtour de la place Jean-Jaurès. Dans un autre bar assez fréquenté en matinée, l’humeur est morose. “Au début, les travaux, on n’y croit pas, le temps passe, et puis l’échéance est là. Ça va être nuisible pour tout le monde et pour la vie du quartier, regrette la patronne qui ne souhaite pas être citée. Quand il y a le marché, c’est forcément un afflux de monde, je ne peux pas dire ce que ça représente, ça a toujours existé”. Depuis sa table une cliente lance “ça va être comme la rue de la République et la rue de Rome, les travaux vont faire fermer tout le monde et il n’y aura plus rien”. Une comparaison qui se retrouve dans presque toutes les discussions.

“On a juste été informés de quand on pourra installer la terrasse pendant les travaux [pour le phasage des travaux, voir document au bas de notre précédent article, Ndlr.], mais je ne sais rien de précis, reprend la patronne. Deux ans, c’est très long, on ne peut pas savoir si on tiendra ou pas”. En revanche, en dehors de la mobilisation des forains de vendredi, elle n’a pas eu vent de démarche collective de la part des commerçants pour faire valoir leurs intérêts. Au cours des derniers mois, les débats sur la rénovation ont divisé. Les fermetures administratives temporaires de plusieurs établissements ont aussi refroidi les esprits contestataires.

Stationnement et sécurité

D’autres commerces de la place dépendent un peu moins de l’activité du marché. Ahmed Ali tient une boutique de produits orientaux et s’inquiète principalement des places de stationnement pendant et après les travaux. “Il faut des places pour les livraisons et pour les clients, précise-t-il. Et je ne pense pas qu’ils ont pris en compte les commerçants de la place. J’ai l’impression qu’il n’y a pas eu de grande réflexion”. Situé côté Boulevard Chave, il n’aura, à terme, plus de circulation devant sa porte, mais a déjà repéré un espace où se garer pour les livraisons.

Dans la boutique de bandes dessinées voisine, “Lou bédéou”, la question du stationnement est aussi au cœur des interrogations. “Aux clients, je dis déjà de ne pas venir les jours de marché s’ils veulent trouver à se garer. Et pour les livraisons et les déchargements on doit déjà se mettre en double-file, alors avec les travaux, ça n’apportera rien de bon… et si après les travaux il ne reste que 65 places, ça me semble infaisable”, craint Valérie Bernin, propriétaire du magasin. Pour le reste, elle se veut philosophe “tant que les palissades ne me cachent pas la lumièreça ira”.

Beaucoup déplorent l’absence d’information précise, malgré l’arrivée en juin d’un médiateur à plein temps. Déjà repoussée, la date exacte de démarrage des travaux est inconnue de tous. Des commerçants interrogés, aucun n’a entendu parler des possibles dédommagements de la part de la municipalité pour les pertes pouvant être occasionnées par les travaux. “Les commerçants en règle et ayant payé leur redevance, pour leurs terrasses et leurs étals, seront détaxés pendant la période d’impact occasionnée”, indique pourtant le site de l’aménageur.

L’adjointe aux commerces, Solange Biaggi, n’avait toutefois pas fermé la porte à cette possibilité lors de la présentation du projet en juin dernier. “Pour les travaux de la rue Paradis, sur 80 boutiques, 17 ont reçu des indemnisations. À la Plaine, on va être à l’écoute”, promettait-elle. Mais ce sera aux commerçants de faire le premier pas.

