Rétentions arbitraires au Forum mondial de l'eau

"Jamais, les policiers n'ont su me dire pourquoi ils me retenaient ainsi", assène Thierry Saint-Paul. Ce lundi, il s'est vu refusé l'entrée au forum mondial de l'eau, au parc Chanot. Ce documentariste, par ailleurs directeur technique d'E-medias institut, l'école de journalisme numérique d'Aix-en-Provence, n'en revient toujours pas. Hier, peu de temps avant l'ouverture de l'événement par le premier ministre François Fillon, il se présente au guichet presse du forum, retire son accréditation et se fait alpaguer par un policier en civil. Contrôle d'identité, fouille du matériel, rien que du très classique pense Saint-Paul quand cent quarante délégations ministérielles sont annoncées.

Le tout dans une ambiance tendue : avant la cérémonie, des militants de la Fondation France Libertés (FFL), pourtant accrédités, se sont retrouvés "absorbés" dans un "happening" des Indignés, puis retenus pendant une heure et demie, "sans que l'on nous donne aucune raison, le temps que les officiels partent", témoigne Rodrigue Olavarria, chargé de mission à FFL.

Pour notre documentariste, le contrôle de routine s'éternise. A peu près au même moment, quatre autres personnes dont une envoyée du quotidien italien Il Manifesto (pour les italophones, la version complète ici) connaissent le même sort. L'un d'eux, Mathieu (*), raconte lui aussi la même histoire. "On s'est retrouvés tous les cinq alignés derrière une poubelle, en plein cagnard. On n'avait le droit de ne rien faire, on ne pouvait pas téléphoner, on n'avait pas le droit de boire ni de pisser."

Une heure plus tard, ces cinq personnes sont toujours retenues debout. En face d'eux, une dizaine de policiers en civil et quelques collègues en uniforme courtois mais muets. Accrochés à leur talkie-walkie, aucun ne sait justifier cette situation. Finalement l'un d'eux se lâche, énigmatique mais ironique : "On vous reproche d'avoir éventuellement projeté de peut-être essayer de mener une action sur le forum", aurait-il dit en substance.

Enfermés dans un fourgon

La drôle d'expérience ne s'arrête pas là. On leur annonce qu'ils ont "gagné un petit tour à l'Evêché pour être entendus". En panier à salade s'il-vous-plaît, c'est Alain Gardère qui régale. Les cinq se retrouvent enfermés dans les camionnettes sans que celles-ci ne démarrent. Seul un brin de lumière traverse l'étroit coffre. Certains invoquent leur claustrophobie pour faire ouvrir les portes. Finalement, deux heures après avoir été appréhendés, ils démarrent direction l'Evêché.

Arrivés à l'Hôtel de police, on les installe sur un banc tout en leur demandant "pour la septième ou la huitième fois [leurs] papiers d'identité", reprend Saint-Paul. Une demie-heure plus tard, les voilà enfin relâchés, toujours sans raison et sans jamais avoir été présentés à un officier de police judiciaire et signé de procès-verbal, comme le veut pourtant la loi. "Estimez-vous heureux de pouvoir rentrer", leur servira de formule de politesse. 

Ce mardi, les deux personnes dont nous avons pu recueillir le témoignage restaient très énervées et envisagent de porter plainte. Chacun a retenté sa chance ce mardi sans plus de succès, black-listés. "Ça m'a foutu le documentaire en l'air", râle Thierry Saint-Paul, qui projetait de porter un regard croisé sur le forum officiel et le forum alternatif. Au final, c'est bien ces contacts répétés voire pour certains leur proximité de point de vue avec le Fame, seul point commun déclaré entre les personnes arrêtées, qui semble avoir précipité sa perte. Martine Vassal, coordinatrice locale du Forum, le confirmait à demi-mot ce matin, tout en nous apprenant la vraie raison de ces rétentions :

Ils avaient des boules puantes ! Qu'est-ce que vous diriez si j'allais en mettre au Fame ?

Auparavant, l'adjointe au maire de Marseille s'était émue de cette pratique nauséabonde. "Vous y pensez ? Il y avait des enfants sur scène ! Ce ne sont pas des manières", s'indigne-t-elle. Sauf que nos témoins contestent et assurent que les enquêteurs n'ont retrouvé aucune bombe malodorante. Pour prévenir les débordements, les organisateurs avaient en amont "transmis les fichiers des accrédités à la préfecture de police", précise Jean-Marc Lacave, le directeur du FME. Sans s'en émouvoir particulièrement, tous deux renvoient la question des arrestations aux équipes d'Alain Gardère qui n'ont pour l'instant pas souhaité y répondre.

(*) Le prénom a été changé.