[Repas de familles] “L’anisette Cristal raconte un morceau de l’histoire de la Méditerranée”

Série
le 22 Juil 2022
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De l'apéro au café. Avec cette série d'été, Marsactu s'attache à cinq dynasties familiales qui font manger et boire Marseille. Premier épisode, l'apéritif avec la saga du Cristal Anis qui suit celle de la famille Limiñana. Elle démarre en Espagne, prend racine en Algérie à la fin du XIXe siècle avant de rallier Marseille. Une histoire de migration et de partage, au goût anisé.

Maristella Vasserot, directrice générale de la société Cristal Limiñana, fondée par son arrière-grand-père, Manuel, en Algérie en 1884. (Photo : Emilio Guzman)
Maristella Vasserot, directrice générale de la société Cristal Limiñana, fondée par son arrière-grand-père, Manuel, en Algérie en 1884. (Photo : Emilio Guzman)

Maristella Vasserot, directrice générale de la société Cristal Limiñana, fondée par son arrière-grand-père, Manuel, en Algérie en 1884. (Photo : Emilio Guzman)

“Poser une bouteille de Cristal Anis sur la table, c’est planter tout un décor.” Maristella Vasserot, quadragénaire aux yeux noirs et au débit de mitraillette, parle bien de cet apéritif anisé dont l’histoire se confond avec celle de sa famille. La boisson, “limpide et pure comme le cristal” comme le clame le slogan qui orne son étiquette originelle, a été créée par son arrière-grand-père, Manuel Limiñana, en 1884 à Alger.

“À la fin du XIXe, toute l’Europe et particulièrement l’Espagne traversaient une crise économique profonde. Comme beaucoup d’Espagnols, il est parti chercher fortune ailleurs. Il avait un cousin à Alger qui tenait un café. Alors avec son frère Pascual, tout juste adolescent, il a quitté Alicante en bateau”, rembobine celle qui est désormais directrice générale de l’entreprise familiale. Dans le bar du cousin, Manuel sert d’autres Espagnols qui ont franchi la Méditerranée. “Et comme tous les immigrés de la planète, que font-ils ?, interroge Maristella. Histoire de se rappeler leur terre natale, ils se rassemblent autour d’une table pour manger ou boire.”

Valeur patrimoniale

Autour de celle-ci, les clients réclament à Manuel de la paloma, une boisson anisée typique du Sud de l’Espagne qui, transparente dans sa bouteille, devient blanche comme une colombe au contact de l’eau : “Je ne sais pas trop comment mon arrière-grand-père s’est débrouillé mais il en a fait. Sans doute en s’approvisionnant dans les cargaisons des bateaux arrivant d’Asie et dont les soutes étaient chargées de badiane.” Depuis lors, le Cristal Anis – au goût franc et à la présence moins grasse en bouche que le pastis marseillais – trône sur moult tables. Une véritable institution de début de repas, en premier lieu pour les Pieds-Noirs et leurs descendants.

Les locaux de l’entreprise familiale Limiñana en Algérie au début du XXe siècle. (Reproduction : Emilio Guzman)

“L’anisette a évidemment un pouvoir identitaire, c’est comme un signe de reconnaissance. C’est un des rares objets physiques que les Pieds-Noirs ont ramené avec eux. Un objet qu’on peut continuer à produire et servir à l’identique”, poursuit la directrice. Pour sa mère, Noëlle Vasserot-Limiñana, qui a tenu les rênes de la fabrique avant elle et reste, à 82 ans, présidente de la société, le breuvage recèle “une valeur patrimoniale, comme chaque pays possède un plat ou une boisson emblématique”.

“Un verre d’anisette fait souvent remonter bien des choses. Et, aux gens qui ont bu du Cristal là-bas, cela évoque les temps de convivialité et de plaisir.”

Maristella Vasserot

Après Manuel père et Manuel fils, décédé en 1971, l’entreprise est restée dans la famille : la grand-mère, puis la tante et enfin la mère de Maristella, Noëlle, secondée par son époux Édouard, leur ont succédé. Avant l’arrivée de la quatrième génération en 2013. Maristella Vasserot a, elle-même, appréhendé au fil des années son histoire familiale à travers le moment-clef de l’apéritif. “Un verre d’anisette fait souvent remonter bien des choses. Et, aux gens qui ont bu du Cristal là-bas, cela évoque les temps de convivialité et de plaisir. C’est dans ces moments-là que tu te remémores, que tu échanges et que tu transmets”, prolonge-t-elle.