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Commentaires

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  1. Maltsec Maltsec

    Merci à Lisa de rendre compte assez objectivement des opinions exprimés. Cela offre des perles : “bien sûr on était conscients des abus mais on ne nous disait rien”. Si les forains n’ont pas pris la mesure des dégâts c’est sans doute lié au laissé faire des services de la ville, c’est aussi la responsabilité de l’auto proclamée assemblée de la plaine qui a entretenu ses combats d’arrière-garde individualistes : parking toujours plus de voitures, un marché saturé qui bloque ce secteur de la ville, saccage la place trois fois par semaine, fantasme sur un esprit de bohème, mais c’est toujours la faute aux autres (la mairie!). La façade du bédéou ne fait pas honneur à ce commerçant, son entrepôt ouvert sur une belle place de Marseille. S’il n’a pas vu un commerce accueillant sur une place publique libre de bagnoles je peux lui en signaler. Quels commerces rendent cet espace agréable: les trois rades, le vendeur de cigarette électronique, bonjour la diversité? Une place est un espace public libre, apaisé, partagé ce n’est pas un parking, ni la salle de concert disponible pour le défoulement de certains. C’est le lieu ou apprendre à faire du vélo, donner rendez-vous aux amis, s’asseoir à l’ombre pour regarder les choses aller. ça doit servir à rien mais pour tout le monde.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      On ne peut pas dire plus… ah si j’ai croisé ma voisine ce matin…elle est assez contente même si les travaux vont provoquer des nuisances. Cette place était devenue un peu tout sauf un lieu de déambulation et de plaisir. Pour ce qui concerne l’Assemblée autoproclamée je ne vais pas en rajouter là non plus…ils ont prévu de s’enchaîner aux arbres non?

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  2. chabby chic chabby chic

    il ne faut pas mélanger les défauts certes qui s’accumulent au fil du temps sur cette place et le gagne pain de centaines de familles; l’un n’empeche pas l’autre…..on peut embellir, améliorer cet endroit central dans la ville de marseille, sans ruiner la vie de travailleurs…..

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    • Magnaval Magnaval

      CEux qui se sont ruiné la vie, ce sont justement ces “travailleurs”, en acceptant la baisse massive de qualité du marché depuis des années, en se comportant comme des gougnafiers dégoutants, en refusant la concetation et les propositions de la mairie pour le marché provisoire. Cette fermetre forcée permettra un écrémage indispensable.

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  3. mrmiolito mrmiolito

    Ces travaux vont pourrir et achever de tuer notre quartier alors qu’une simple rénovation (éclairage) et modification de gestion de l’espace, auraient pu convenir à tout un chacun. Le tout-puissant dieu BTP a encore une fois eu raison de tout.

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    • Magnaval Magnaval

      Encore un de ces libertaires de l’auto(mobile)-proclamée”Assemblée”…

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      C’est sûr qu’un parking géant à ciel ouvert et un marché forain qui laisse la place tel un dépotoir sont très agréables à vivre. Pour le coup le dieu BTP est plutôt bienvenu dans cette affaire.

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  4. Stephanie Vincent Stephanie Vincent

    Bonjour Lisa, l’article mentionne des fermeture administratives de plusieurs établissements ayant refroidi les esprits contestataires : est-il possible d’avoir des précisions? ces fermetures étaient-elles directement liées à l’engagement des commerçants contre le projet?

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Bonjour Stephanie, il y a eu plusieurs vagues de fermeture, notamment en 2016 (https://www.lanuitmagazine.com/nuit-ne-appartient-plus-vraiment/), concernant le Bar de la Plaine, le Molotov, et d’autres, mais aussi de plus récentes (on se souvient des tensions à l’Équitable café https://marsactu.fr/menace-de-fermeture-lequitable-cafe-evite-de-faire-trop-de-bruit/), pour le bar le 31 ou cette année pour le Baby club. Il y en a donc certains directement sur la place, d’autres plus loin dans le quartier, et moins concernés par le projet. Quand on échange avec eux, les patrons ne sont pas vraiment sereins et ne tiennent pas à se faire remarquer de la municipalité. Mais rare sont ceux qui vont jusqu’à tracer une connexion directe entre des paroles qu’ils ont pu tenir et leurs sanctions.

