Quand Gaudin faisait ses adieux à la mairie de Marseille

Enquête
le 20 Mai 2024
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En décembre 2020, Marsactu consacrait un article à la fin du règne de Jean-Claude Gaudin à la tête de la Ville de Marseille. Publié dans notre Best of papier, ce long récit n'est jamais paru sur notre site. Il retrace le départ d'un patriarche, presque en catimini face au chaos des dernières années.

Jean-Claude Gaudin le 15 mars 2020 lors du premier tour des élections municipales, accompagné d
Jean-Claude Gaudin le 15 mars 2020 lors du premier tour des élections municipales, accompagné d'Yves Moraine. (Photo : CBy)

Jean-Claude Gaudin le 15 mars 2020 lors du premier tour des élections municipales, accompagné d'Yves Moraine. (Photo : CBy)

Il entre à pas lents dans la salle du conseil municipal. Au bout d’une journée marathon, Michèle Rubirola vient d’être élue maire, ce samedi 4 juillet 2020. Entre l’ancien et la nouvelle maire, l’échange est court, mais cordial, affectueux presque. Jean-Claude Gaudin apprécie les traditions républicaines, celles qui servent de chaîne continue à l’exercice de l’action publique, comme cette écharpe qui passe d’une épaule à l’autre. L’accolade terminée, il fait lentement demi-tour. Dans la tribune presse, les photographes le hèlent. Il lève les yeux vers eux, douloureusement. Derniers clichés, il est déjà loin.

En catimini, la voiture de fonction du maire embarque Jean-Claude Gaudin vers la dernière partie de sa vie. Tous y voyaient un crépuscule. La politique a été toute sa vie, pouvait-il lui survivre ? Mais cette retraite n’est pas un retrait monacal. Il est très présent auprès de ceux qui ont accompagné son exercice du pouvoir. Il a acheté une voiture et partage sa vie entre Mazargues en semaine et Saint-Zacharie, le week-end. Il utilise même un téléphone portable et sait désormais envoyer des textos.

“Il continue à beaucoup échanger avec ses amis, ceux qu’il avait déjà dans sa vie politique, Claude Bertrand, Jean-Pierre Chanal [directeur de cabinet et directeur général des services adjoint, ndlr], Laure-Agnès Caradec, Julien Ruas et moi-même pour les élus, énumère Yves Moraine qui continue de fréquenter son ancien mentor. Je suis heureusement surpris de sa bonne forme. Comme beaucoup, j’étais inquiet de la façon dont il allait vivre sa nouvelle vie”.

Les premiers mois de sa retraite, l’ancien maire n’a pas pris la parole publiquement, “pour ne pas gêner la nouvelle majorité dans son installation”, assure-t-on dans son entourage.

“Il est consulté par un large spectre de gens. Vous en seriez surpris, note Laure-Agnès Caradec, qui se refuse à en donner le détail. Il est de ces personnes sages à qui on demande conseil”. D’après ses proches, il commente abondamment la vie politique, mais se refuse à le faire en public, rejetant toute demande d’interview. “Pour ne pas gêner la nouvelle majorité dans son installation”, dit-on dans son entourage. En coulisses, il tire encore quelques ficelles : il a fait trébucher la liste de droite aux sénatoriales pour faire payer à Martine Vassal de ne pas avoir laissé de place à Yves Moraine. Sa parole libérée interviendra au printemps 2021 avec la parution de ses mémoires qui coïncidera avec le lancement de la campagne électorale des départementales et des régionales.

“Ce ne sont pas des mémoires comme on fait les minutes, jour par jour, de tel ou tel évènement, résume Jean-Pierre Chanal qui l’accompagne dans l’exercice d’écriture depuis plusieurs années. Cela embrasse toute sa vie, personnelle, publique et politique forcément“. Avec Marseille en ligne de vie.

Son histoire dans l’Histoire

Au moment de son départ, il l’a lancé depuis le perchoir : le jour le plus important de sa vie a été celui de 1965 où il a franchi pour la première fois la porte du conseil municipal, pour venir siéger avec ses aînés, dans cette enceinte d’où se dirigeait la plus vieille ville de France. La petite salle étriquée où les bancs jouaient à touche-touche entre majorité et opposition, où le moindre raclement de chaise couvrait les orateurs. Le nouvel hémicycle de Bargemon figure à son bilan.

Pour Gaudin, son histoire dans l’Histoire se fait là, plus que sous les ors républicains de l’Assemblée nationale, du Sénat ou ceux plus brillants encore de l’Élysée, où il siégeait dans le conseil des ministres du gouvernement Juppé 1995 à 1997. De son expérience de ministre de la Ville, il parle peu ou seulement pour dire les avantages qu’il en a tiré pour sa ville.

À Marseille, il règne en maître de la droite, jugule toute tentative d’exister en dehors de son pouvoir. En 25 ans, tous ceux qui se sont posés en possibles concurrents s’y sont cassé les dents. Son premier adjoint RPR, Renaud Muselier, a mis plusieurs années à se remettre de la perte de la communauté urbaine, en 2008, raflé par les socialistes avec le soutien passif du maire. Quant à Guy Teissier, éternel second, il n’ira jamais jusqu’au bout de ses velléités de candidature autonome. Si ce n’est ce jour-là, le 4 juillet 2020, où le doyen de l’assemblée nouvellement élu s’offre en doublure de Martine Vassal. Quand Gaudin s’en va, il laisse sa famille politique en ruines.