Dans le quartier de Saint-Jean-du-Désert, là où la société Limiñana produit ses alcools depuis son retour “en métropole” après l’indépendance algérienne en 1962, l’air se charge régulièrement d’effluves anisés. La boutique ouverte sur le boulevard Jeanne-D’Arc (5e arrondissement), dans un immeuble contigu aux locaux de l’usine, aligne sur ses étagères les bouteilles de sa production. Un client entre dans le magasin et repart avec une bouteille de Cristal et sa jumelle version kascher dûment certifiée par le rabbin de Strasbourg, “pour un ami”.

Une étoile, un croissant, deux drapeaux

Au gré des décennies, et notamment sous l’impulsion de Maristella, l’entreprise a diversifié sa production, en relançant par exemple un rhum produit à Marseille jusqu’au début des années 70. Mais en ces lieux d’où sortent un million de bouteilles par an, la star incontournable, c’est le Cristal Anis, avec son étiquette orangée dont le design n’a quasiment pas évolué depuis la fin du XIXe. S’y mêlent alors un croissant, une étoile à cinq branches, le slogan de la marque en français et en arabe, les trois couleurs du drapeau français comme le rouge et l’or de l’étendard espagnol… “Mon grand-père a tenu mettre en avant les différentes communautés. Cette étiquette est un symbole de partage. Une façon de dire que s’il y avait parfois des heurts entre les uns et les autres, nous vivions bien tous ensemble”, se remémore Noëlle Vasserot-Limiñana, petite-fille de Manuel.

Maristella Vasserot dans la boutique Cristal Limiñana, boulevard Jeanne-D’Arc. (Photo Emilio Guzman)

Aujourd’hui l’apéritif anisé, dans sa version alcoolisée ou non, ne parle plus seulement à la communauté des rapatriés d’Algérie, mais embrasse un public plus large. Il sirote – avec modération – son anisette dans les règles de l’art. La façon de la servir peut toutefois varier :“Il y a des adeptes de l’eau fraîche, sans glaçons. Mais si on en met, on ne s’amuse pas à les mettre avant l’anisette. Parce que ça fait pailleter l’anis. C’est à ça qu’on reconnaît que c’est une boisson du Sud !”, prévient la nouvelle directrice. Tant qu’à faire, autant assortir son anis d’une kemia parfaite. “Au minimum du minimum, il faut des olives !”, rit Maristella. Elle y ajoute volontiers des poivrons grillés à l’huile d’olive et à l’ail, une petite salade de pois chiches au cumin et une généreuse tortilla à la pomme de terre.

Migrations entrecroisées

Ce menu qui fleure bon la Méditerranée voit s’entrecroiser plusieurs migrations. “Lorsque je fais visiter notre usine, je me sers de l’histoire de ma famille et de nos produits : en fait l’anisette Cristal raconte un morceau de l’histoire de la Méditerranée.” Comme ses cousins disséminés sur tout le pourtour méditerranéen – arak au Liban, raki en Turquie, paloma en Espagne, ouzo en Grèce, sambuca en Italie – l’apéritif offre un voyage par procuration.

Ce périple converge naturellement vers Marseille. Maristella Vasserot conclut : “Notre catalogue est bâti sur notre identité méditerranéenne. Et si ça marche si bien ici, c’est pour cette raison : parce qu’il rassemble ces codes communs dans lesquels tous les Méditerranéens se reconnaissent.” Qu’ils soient nés sur l’une ou l’autre rive de la Méditerranée.

Boutique Cristal Limiñana, 99 Bd Jeanne d’Arc, 13005 Marseille. 04 91 47 66 72

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Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Joli article sur un des éléments de ce patrimoine méditerranéen. Et on retrouve dans le discours les contradictions de la mémoire pied-noir. Après le juste (et rare) rappel que les ancêtres pieds-noirs étaient des immigrés comme tous les immigrés du monde (presque : parce qu’européen, on arrivait pauvre… mais membre de la minorité dominante), le mythe nostalgérien “Une façon de dire que s’il y avait parfois des heurts entre les uns et les autres, nous vivions bien tous ensemble”. Ben voyons.

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