Radiés des listes électorales, ils sont les abstenus du premier tour

Opérations de vote dimanche 10 avril 2022. (Photo : Emilio Guzman)

Ce dimanche, Zahia est restée avec son bulletin dans la main. Elle fait partie des “abstenus”, ces Marseillais qui n’ont pas pu voter, faute d’être inscrits sur les listes. Comme à chaque élection, cette habitante de Frais-Vallon (13e) s’apprêtait à faire son devoir électoral dans l’une des écoles maternelles du quartier. “Je ne rate jamais une élection, affirme-t-elle. Et pour les papiers, je suis réglo. Je n’aime pas que ça traîne. L’assesseur m’a dit que je n’étais plus sur les listes. Et pourtant on a retrouvé mon mari qui habite la même adresse que moi et mes deux sœurs qui votent sous leur nom de jeune fille”. Mais d’elle, plus trace.

Ce jour-là, à Frais-Vallon, ils sont plus d’une trentaine à se retrouver privés de suffrage. Rapidement, les choses s’organisent et une liste est dressée pour relever toutes les personnes concernées. À chaque fois, la même histoire, un déménagement non pris en compte. “Ce que je ne comprends pas, poursuit Zahia, c’est que j’ai déclaré mon changement d’adresse il y a quelques mois, quand j’ai fait le recensement de ma fille au bureau de Saint-Joseph à la mairie de secteur. J’ai bien mentionné à la personne que j’avais changé d’adresse et que c’était la nouvelle qu’il fallait prendre en compte. Quand j’ai vu ça, j’ai pété les plombs”. Elle affirme n’avoir eu aucun courrier à son ancienne adresse, à quelques mètres de la nouvelle.

Confusion entre les administrations

Son voisin Ahmed Toyb raconte peu ou prou la même histoire. “J’ai voté dans ce bureau aux départementales, aux municipales et avant cela à la présidentielle en 2017. Mais ce coup-ci, impossible. J’ai été radié sans qu’on m’en informe”. Comme beaucoup d’électeurs, Ahmed Toyb vote avec sa carte d’identité, sans se soucier d’avoir reçu ou pas sa nouvelle carte d’électeur. Lui aussi a déménagé voici quelque temps, mais sans quitter le quartier de Frais-Vallon.

“J’ai régularisé ma situation, assure-t-il. Je suis allé refaire ma carte d’identité à la mairie de secteur. Ils ont bien enregistré ma nouvelle adresse à ce moment-là à la mairie, non ?”. Ahmed Toyb voit une “tricherie politique” dans tout cela, “parce qu’ils ne voulaient pas que Jean-Luc Mélenchon soit au second tour”.

Très souvent dans les témoignages recueillis, revient une forme de confusion entre les administrations ou, plus vicieux, un espoir que les différentes administrations aient une base commune d’informations. Beaucoup pensent que la modification d’une adresse sur la carte d’identité ou le passeport renouvelés sont automatiquement répercutés sur les listes électorales. Un passage en mairie de secteur équivaudrait à un rendez-vous au service élections.

200 à 300 radiés dans un bureau du Plan d’Aou

Toutes ces personnes étaient dans la même situation. Elles ont connu un changement d’adresse sans forcément changer de quartier et donc de bureau.

Myriam, présidente de bureau de vote

Comme Zahia et Ahmed, ils sont nombreux à avoir découvert en sortant de l’isoloir les conséquences du toilettage régulier des listes électorales. Au Plan d’Aou, autre quartier populaire du Nord de la ville, ils sont entre 200 et 300 à ne pas avoir pu exprimer leur choix, selon Myriam qui y présidait un bureau. Un nombre que la Ville de Marseille ne nous a pas confirmé, évoquant prudemment plusieurs dizaines de cas. “Toutes ces personnes étaient dans la même situation. Elles ont connu un changement d’adresse sans forcément changer de quartier et donc de bureau”, estime Myriam. Dans cette cité qui a connu un long chantier de rénovation urbaine, les gens ont souvent déménagé de quelques mètres, en passant d’un immeuble vétuste à une résidence neuve, sans pour autant changer de bureau de vote.

Selon la présidente, dans ce bureau, une seule de ces personnes radiées a pu finalement voter ce jour-là, après être passée au tribunal judiciaire du Muy pour obtenir une prise en compte de son changement de domicile. Selon La Provence, dans son édition de mardi, 35 électeurs se sont rendus à cette antenne du tribunal, pour obtenir une réinscription immédiate sur les listes, les autorisant à voter.

Toilettages à différents étages

Depuis que les médias ont relayé ces trous dans la raquette électorale, la Ville a procédé à des vérifications sans déceler pour l’heure de ratés dans l’organisation des opérations de vote. “Il y a différents modes de toilettage des listes électorales, explique-t-on en mairie. Le premier est assuré par l’Insee qui retire des listes les personnes décédées, les personnes privées de droits civiques et les personnes ayant déménagé d’une commune à l’autre dans les mois précédant le vote“. C’est également l’Insee qui procède à l’inscription des jeunes électeurs à leurs 18 ans.

À Marseille, cela vaut aussi pour les déménagements d’un arrondissement à l’autre, l’institut national de la statistique considérant que “Marseille est composée de seize unités communales”, indique-t-on dans les services municipaux.

Depuis le 1er janvier 2019, le contrôle des listes électorales comprend donc deux étages : le premier est national et passe par le répertoire électoral unique (REU). Le second étage est communal et relève de l’autorité du maire.

Tous les ans, un toilettage des listes est aussi opéré par le service des opérations électorales. Celui-ci se base notamment sur le retour des cartes électorales. Quand elles n’ont pu être distribuées, elles reviennent au service avec la mention “n’habite pas à l’adresse indiquée”. Elles sont alors acheminées vers le bureau de vote. Celles qui ne trouvent pas leur titulaire à ce moment-là vont donner lieu à une enquête plus approfondie puis une décision en commission, généralement en novembre et décembre, dans l’année précédant le scrutin.

22 000 radiations en 2021

“Trois courriers sont envoyés à l’adresse déclarée, dont le dernier en recommandé avec accusé de réception”, reprend-on à la Ville. Sans réponse de la part de l’électeur concerné, le service municipal opère une radiation “pour perte d’attache communale”. La liste mise à jour est envoyée à l’Insee. L’institut procède ensuite à une extraction par commune qui sert de base aux opérations électorales futures. Selon la Ville, chaque toilettage entraîne 20 000 radiations par an. Elles étaient de 22 000 en 2021.

J’ai eu l’impression qu’on me volait un droit. Maintenant aller voter au second tour, ça ne sert plus à rien. C’est contre eux que je voulais voter !

Hanane, électrice à Frais-Vallon

Les abstenus du premier tour peuvent toutefois entamer les démarches pour voter au second. Il faut pour cela saisir le tribunal judiciaire en faisant état d’une erreur matérielle ayant entraîné la radiation et produire des documents prouvant sa domiciliation. Jeune électrice de Frais-Vallon, Hanane n’envisage pas d’entamer une telle démarche : “J’ai eu l’impression qu’on me volait un droit. Maintenant aller voter au second tour, ça ne sert plus à rien. C’est contre eux que je voulais voter !” Elle aura toujours la possibilité de s’inscrire en ligne dans le bureau qui dépend de son domicile pour les législatives. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 4 mai.