“Les égos étaient trop forts”

C’est là son principal échec : le patriarche n’a pas su ou voulu organiser sa succession. “On lui reproche de ne pas avoir désigné de dauphin mais pour lui, un mandat ça se conquiert, rappelle Yves Moraine. À titre personnel, j’aurais pu le regretter. C’est comme ça”. Au-delà du principe démocratique, Gaudin n’a pas réussi à imposer l’union dans son propre camp. Résultat, le dauphin contrarié, Bruno Gilles et la favorite désignée, Martine Vassal, se sont épuisés en une bataille stérile sans jamais dépasser le socle électoral hérité de Gaudin. “Parce que les égos étaient trop forts”, plaident ses amis. Parce que sa figure tutélaire était aussi douloureusement affaiblie.

Tout le monde le disait : “après Gaudin, le chaos”. Et quel chaos en ce printemps 2020. Le voilà maire prolongé contre son gré, en plein tempête épidémique, avec une administration sourde et aveugle du fait d’une cyber-attaque sur la Ville. “Je veux bien qu’on l’accuse de beaucoup de choses, mais il n’a pas mangé un pangolin. On connaît son goût du voyage. L’épidémie, ce n’est pas lui qui la ramène de Chine, rigole Yves Moraine. Pour le reste, passés quatre jours où il était inquiet après avoir déjeuné avec moi atteint du Covid, je trouve qu’il a plutôt bien géré cette période”.

Il tiendra la barre lors du plus long entre-deux-tours de l’histoire, entre commandes de masques, dépistage et aides aux plus démunis. On le voit apparaître dans des vidéo YouTube un peu lunaires, où les réseaux sociaux tutoient l’ORTF. À l’issue de cette séquence inédite, il voit passer en spectateur cette fin de campagne suspendue où Martine Vassal et Yves Moraine échouent au cœur même de la Gaudinie, les 6e et 8e arrondissements.

Nous n’avons pas su choisir entre la rupture et l’héritage.

Yves Moraine

Il a vécu douloureusement cette campagne dont il était exclu, alors qu’il a tant de fois fait gagner son camp sur son nom. Même ses adversaires de gauche y voient alors une faute : “leur erreur, c’est de ne pas sortir Gaudin. Vassal n’aura jamais le même effet sur l’électorat de droite traditionnel, sur l’électorat démocrate-chrétien”. Dans la dernière ligne droite, la candidate est venue le chercher pour un dernier tour de piste alors que la messe était dite. “Nous n’avons pas su choisir entre la rupture et l’héritage, regrette Yves Moraine. On s’est perdu dans ce tango. Il aurait mieux fallu utiliser la formidable empathie de cet homme au sein de l’électorat populaire”. Mais la rupture n’était pas seulement avec l’héritage, mais avec lui et ce qu’il représentait, le maire de la rue d’Aubagne.

Le sang indélébile de la rue d’Aubagne

En ce jour du 5 novembre 2018, le vieux maire a perdu pied. Il n’était soudain plus en phase, incapable de réagir avec les mots justes face au drame. Dès les premiers jours, et encore un an après, l’administration et lui-même ne cessent d’être en réaction. À l’étage du château, une cellule de crise s’est mise au travail. Autour du maire, elle se réunira tous les soirs, gérant une urgence qui grossit comme une vague.

“Ce jour-là, Claude Bertrand a dit : « le maire ne veut plus de morts »”, raconte un témoin. Le moindre signalement d’une suspicion de péril débouche sur une évacuation. Ils sont bientôt des milliers à hanter les hôtels. Aux yeux des médias, Marseille est devenue la capitale de l’habitat indigne. À droite, beaucoup font mine de découvrir. Ou se détournent. “Le maire a porté une culpabilité qui allait bien au-delà de sa propre responsabilité, analyse Laure-Agnès Caradec, son adjointe à l’urbanisme. Mais c’est de cette façon qu’il entendait exercer son mandat : quand, comme lui vous avez toujours fait vos choix en fonction de la ville, ces huit morts vous atteignent”.

“Laissez moi sortir de la rue d’Aubagne”, dit-il en supplique aux journalistes, lors d’une conférence de presse de commémoration, en novembre 2019. Jean-Claude Gaudin n’en est jamais vraiment sorti. Un an plus tard, la ville est encore associée à ses immeubles qui menacent et lui à ses morts “qui [le] hantent”. Il a sans cesse en mémoire son lointain prédécesseur, Henri Tasso, maire au moment de l’incendie des Nouvelles Galeries, en 1938, qui provoqua sa destitution et la mise sous tutelle de la Ville. D’Henri Tasso, on ne retient que cela. De Gaudin, la droite espère sauver l’héritage d’une ville métamorphosée dont le dernier mandat a fendu l’image.

Les deux dernières années du mandat se sont déroulées au rythme soutenu des perquisitions diligentées par le parquet national financier. Gaudin savoure sa retraite et une forme de liberté retrouvée, mais son bilan ne relève pas que de ses mémoires ou de l’histoire. Il a à son agenda des rendez-vous judiciaires sur l’affaire du temps de travail des agents municipaux, de la vieille garde de son cabinet ou de la rue d’Aubagne. Avec le départ de Jean-Claude Gaudin, s’éteint l’image du maire charismatique qui incarne la ville. Le rideau s’ouvre sur un nouveau spectacle, moins pastoral.

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