Projet d’attentat islamiste à Marseille en 2017 : deux hommes fichés S face à la justice

Enquête
le 5 Jan 2023
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Le 18 avril 2017, deux hommes étaient arrêtés, quartier Saint-Lazare, soupçonnés d’avoir voulu commettre un attentat terroriste à Marseille. Ils ne se sont jamais expliqués sur leurs intentions. Leur procès, qui débute ce 5 janvier devant une cour d’assises spéciale, à Paris, en sera peut-être l’occasion.

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L'immeuble du 3e arrondissement où les deux hommes ont été interpellés en 2017. (Photo : JML)

L'immeuble du 3e arrondissement où les deux hommes ont été interpellés en 2017. (Photo : JML)

Au milieu de clichés d’enfants morts ou blessés en Syrie, une carte de Marseille trône sur le mur. Inratable. Elle fait partie des premiers éléments que les membres du Raid et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) aperçoivent lorsqu’ils entrent enfin dans le studio du 58, rue de Crimée (3e), le 18 avril 2017. Les lieux laissent peu de place au doute. Les policiers en sont persuadés : ils viennent de déjouer un attentat. Quelques minutes plus tôt, ils ont arrêté les deux hommes qui occupaient l’appartement. L’un à deux pas de là, devant la pharmacie du boulevard National. L’autre dans la cage d’escalier de la résidence Saint-Charles.

Clément Baur et Mahiedine Merabet sont immédiatement placés en garde à vue. Pendant des heures, le quartier Saint-Lazare est envahi de forces de l’ordre cagoulées. Quasiment six ans plus tard, les deux hommes s’apprêtent, dès ce 5 janvier, à faire face à la cour d’assises spécialement composée, qualifiée pour traiter les dossiers de terrorisme. Ceux que la justice accuse d’avoir voulu frapper Marseille cinq jours avant le premier tour de l’élection présidentielle risquent 30 ans de réclusion criminelle pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle en vue de commettre des atteintes aux personnes ». Dix autres personnes, soupçonnées de leur avoir apporté une aide matérielle ou logistique, comparaissent également.

Inquiétant arsenal

Si la police et le juge d’instruction sont convaincus que Clément Baur et Mahiedine Merabet s’apprêtaient à frapper la ville ou ses proches alentours, c’est notamment à cause de leur arsenal impressionnant. Dans le studio du 7e étage de la rue de Crimée, loué en espèces dès la première semaine d’avril, les policiers trouvent 3,5 kilos de TATP, à différents stades de préparation. Cet explosif très instable et extrêmement puissant a été utilisé dans de nombreux attentats jihadistes. Quelque 250 grammes sont retrouvés dans une salière. Sachant qu’une cuillère à café de TATP peut aisément faire exploser un ordinateur portable, cette grenade artisanale aurait pu servir un sombre dessein. En plus des explosifs, on retrouve un pistolet mitrailleur, des armes de poing, mais aussi un sac de boulons, censé être ajouté aux plaques de TATP en cours de séchage pour augmenter les dégâts causés par l’explosion.

Le duo s’est renseigné sur plusieurs bars et restaurants marseillais fréquentés par des Américains ou des Israéliens.

Les trouvailles technologiques n’en sont pas moins impressionnantes. Six portables, une caméra GoPro et un ordinateur seront dénichés. En analysant les navigations internet des jours précédents, les enquêteurs voient que le duo s’est renseigné sur plusieurs bars et restaurants marseillais où des habitués israéliens ou américains se rendent. Ils ont également fait des recherches sur les clubs libertins de la ville. Tout aussi inquiétant, les détails de l’organisation du meeting de Marine Le Pen – alors en pleine campagne présidentielle – au Dôme, le 19 avril 2017 ont été consultés par Clément Baur. Quant aux composants de l’explosif, ils ont sûrement été achetés au Castorama de Saint-Loup. C’est en tout cas ce que suggèrent les recherches de “diluants et solvants” effectuées par le duo.

Taiseux suspects

Après leur arrestation, Clément Baur et Mahiedine Merabet n’ont pas été très loquaces. Après 96 heures de silence, Merabet dit avoir pensé faire un “coup d’éclat” pour “faire peur” lors du meeting de l’extrême droite, en plaçant la grenade artisanale dans une poubelle. Pourquoi donc avoir confectionné plus de trois kilos d’explosif ? Et si les meetings politiques étaient le but ultime, pourquoi choisir Marseille alors que la France entière accueillait en avril des politiciens en campagne ? Si Clément Baur admet que l’idée de la grenade leur a “traversé l’esprit”, il nie, lui aussi, avoir voulu commettre un attentat.

“On va juger ce que mon client aurait pu vouloir avoir l’intention de faire”, regrette Raphaël Kempf, avocat de Mahiedine Merabet depuis peu. Cette justice particulière devant la cour d’assises spécialement composée, sans jury populaire, “est entrée dans les mœurs judiciaires depuis la création du délit d’association de malfaiteurs terroriste”, rappelle-t-il. S’il appréhende cette “justice d’exception”, l’avocat parisien garde ses déclarations concernant le dossier pour le procès, censé durer jusqu’au 3 février. Après avoir été accompagné pendant plus de cinq ans par des avocats marseillais, Clément Baur a lui aussi changé de conseil, très récemment, en décembre 2022. Ses déclarations à l’audience sont très attendues.

