Dans les squats du parc Kallisté, des demandeurs d’asile que l’État devrait loger

Reportage
le 7 Fév 2018
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Marseille Habitat assigne 78 occupants du bâtiment H pour occupation illicite, ce jeudi. Or, la plupart de ceux qui vivent encore dans cet immeuble vétuste (15e) sont des demandeurs d'asile. Et à ce titre, ils devraient être hébergés par l'État.

Le bâtiment H du parc Kallisté, le 6 février.
Le bâtiment H du parc Kallisté, le 6 février.

Le bâtiment H du parc Kallisté, le 6 février.

Dans la petite pluie fine entêtante, une file d’hommes avance vers le bâtiment H du parc Kallisté. La plupart ont pris le bus 97 qui assure la liaison permanente entre le centre-ville et ce quartier jusqu’ici oublié de Notre-dame-Limite (15e). Les bras chargés de bouteilles d’eau et de courses, ils se dispersent d’une entrée à l’autre. Depuis notre dernière visite [lire notre article] le lieu a encore franchi une étape dans la décrépitude. Les volets pendent, arrachés. Certains appartements n’ont plus ni porte, ni fenêtres, mais continuent d’être habités tant que certaines pièces peuvent être closes.

Locataire, coincée là avec son mari et ses deux enfants, Kheira a été relogée à quelques mètres à peine dans un autre bâtiment du parc mais elle continue de remonter la petite pente en cul-de-sac qui mène au H. “J’ai laissé encore beaucoup de mes affaires que je déménage au fur et à mesure”, explique-t-elle. Kheira fait partie des “occupants titrés” à qui Marseille Habitat, le propriétaire du bâtiment, a proposé une solution de relogement dans le cadre de l’arrêté d’évacuation pris par le maire de Marseille (lire notre article). Une fois les “titrés” tirés d’affaire, il reste “les occupants sans droit ni titre” pour reprendre les expressions officielles. Ceux-là même qui empruntent les escaliers sans lumière après un timide bonjour.

“Beaucoup sont partis”

“Il y en a beaucoup qui sont déjà partis, constate Kheira, appuyée dans ses dires par un de ses anciens voisins qui lui n’a pas déménagé. Ils devaient être au moins 400 en décembre. Maintenant ils sont une centaine à peine”. Personne n’en a fait un décompte exact. Le seul inventaire officiel est celui opéré par un huissier mandaté par le propriétaire. C’est sur la base de cette liste, que cet huissier a distribué des assignations au tribunal d’instance pour occupation illicite d’un bâtiment dont les parties communes présentent un risque de péril imminent. Ils sont donc 78 à tenir en main les 50 pages d’assignation qui leur valent un rendez-vous au tribunal, jeudi 8 février.

La Ville y voit un moyen de forcer l’État à apporter le concours de la force publique pour définitivement évacuer le bâtiment. “Nous avons fait tout ce qui nous était demandé pour mettre fin à la situation que connaissaient les occupants de cette immeuble, explique Arlette Fructus, adjointe au logement à la Ville et présidente de Marseille Habitat. Mais nous attendons toujours le concours de la force publique pour permettre l’évacuation. Un titre exécutoire du tribunal pourrait enfin décider l’État à apporter son concours. C’est de sa responsabilité”.

Bureau roulant du réseau hospitalité

Une dizaine de ces réfugiés se pressent près de la voiture de Françoise Rocheteau et Jean-Pierre Cavalié. Depuis une semaine, les deux militants du réseau Hospitalité tiennent un bureau mobile au pied du bâtiment H. Dans les étages, les questions roulent sans cesse sur ce rendez-vous au tribunal, “on trial court” pour les anglophones. Et ils sont encore nombreux à vivre là malgré l’électricité aux branchements erratiques et l’eau coupée, en attendant que tombe le couperet de l’expulsion.

Autour du bureau à quatre roues, ils tiennent en plus de leur épaisse assignation, la liasse de documents qui certifient de leur statut de demandeur d’asile. Les hommes et quelques femmes qui sont là racontent tous la même histoire ou presque. Celle d’Alex, croisé quelques instants plus tôt dans la cage d’escalier du H 39 : “Je viens du Cameroun que j’ai dû fuir pour éviter de mourir. Je suis arrivé ici via la Libye puis l’Italie. Là-bas, on a pris mes empreintes sans jamais me dire que cela entraînait une demande d’asile. C’est en arrivant en France que je l’ai faite. La procédure n’est pas terminée. J’attends encore une décision concernant ma demande”.