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  5. Maltsec Maltsec

    A Chabby. L’éclairage? et une ampoule 3w pour vous ouvrir les yeux? Cet espace public est accaparé par différents groupes : automobilistes, forains, sans considération pour les habitants et piétons usagers. Vous avez vu l’état de la chaussée, les réseaux sont fuyards, les voitures en double et triple files parce qu’on s’arrête au distributeur, la place impossible à traverser à pied parce qu’il y a un marché, le forain qui vous menace pour ne pas vous garer en bas de chez vous parce que lui, il bosse. Cette place n’a jamais eu vocation à être un dépotoir à bagnoles, les poubelles dégorgent. Quant aux commerces, il y a une règlementation sur les horaires de fermeture, le tapage nocturne, c’est pas cool ça!

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    • chabby chic chabby chic

      comme je le dis, il y a évidemment un ménage à faire et un embellissment,; je conteste juste les méthodes de la ville de marseille c’est tout; ce sont des menteurs ; je n’aime pas ça

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  6. gianmarco gianmarco

    D’un côté la mairie et ses magouilles :
    – laisser exprès les forains quitter le marché en abandonnant chaque fois des monceaux d’ordures aux quatre vents, pour pouvoir dire que la place est dégueulasse et qu’il faut “faire quelque chose”
    – avoir abandonné le jardin d’enfants aux ivrognes et aux tessons de bouteilles (super cadre pour les minots)
    – laisser les choses empirer pour justifier leur opération
    – pas de véritable concertation (il n’y en a jamais, c’est vrai)
    – et révélations sur le projet au compte-gouttes, avec à chaque fois des modifications sur le calendrier, le maintien partiel du marché puis finalement non, bref la mairie et la Soleam ont comme toujours pris les gens pour des cons

    Et d’un autre côté, des forains qui pour rendre leur opposition au projet mieux comprise par les habitants du quartier n’ont rien trouvé de mieux qu’un concert de klaxons assourdissants vendredi à 7 heures et quart du matin, sympa pour les bébés, les personnes âgées et tous ceux qui n’étaient pas encore levés : c’est là où on peut voir que c’est n’importe quoi: jamais de vrais syndicats n’auraient eu une idée aussi contre-productive

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  7. Maltsec Maltsec

    Idée de reportage : quel est le rôle d’un placier des marchés à Marseille? Est-ce lui qui décide de saturer un espace de marché (surface des emplacements, largeur des allées, présence des véhicules sur les contre-allées, maintien des accès pompiers)? est-ce là lui de rappeler à l’ordre ces clients(??) quand ils laissent un dépotoir (plastique qui vol, cintres plastiques, papiers et plastiques qui se rependent dans les rues adjacentes)? Question complémentaire quel est le rôle des 4 policiers municipaux qui a chaque marché accompagnent le placier?
    En fait qui devrait faire quoi? A part percevoir le prix des emplacements, le service des marché a quel rôle? Parce que les cantonniers eux on les voit bosser, mais parfois on pense que si des bennes de déchet (rêvons d’un tris des emballages) étaient à disposition des forains et d’usage plus que recommandé, les choses se passeraient mieux.
    Alors, cette idée d’enquête sur les marchés?

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Elle serait très intéressante, tout en sachant que placiers et PM sont très peu visibles sur le marché (à part au petit matin) et passent une bonne parti de leur temps à “taper la discute” avec les copains… On est à l’image de la gestion de cette ville, pas de “pression” hiérarchique, pas d’objectifs, pas de situations conflictuelles, pas de comptes à rendre…

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  8. Pierre Pierre

    > a noter que pendant ce temps certains du marché de la plaine se retrouvent à la joliette. le marché de la joliette laissait derrière lui un site raisonnablement propre, maintenant que ceux de la plaine sont là c’est le carnage derrière eux, cartons dans tous les sens, poubelles.
    Ce qui veut dire que l’état de la place de la Plaine était bien du à la négligence / je m’en foutisme des forains, puisqu’exportés ailleurs dans un endroit propre, ils ont tout de suite imprimé leur marque à base d’ordures.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      C’est important de le signaler pour les défenseurs de ce marché si convivial.

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