Le mystère du choix de Marseille

Malgré plus de quatre ans d’instruction, les motivations des deux accusés principaux restent floues. Pourquoi Clément Baur et Mahiedine Merabet s’en seraient-ils pris à Marseille ? Et quelle était concrètement leur cible ? Car les liens antérieurs de deux hommes avec Marseille sont a priori faibles, voire inexistants. Le plus âgé, Mahiedine Merabet est originaire du Nord. Il y a déjà été condamné 12 fois. La dernière mention à son casier judiciaire remonte à 2013. L’homme est condamné à 4 ans de prison dont un avec sursis pour trafic de stupéfiants. Il entre alors au centre pénitentiaire de Lille Sequedin. C’est là qu’il rencontre son futur comparse.

Moi-même, en prenant du recul, je ne comprends pas très bien comment j’en suis arrivé là.

L’un des deux prévenus, face aux enquêteurs

Clément Baur, 23 ans en 2017, est plus compliqué à cerner. Son parcours est “atypique et difficile à reconstituer”, souligne la justice. “Moi-même, en prenant du recul, je ne comprends pas très bien comment j’en suis arrivé là”, admet l’accusé. Originaire du Val d’Oise, élevé dans la religion catholique, le jeune homme part vivre à Nice au cours de son adolescence, au gré du divorce de ses parents. Là, il se lie d’amitié avec des membres de la communauté tchétchène, apprend le russe et se convertit à l’islam. En 2010, il part vivre en Belgique, dans la région liégeoise. Il s’invente alors plusieurs alias. Dix-huit, ont recensé les enquêteurs. Clément Baur se fait passer pour un ressortissant du Daghestan. Il va même jusqu’à déposer des demandes d’asile, toutes rejetées, en Belgique, Allemagne et France sous l’une de ses identités : Ismaïl Djabrailov.

Dangereuse rencontre

Le 4 janvier 2015, Clément Baur disparaît. Connu des services enquêteurs belges pour sa possible implication dans une filière de recrutement de Tchétchènes depuis Liège jusqu’en Syrie, le jeune adulte semble s’évaporer. Le dernier endroit où il est aperçu : le parvis de la gare Saint-Charles, à Marseille. Dix jours plus tard, un homme au nom slave est arrêté en possession de faux documents d’identité à bord d’un train. Sa fausse identité aurait pu être découverte. Mais Clément Baur est alors inconnu des services de police. Ses empreintes ne sont répertoriées nulle part. Aux policiers et aux juges qui le condamnent pour détention et usage de faux, en comparution immédiate à Lille, il dit s’appeler en réalité Ismaïl Djabrailov et vivre à Marseille avec son épouse. Comment distinguer le vrai du faux ? C’est sous ce patronyme que l’homme entre à son tour à la prison de Sequedin.

Fichés S dès leur sortie de détention – en mars 2015 pour Clément Baur et en mars 2016 pour Mahiedine Merabet – leurs pas ne les mènent pas instantanément vers Marseille. Le Nordiste s’installe à Roubaix. L’enquête démontre que Clément Baur, lui, a certainement fait des allers-retours entre la Belgique, l’Allemagne et la France. En décembre 2016, alors que la France est sous état d’urgence et que les renseignements soupçonnent Mahiedine Merabet de chercher des armes, une perquisition administrative a lieu dans son petit appartement. Il n’est pas là. Le drapeau de l’État islamique et Clément Baur, si. Ce dernier, comme à son habitude, décline une fausse identité. Et s’en tire sans être inquiété. Ensuite, trou noir. Une enquête est bien ouverte contre Mahiedine Merabet, mais il reste introuvable. Il ne redonne signe de vie que le 4 avril 2017. Ce jour-là, le commissariat de Roubaix reçoit une étrange lettre. Accompagné de sa pièce d’identité et de sa carte bancaire, le Nordiste écrit ces quelques mots : “Je vais bientôt me rendre. On discutera […] Laissez-moi respirer. Je médite. Laissez-moi tranquille. Salut !”

Empêchement pressant

Il n’en faut pas plus pour que les agents de la DGSI redoublent d’effort pour le retrouver. À l’approche de l’élection présidentielle, les faits et gestes de Clément Baur sont également scrutés. Le renseignement français comprend, grâce aux données captées par les IMSI-catchers, des appareils scrutant les téléphones des deux hommes, que ces derniers sont intimement liés. Selon toute vraisemblance, Baur et Merabet sont à Marseille, déjà. Ils ont rejoint la ville, séparément, fin mars depuis Nancy, en covoiturage.

Les agents de la DGSI tentent d’obtenir des informations sur leurs faits et gestes via internet. Le 12 avril 2017, jackpot. Les cyber-enquêteurs sont destinataires d’une vidéo d’allégeance à l’organisation État islamique, attribuée à Mahiedine Merabet. On y voit le pistolet mitrailleur retrouvé plus tard dans l’appartement rue de Crimée, des munitions formant, en arabe, la phrase “loi du Talion” et la une du journal Le Monde, datant du 16 mars précédent. Sur cette première page, François Fillon. Le candidat des Républicains tenait un meeting le 11 avril au parc Chanot. Le 13, les équipes de sécurité de tous les candidats reçoivent une fiche de signalement avec le visage des deux hommes. La menace, imminente, a été arrêtée à temps. Ce dossier est resté gravé dans les mémoires de l’antiterrorisme français comme une victoire. Le procès qui s’ouvre ce jeudi permettra peut-être d’en comprendre les ressorts.

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