Tous demandeurs d’asile

Comme beaucoup de Nigérians, Gambiens, Camerounais ou Ivoiriens présents, Alex est ce qu’on appelle un “dubliné”. La convention de Dublin lui impose de retourner dans le pays d’entrée en Europe pour y effectuer sa demande d’asile. Mais en attendant l’issue de ses recours en France, l’État lui doit protection et hébergement. “Au début, comme tout le monde j’appelais le 115. Mais s’il y avait une solution d’hébergement, cela ne durait pas plus que quelques jours. Nous dormions à la gare et on nous a parlé de Kallisté. Cela fait deux mois que je suis là”.

Là encore, l’histoire se répète : le bus 97, les jeunes gens qui ouvrent l’appartement contre une somme d’argent, bailleurs sans droit, ni titre. “On s’est alors aperçu que l’appartement n’appartenait à personne et qu’il n’y avait pas lieu de payer un loyer.” Alex connaît ses droits et sait que l’État a obligation de lui trouver un logement, “mais la vérité est qu’il n’y en a pas”.

 “We must fight for our rights”

Sur le parking, un débat s’engage. Faut-il faire confiance ? Quelle attitude adopter face au tribunal ? “Moi, je suis prêt à venir avec tous mes bagages, argue un jeune homme au ton assuré. L’État doit me proposer une solution d’hébergement. Mais j’ai tout fait : logement social, Dalo [Procédure de droit au logement opposable, ndlr], 115… J’ai jamais rien eu. Il n’y a pas de solution pour nous. Nous ne sommes pas là pour le plaisir. Personne ne viendrait vivre là si on avait le choix. Avoir un toit, c’est le minimum, si tu veux ensuite avoir l’esprit clair pour poursuivre tes démarches”.

Diallo Diarrough est écouté avec respect. Lui est reconnu comme réfugié. À ce titre, il devrait avoir accès à une solution d’hébergement pérenne. La seule qu’il ait trouvée, c’est le parc Kallisté. “We must fight fort our rights”, résume un de ceux qui l’écoutent attentivement. Jean-Pierre Cavalié intervient : “Vous aurez le temps de vous exprimer avant l’audience mais nous ne devons pas prendre le risque que vous soyez expulsés du tribunal. Le mieux est de désigner un petit nombre d’entre vous qui témoigneront pour les autres.”

Un porte-parole pour les francophones, un autre pour les anglophones

Diallo traduit. Les autres acquiescent. Ils confient leurs liasses aux deux militants qui les prennent en photo. Ils doivent remplir des demandes d’aide juridictionnelle pour que l’avocate Chantal Bourglan défendent leurs droits à avoir un toit alors que l’État est défaillant pour ce faire. Diallo interpelle un jeune homme à la barbe taillée et à aux bijoux dorés. Il lui indique en anglais qu’il représentera “les Nigérians”. Aziz est d’accord.

Le jeune homme dit être arrivé il y a trois mois seulement à Kallisté, guère plus de jours en France, via l’Italie. Il parle un français à peine teinté d’accent. “Nous sommes venus vivre ici parce que nous n’avions nulle part où aller, expose-t-il. Si on nous expulse, nous irons vivre à la gare mais c’est difficile d’y vivre plus de trois jours. Alors, nous serons de retour ici. Ce qu’on veut, c’est rester. Et s’il y en a certains qui font des bagarres, nous sommes prêts à les calmer pour éviter les ennuis.”

Le tribunal peut reconnaître leur situation de nécessité et la responsabilité de l’État mais l’arrêté de péril imminent concernant les parties communes rend toute poursuite de l’occupation difficile. “Mais que ferons-nous ? C’est l’hiver”, s’interrogeait Alex quelques instants plus tôt en rentrant dans son logis précaire. L’interrogation résonne dans l’escalier obscur.

Du côté de la préfecture, on affirme désormais que toutes les conditions sont réunies “pour que nous donnions une suite favorable à la demande de concours de la force publique”. Cela dépend désormais “des disponibilités opérationnelles” des forces de police. Les personnes évacuées seront ensuite hébergées dans un gymnase le temps d’un diagnostic social. Quant aux solutions plus pérennes d’hébergement, elles seront proposées au cas par cas.

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