[Retour au Plan d’Aou] “Ce quartier était un bon laboratoire car la mairie s’en moquait”
Le Plan d'Aou fait partie des grandes cités du Nord de Marseille. Depuis près de 30 ans, elle fait l'objet d'une intense transformation pour réparer l'urbanisme brutal des années 60. Alors que les dernières opérations débutent cet été, Marsactu revient sur l'histoire de cette cité, prototype de la rénovation urbaine avant l'heure. Pour ce quatrième épisode, entretien avec Arnaud Villard, urbaniste qui accompagne le projet depuis 2007.
Arnaud Villard dans son bureau marseillais. (Photo: SH)
Architecte urbaniste basé à Marseille, Arnaud Villard débarque un peu par hasard au Plan d’Aou en 2007, deux ans après le vote du financement par l’Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU) du vaste programme de rénovation pour cette cité du 15e arrondissement. Le courant passe avec l’équipe en charge du projet et l’urbaniste rejoint rapidement la maîtrise d’œuvre urbaine. Leur objectif est classique : rompre l’isolement de la cité des années 1970 en faisant le lien avec le noyau villageois de Saint-Antoine, sous le plateau de Plan d’Aou. La méthode, elle, se veut plus novatrice : tenter d’aller plus vite que le processus de validation “très verrouillé” du renouvellement urbain. Arnaud Villard, nous reçoit dans les locaux de Conseil Urbain, son agence de conseil dans l’aménagement urbain, au centre de Marseille.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet de renouvellement du Plan d’Aou ?
Je suis rentré par la petite porte en 2007/2008, par un sujet technique. Pour faire simple, un problème de tuyaux pour pouvoir décaler une voie. Je me suis bien entendu avec l’équipe de maîtrise d’œuvre. On n’était pas du tout satisfait de la façon habituelle de faire de la rénovation urbaine avec des équipes très larges, un peu hors-sol. Assez rapidement, on a constitué une cellule très opérationnelle, aussi bien sur les aspects sociaux, le foncier et l’urbanisme en ce qui me concerne. Ce fonctionnement a l’avantage d’être très autonome et réactif avec une vision claire de la destination. Et puis on devient vite accro au Plan d’Aou. Il y a rapidement eu le sentiment qu’on n’était pas très loin de faire basculer le quartier du bon côté.
Le premier constat était le suivant : ici, la rénovation a duré plus longtemps que la vie normale, c’était déjà vrai en 2007. La grande majorité des logements étaient à reconstruire. La philosophie est la suivante : on a le noyau villageois de Saint-Antoine, le Plan d’Aou et le boulevard du commandant Thollon qui fait le lien. C’est ça qu’il faut renforcer sans cesse de manière à créer une transversale liant le plateau au village. Avec le pôle d’échange multimodal en bas, la médiathèque en haut et d’autres équipements, on construit une artère répondant à des besoins très larges. Concernant les nouveaux logements, le but est la dédensification horizontale, autrement dit, on réduit la hauteur. On échange aussi avec les habitants qui ont des demandes très concrètes, comme le terrain synthétique. C’est un équipement qui fonctionne bien aujourd’hui.
Quelle était votre stratégie avec les pouvoirs publics ?
Notre stratégie a toujours été d’occuper le terrain : faire des dessins, des projets sans attendre une validation. L’idée, c’était d’avoir un coup d’avance pour ne pas être figé en attendant la réponse. Par exemple, on voulait faire un grand parc entre le Plan d’Aou et la Bricarde. On a reçu un non catégorique des pouvoirs publics qui disaient que ça coutait trop cher. Alors, on s’est dit qu’on pourrait au moins en faire un bout. Plutôt que d’appeler ça un parc, on a appelé ça un belvédère et ça a marché. Il fallait toujours faire l’anguille. En parallèle, des opérations pas très heureuse comme les Terrasses de la Méditerranée (résidence fermée du 15e arrondissement) ont au moins eu le mérite de changer un peu l’attitude des élus qui ont compris que ces vieilles méthodes ne fonctionnaient pas.
Il y a aussi une question d’image, notre fonctionnement un peu expérimental nous a amené dans plusieurs conférences et même le forum mondial urbain de Medellín (Colombie). Ces enjeux d’images sont assez importants pour les politiques.
Ce fonctionnement est-il applicable sur d’autres projets ?
Le problème, c’est que le système des financements étatiques est très verrouillé et un peu techno. On parle beaucoup de la concertation entre décideurs et habitants, mais ce qui n’est pas encore assez exploité, c’est la concertation entre les décideurs. Ce que font très bien d’autres pays moins centralisés. Le projet va avoir sa vie, tout va changer, les prix risquent de changer, c’est difficile de le figer. Ce qui va garantir la bonne sortie, c’est de suivre des objectifs et avoir un processus de collaboration.
