Projet d’attentat à Marseille en 2017 : à la barre, l’intention des accusés reste floue
Devant la cour d'assises spéciale de Paris, Mahiedine Merabet et Clément Baur tentent d’éclairer leurs juges sur leur état d’esprit et leurs objectifs d'avril 2017. Les deux hommes sont accusés d’avoir projeté un attentat lors de la campagne présidentielle, à Marseille. Marsactu a suivi ce mois d'audience.
Le procès se tient devant la cour d'assises spécialement composée de Paris. (Photo : Lola Breton)
Qu’est-ce qui a pu pousser deux hommes à se procurer des armes et à fabriquer plusieurs kilos d’explosif au cœur d’un appartement de la rue de Crimée, dans le quartier Saint-Lazare à Marseille ? C’est la question que tente de démêler, après un premier procès avorté, la cour d’assises spéciale de Paris depuis le 30 octobre. Clément Baur et Mahiedine Merabet comparaissent avec dix co-accusés pour répondre d’un projet d’attentat supposé en avril 2017.
“C’est compliqué aujourd’hui. [En janvier] ça l’était déjà, mais aujourd’hui réentendre parler de choses qui se sont passées il y a sept ans… mais j’ai aussi conscience de la gravité de ce que j’ai fait, de ce que j’ai pensé et je vais essayer de répondre au mieux”, a dit d’emblée Clément Baur, vêtu d’une doudoune marron sans manches. Mahiedine Merabet, avec qui il a été arrêté, le 18 avril 2017, a promis de se “battre pour qu’une forme de vérité puisse être établie”. Quand le parquet national anti-terroriste (PNAT) estime que l’arsenal trouvé dans l’appartement qu’ils louaient à Marseille et leur proximité avec les idées de l’organisation État islamique (EI) présageait une attaque de grande ampleur, les principaux accusés de ce dossier réfutent toute intention terroriste. Mahiedine Merabet assure qu’il souhaitait simplement tourner des “vidéos crédibles de communication” afin d’attirer l’attention des Occidentaux sur la souffrance des civils en zone irako-syrienne.
Continuer à fabriquer de l’explosif, c’était peut-être une façon d’être dans l’action, mais sans rien faire en même temps.
Clément Baur
Au parloir, quelques mois après son incarcération, Clément Baur avait confié à son père : “Il y avait quand même assez d’explosifs pour faire exploser tout un quartier de Marseille. On avait 4 kilos”. Au 58, rue de Crimée, le jour de l’interpellation, les enquêteurs découvrent en effet plusieurs blocs de TATP – un explosif fabriqué de manière artisanale et souvent utilisé dans les attentats perpétrés par les sympathisants de l’EI – à plusieurs stades de séchage. Selon les dires de Clément Baur en garde à vue, les deux hommes en ont fabriqué cinq fois, dont quatre depuis leur arrivée à Marseille. “J’ai repensé à Marseille et j’ai eu une crise d’angoisse, limite, souffle Mahiedine Merabet à l’audience. Je n’avais jamais vraiment repensé à pourquoi on a continué à fabriquer du TATP là-bas. Ça puait dans l’appartement, c’était irrespirable.”
Le Nordiste, qui affirme avoir simplement voulu “faire un coup médiatique”, sans victime, suppose que c’est la volonté “d’améliorer [ses] tutos” de fabrication de l’explosif qui l’a poussé à s’entêter dans cette activité extrêmement dangereuse. “C’était absolument pas pour faire du mal à des gens en tout cas”. Clément Baur, complètement acquis aux thèses de l’État islamique à l’époque, ajoute : “Avec le recul, je me dis qu’il y avait quand même une culpabilité en moi de ne pas réussir à suivre les consignes d’al-Adnani [dans son appel à commettre des actions contre les « mécréants », en juillet 2014]. Continuer à fabriquer de l’explosif, c’était peut-être une façon d’être dans l’action, mais sans rien faire en même temps.”
“Petites sorties” dans Marseille
“J’étais dans ma petite bulle de chimie. Ça occupait le temps. On faisait pas que ça, on faisait des petites sorties”, explique Mahiedine Merabet. L’enquête a démontré que les deux hommes ont en effet déambulé dans Marseille au mois d’avril 2017. Clément Baur y arrive, depuis Nancy, le 1er avril 2017. En Blablacar, il voyage avec sur les genoux un pain d’explosif que les deux hommes estiment à un kilo. “Je pense que c’est ça parce que je l’avais rangé dans un tupperware de deux litres, plongé dans l’eau”, détaille Mahiedine Merabet à la barre. À Marseille, Clément Baur prend contact avec un couple prêt à sous-louer son studio. Il paie pour une semaine.
