Raymond Vidil, un patron à la barre de MP2018

Portrait
le 14 Fév 2018
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Ce mercredi 14 février démarre MP2018, nouvelle saison culturelle est pensée dans le lointain sillage de la capitale européenne de la culture de 2013. Derrière ce pari ambitieux, Raymond Vidil, armateur marseillais, et allégorie d'un mariage renouvelé entre la culture et le monde économique.

Raymond Vidil lors de la présentation de MP2018, en septembre 2017. (LC)
Raymond Vidil lors de la présentation de MP2018, en septembre 2017. (LC)

Raymond Vidil lors de la présentation de MP2018, en septembre 2017. (LC)

Un chef d’entreprise à la tête d’une grande opération culturelle. Raymond Vidil, patron des sociétés Marfret et Marseille Fret, dont les chiffres d’affaires cumulés avoisinent les 200 millions d’euros, est le visage de MP2018. Le président de l’association n’apprécie cependant pas d’être ainsi mis en avant, et pousse volontiers dans la lumière les membres du comité artistique, les Macha Makaïeff, Dominique Bluzet et autres Bernard Foccroule, qui ont monté la programmation de cette saison culturelle, revival en version réduite de la capitale européenne de la culture. Lui explique avoir repris le flambeau, “parce qu’ici, quand vous posez plusieurs fois la question, y a toujours quelqu’un qui se retourne et qui vous dit “eh beh t’as qu’à t’en occuper !”. 

Du point de vue du monde artistique, voir un patron à la tête d’une opération culturelle fait évidemment grincer des dents. “C’est comme pour 2013, tout ça est une histoire d’économie qui cache son ambition, l’artistique, le culturel, sont là pour amener du monde, on parle de consommation. Et les politiques ne prennent pas en charge ce qui relève de leur devoir”, déplore Catherine Lecoq, représentante CGT spectacles, sans préjuger de l’individu en particulier. En s’adossant, pour plus de la moitié de son budget, au mécénat et au monde économique, MP 2018 réitère en effet une formule où la création se trouve étroitement liée à la question de l’attractivité du territoire. Raymond Vidil, visage de cet attelage, défend avec vigueur, à chacune de ses interventions, l’indépendance totale laissée au comité artistique.

Là où ses confrères patrons, et même politiques, ne voient pas toujours l’intérêt à investir dans la culture, lui s’en fait un devoir, et n’y voit que des avantages : “Ça sert l’économie. Tout ce qui réduit l’ignorance, réduit la violence, et réveille la créativité”. C’est le credo qu’il avance quand on évoque l’instrumentalisation de la culture au service du territoire.

Lorsqu’après 2013, la volonté de la part du monde artistique de voir une suite émerge, les idées sont là, mais peinent à prendre forme. “Et malheureusement, le monde politique est loin de nous avoir suivis”, se souvient Jacques Pfister, président de MP2013 et de la chambre de commerce Marseille-Provence à l’époque. C’est au tournant de 2016 que Raymond Vidil a donc pris la tête des opérations. “Il y est allé alors qu’il n’y avait que des coups à prendre”, salue Bertrand Collette, ancien chargé de mission au sein de MP2013.

“C’est ici qu’on a fait les premières réunions, c’est ici qu’on a mis au point notre façon de travailler”, se souvient, Hugues Kieffer, directeur de la programmation du festival Jazz des cinq continents, et membre du comité artistique de MP2018 que nous rencontrons en même temps que l’armateur dans les bureaux de Marfret, quai de la Joliette, face au large. “C’est une personne très attachée à la culture, mais avec un regard entrepreunarial, il nous oblige à faire un pas de côté, mais c’est un dialogue très fécond”, esquisse Hugues Kieffer. En clair : lui a trouvé les fonds, dialogué avec les collectivités, mis sur pied la structure, tandis que le comité artistique construisait la programmation.

Armateur amateur d’art

Né en 1952, Raymond Vidil a démarré sa carrière maritime à 25 ans, en rejoignant la compagnie familiale, Marseille Fret. Dans ses jeunes années, il raconte avoir “beaucoup navigué”. À la fin des années 80, il fonde sa propre compagnie en tant qu’armateur, Marfret. Un peu plus de 20 ans plus tard, il prend aussi la tête de l’entreprise fondée par son père, articulant ainsi transports, propriété et armements de navires. Dans ses bureaux au décor inspiré des navires d’antan, avec boiseries, hublots et outils mystérieux mais évocateurs pour le profane, les maquettes de bateaux qui ont fait l’histoire de la compagnie familiale sont exposées, notamment le Douce France, premier d’entre tous.

De cette vie faite de traversées, de voyages, de rencontres et de négociations, Raymond Vidil assure tirer son goût pour la culture, les cultures.“Protis n’est pas arrivé à la nage !”, lance-t-il pour défendre ce lien à ses yeux naturel entre navires et culture, avant de proclamer quelques instants après : “c’est la Méditerranée qui a inventé la beauté”. S’il est assurément un habile orateur et un “stratège” – comme le souligne Jacques Pfister qui voit en lui “un grand frère” – le patron amateur d’art à la voix très calme et aux yeux clairs prend facilement des accents philosophiques voire carrément poétiques.

Il déplore ainsi que l’on puisse “définir Marseille sans sa rade”. “Le territoire a cette orientation. La rade était lisse hier, elle est aujourd’hui blanche d’écume soulevée par le vent. L’effet de lumière vient de la mer, on ne peut pas l’ignorer”, pose-t-il avec un air d’évidence. À la tête d’une “PME dans un monde de géants”, où les mastodontes s’appellent par exemple CMA-CGM, la nécessité a été pour lui vitale de revendiquer une identité que les communicants qualifieraient volontiers “d’authentique”, de “montrer ce qu’on a d’unique”, dit-il. “Quand vous êtes une PME, si vous ne vous intéressez pas à la culture de l’autre, ce n’est pas possible”.