Plan d’Aou était un bon laboratoire car la mairie centrale s’en moquait un peu, la mairie de secteur aussi à part sur des sujets précis comme la médiathèque et le pôle d’échange multimodal. On avait donc la paix pour faire nos petites expérimentations. Au moment où j’arrive, la plupart des démolitions avaient été effectuées et les grandes lignes du projet avaient été fixées. C’était à nous de les bouger avec notre philosophie.
Le but est donc de faire dialoguer les quartiers entre eux. Comment l’urbanisme peut-il suggérer ça ?
On ne peut pas imposer les échanges, mais on peut les favoriser par les équipements, cela passe souvent par la place de l’enfant. Dans tous les plans, on a exigé qu’il n’y ait aucune construction en bout de rue. Si on met un bâtiment ou un mur, c’est sûr qu’il n’y aura jamais de porosité. Par contre, si on ne laisse rien, les gamins vont commencer à traverser pour jouer au foot et là, on commence à créer de la perméabilité. C’est pour ça que c’est intéressant d’avoir la médiathèque en haut, car ça incite les gamins d’en bas à monter. On peut donc arriver à le suggérer, mais après, on ne maîtrise évidemment pas ce qui se passe.
Vous l’avez dit, le Plan d’Aou a passé la majorité de son existence en restructuration. Pourquoi cela prend-il autant de temps ?
Il y a déjà eu la période de démolition. Toute la partie foncière était très complexe, car c’était un groupement de bailleurs, il fallait redéfinir qu’est-ce qui appartenait à qui, ça a pris des années. Mais le secret de la vitesse selon moi, c’est le portage politique. À partir du moment où une opération est portée politiquement, les financements suivent et ça avance. C’est la clé. Là, on n’a pas eu d’obstruction, mais pas de portage non plus.
C’est pour ça que c’est intéressant de toujours avoir un projet, toujours occuper le terrain avec une idée. Si ça ne marche pas, on en remet une autre sur la table et on essaie de convaincre. Les décideurs, assez facilement, se laissent entrainer dans cette dynamique là. C’est mon sentiment.
Beaucoup de projets consistent à rattraper l’urbanisme brutal et hors-sol des années 1970. Ce temps est-il révolu ?
Malheureusement, il y a des opérations assez récentes pour lesquelles je ne suis pas très optimiste. Notre cabinet a fait une expertise pour la mairie sur une opération proche de Félix Pyat (3e), c’est la logique du tableur Excel : il faut tant de rentabilité et si ça ne rentre pas, on rajoute des logements. Mais on ne construit pas une ville avec des tableurs Excel. Il faut investir ces quartiers au lieu de se dire que c’est le privé qui va gérer le truc. Il n’y a pas de mystère, l’aménagement ça coûte cher à la collectivité.
Malgré tout, on a quelques garde-fous avec l’objectif “zéro artificialisation nette” notamment. On ne pourra plus aller construire dans la pampa comme on l’a fait pendant des années. Alors qu’il faut dédensifier le centre-ville pour le verdir, les quartiers Nord vont être très intéressants. Quand on les regarde sur une carte, on s’aperçoit que ce n’est pas très dense. Mais d’un autre côté, il y a des équipements et un sol exploitable. On peut donc créer du lien entre ces quartiers. C’est très pragmatique. Où est-ce qu’on doit verdir ? Ou est-ce qu’on peut aller densifier sans artificialiser ? Ça donne un autre regard sur la ville.
Actualisation le 30 août 2024 à 17 h 05
Après publication, Arnaud Villard a souhaité apporter une précision quant au titre de l’article : “J’ai été ravi de participer à cette très bonne série d’articles sur Plan d’Aou. Je souhaite simplement pondérer le titre qui me semble caricatural au regard de l’investissement des personnes qui ont participé pendant plus de vingt ans à la rénovation de ce quartier que nous aimons. Je pense que l’absence d’enjeux politiciens a facilité le travail collectif et qu’en aucun cas les élus ne se moquent de Plan d’Aou.”
Commentaires
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URBANISME BRUTAL,?
Moi j appellerai cela plutot les saloperies de Gaston Defferre et ses sbires avec le soutien du PC curieux que dans ces histoires on ne parle pas de la savine, la bricarde, la solidarité, et autres le moins pire etait la Castellane quoique vu ce que c est devenu……..
AVEC LA COMPLICITE DE TOUS LES MORPIONS QUI EN ONT VECU
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