Lorsque Mahiedine Merabet le rejoint, trois jours plus tard – avec trois armes à feu dans ses bagages – ils prolongent la location. “Il m’avait dit que peut-être il resterait un mois de plus, mais il ne savait pas trop”, s’est souvenu le loueur devant les policiers. Les actes des deux hommes ont en effet tout d’une installation. “Le 5 avril, ils se créent deux passes Transpass pour se déplacer à Marseille. Ils y chargent un crédit de sept jours, précise un enquêteur de la DGSI à la barre. À partir du 11 avril, ils stoppent les déplacements avec cette carte puisqu’ils achètent deux vélos sur Le bon coin le 10 et 14 avril”. Ces deux roues vont laisser des traces. Mahiedine Merabet aura un accident de vélo quelques jours avant son interpellation. Ce qui expliquera son bras dans le plâtre le 18 avril, au sortir d’une pharmacie, et le bracelet de l’hôpital de La Timone retrouvé dans l’appartement.
Pour les enquêteurs, ces déplacements sont les preuves de la mise en place d’un projet d’attentat censé viser l’un des meetings des candidats à la présidence de la République alors prévus à Marseille à l’époque. Il faut dire que sur un mur de l’appartement, une carte de la ville trône. Quatre armes à feu et près de 400 cartouches sont retrouvées. Dans un coin du logement, les policiers tombent sur un sac de 500 boulons. “C’était soit pour des dégâts matériels, soit pour faire plus crédible avec les médias”, martèle Mahiedine Merabet quand il est interrogé à la barre.
Lieux visés pour un attentat ou simples “pensées” ?
Dans les téléphones retrouvés en perquisition, les enquêteurs ont mis en évidence des recherches sur ce qui pourraient être des cibles à Marseille. Celles sur le quartier de l’Estaque et les bars Le Red Lion, Le Shamrock ou Le Barberousse, Clément Baur les prend à son compte : “Même si je savais que j’allais pas faire d’attaques violentes, je regardais un peu quand même. C’étaient pas des projets, j’étais dans mon délire. Si ça avait été un objectif, je me serais rendu sur place pour voir.”
J’ai jamais voulu tuer Marine Le Pen, j’ai jamais voulu tuer ses adhérents.
Mahiedine Merabet
Les requêtes Google concernant le meeting de Marine Le Pen, prévu le 19 avril 2017 au Dôme ? “L’idée m’avait traversé l’esprit : si on profitait d’un jour comme ça pour jeter une grenade dans une poubelle ? Sans faire de victimes, ça pourrait faire le buzz, jure Mahiedine Merabet. J’ai jamais voulu tuer Marine Le Pen, j’ai jamais voulu tuer ses adhérents. Je suis jugé pour des pensées que j’ai eues et que j’ai évacuées direct.”
Marseille n’était donc pas un endroit-clé, comme les deux hommes avaient commencé à l’expliquer en janvier. S’ils étaient là, où Clément Baur a brièvement étudié chez les Compagnons du devoir couvreurs/charpentiers en 2009, c’est notamment pour des raisons économiques, assurent-ils. “À Marseille, les logements – et la vie aussi – c’est pas trop cher. On pouvait manger pas trop cher”, tente de justifier Clément Baur. Son co-accusé va un peu plus loin dans la justification de leur départ vers le Sud, alors qu’ils se sentaient traqués. “Il fallait trouver une ville pour se mouvoir sans être repérés. À Paris, les loyers étaient trop chers. Rester dans l’Est c’était difficile parce qu’on avait des faux papiers belges et les policiers peuvent plus rapidement voir que ce sont des faux. Donc on a pensé au Sud, soit Lyon, soit Marseille. Marseille, c’est hyper cosmopolite et mon ami connaissait quand même un peu la ville et il m’a dit qu’il avait peut-être des contacts si jamais on voulait faire la hijra [émigration vers un pays musulman, notamment à l’époque vers la zone irako-syrienne, ndlr]”, débite Mahiedine Merabet.
Un choix anodin pour se cacher, donc, à les croire. Mais c’est là que leur course s’est arrêtée, sans résistance ni coup d’éclat. Sans que les deux comparses semblent au clair non plus sur ce qu’ils seraient devenus sans cette arrestation. Clément Baur a bien conscience de la position dans laquelle ils sont aujourd’hui : “Vu qu’il ne s’est rien passé, il ne reste que des suppositions.” Suppositions ou pas, le fait d’avoir envisagé un attentat pourrait suffire à les faire condamner sérieusement. Le parquet formulera ses réquisitions ce mercredi.
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Velleitaires et inquiétants personnages tout de même. L’article ne dit pas ce qui les a amené là. Quel raisonnements, quelles logiques, quelle idéologie. Lais l’ont-ils dit, le savent-ils vraiment ? Un brin paumés les deux gars ou bieb grands simulateurs.
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Bonjour, vous pourrez en savoir plus en lisant cet article d’avant procès https://marsactu.fr/projet-dattentat-islamiste-a-marseille-en-2017-deux-hommes-fiches-s-face-a-la-justice/
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