Impliqué dans MP2013

Le patron des deux compagnies maritimes s’est activé dès la première heure à défendre à Bruxelles la candidature de capitale européenne de la culture, et en particulier le projet des “Ateliers de l’Euroméditerranée”, résidences d’artistes en entreprise. Dès 2009, il joue les pionniers et accueille des artistes au sein de Marfret. “L’artiste crée à partir de cette expérience, et il y a une incertitude totale sur l’œuvre, explique-t-il, passionné. L’entreprise se définit souvent de façon fonctionnelle, avec des processus, des plans chronologiques. Mais à travers le regard de certains artistes, vous ressentez finalement la mer, vu de notre univers clos. Cela nous amène à revisiter notre monde rugueux, à changer d’angle”.

De ces allers-retours de plus en plus réguliers entre monde de l’entreprise et le monde des arts, Raymond Vidil retient cet enseignement : “il faut accepter que tout ne soit pas le résultat d’une démarche rationnelle”. Bien qu’en principe extérieur à la programmation artistique de MP2018, il avoue un regret. Ne pas avoir réussi à faire venir pour l’occasion Clara Claraune œuvre de l’artiste contemporain Richard Serra, dont le coût de déplacement s’est révélé trop élevé. “Le prêt était gratuit mais il fallait 200 000 euros pour l’acheminer depuis Paris”, explique-t-il. Une somme colossale en comparaison du budget très étriqué de MP 2018 : 5,5 millions pour huit mois de programmation.

“Peut-être, un excès de discrétion”

A l’heure de dresser son portrait, Marsactu a été en difficulté pour trouver un acteur local qui connaisse le personnage et lui trouve des défauts. Que les témoignages recueillis soient absolument sincères ou pas, Raymond Vidil fédère, c’est un fait. “C’est un homme qui est extrêmement tempéré, extrêmement posé, extrêmement responsable, un homme d’engagement”, loue l’architecte Roland Carta, un ami avec qui il partage son action de mécénat pour l’art contemporain, dans une visée “philanthropique”“Je ne sais pas s’il a des ennemis. Je ne lui en connais pas”, s’interroge celui qui a pensé le renouveau du fort Saint-Jean et lui trouve comme seul défaut, “peut-être, un excès de discrétion”.

Du côté du port, sa réputation semble tout aussi honorable. Il faut remonter à 2010, lors de la réforme portuaire, et des grandes grèves qui bloquaient la rade, pour trouver trace d’un coup de sang de sa part. “Je n’en ai pas un très bon souvenir”, rit Pascal Galeoté, secrétaire général de la CGT du grand port maritime. “Je n’ai pas eu affaire directement à lui, c’est quelqu’un qui ne cache pas son opposition aux organisations syndicales, pointe le cégétiste, avant de se radoucir. Il a certainement aussi beaucoup de qualités, et on souhaite bien sûr garder les entreprises historiques dans le port…”

Raymond Vidil était à l’époque sorti de son habituelle discrétion pour demander la fin du blocage. Il s’en souvient lui-même avec une pointe de nervosité. “Je comprends tout à fait qu’on puisse faire grève, mais pas refuser les navires et bloquer le port… Quand on sait l’énergie énorme que c’est pour qu’un navire arrive, on ne peut pas planter ce rendez-vous. Et dans la minute, c’est su à Hong-Kong, et ça prend une ampleur internationale !”. Ancien vice-président de la chambre de commerce Marseille-Provence, membre de l’UPE 13, Raymond Vidil est un homme d’affaires, ce serait une erreur de l’oublier.

Capitaine en mer agitée

Posté à la proue du bateau MP2018, il a endossé, un peu malgré lui assure-t-il, un rôle politique. En période de hautes tensions autour des questions de métropole, repartir derrière la bannière culturelle de Marseille en a échaudé plus d’un. À commencer par Aix qui a décliné le bis, malgré l’investissement du festival d’Art lyrique. “C’est un projet qui vise à rassembler le plus largement possible, mais la métropole vient après, plein de villes y sont allées à fond parce qu’on a avant tout parlé d’un projet collectif, analyse Jacques Pfister. Raymond a eu raison de ne pas y aller avec le flambeau de la métropole”.

À Martigues, où il présentait récemment la programmation pour la ville, le président de l’association MP Culture est accueilli en ami là où toute intervention marseillaise semble être a priori suspecte. “Avec un autre, plus marqué politiquement, ça n’aurait jamais pris, reconnaît clairement Florian Salazar-Martin, adjoint communiste à la culture. Avec cette histoire de métropole, il fallait quelqu’un a distance de ça”. Et l’élu de saluer “la bienveillance” du patron de Marfret, dépourvu à ses yeux “de volonté d’instrumentaliser”. Florian Salazar-Martin ne souhaite pas s’attarder sur leurs horizons idéologiques différents : “le désir, ça ne se commande pas”. Avant de lancer une saison autour de l’amour, Raymond Vidil est décidément parvenu, avec tous les partenaires, à réussir la lune de miel.

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Commentaires

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  1. Court-Jus Court-Jus

    Jolie mise en lumière, je ne connaissais pas son rôle, il fallait un certain courage pour l’endosser, car le rapport risque/gain parait assez défavorable. Et en ce moment, il vaut mieux que ce soit quelqu’un issu du tissu économique qui prenne le flambeau plutôt qu’un.e politique …

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