Pour sa ligne nouvelle, la SNCF est prête à démolir la cité Bassens

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le 14 Avr 2021
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L'un des tracés envisagés pour la ligne nouvelle Provence Côte d'Azur implique la création d'un tunnel au niveau de la cité Bassens (15e). Ce qui conduirait à la destruction des bâtiments. Alors que la concertation publique se termine ce jeudi, la décision de la SNCF semble déjà prise.

Déjà adossée à des voies ferrées, la cité Bassens voit son avenir menacé à court-terme par la réalisation de la ligne nouvelle Paca. (Photo : BG)
Déjà adossée à des voies ferrées, la cité Bassens voit son avenir menacé à court-terme par la réalisation de la ligne nouvelle Paca. (Photo : BG)

Déjà adossée à des voies ferrées, la cité Bassens voit son avenir menacé à court-terme par la réalisation de la ligne nouvelle Paca. (Photo : BG)

Je suis sous le choc, Bassens c’est terminé”. Shéhérazade Ben Messaoud, habitante et figure militante de ce quartier du 15e arrondissement, ne laisse plus de place au doute. Elle n’y croit plus. Les huit bâtiments beige et saumon de Bassens 2 figurent sur la voie tracée par la ligne nouvelle Provence Côte d’Azur (LNPCA). La réalisation de ce grand projet ferroviaire conduirait à la démolition de cette cité où résident 90 familles. Mais l’usage du conditionnel prévaut toujours, car il existe une deuxième option, qui éviterait Bassens, dans les plans présentés par la SNCF.

Rien n’est décidé, l’avis des habitants, s’il est tranché nettement dans un sens, sera certainement un élément important dans la décision, qui appartiendra, le moment venu aux élus et financeurs“, nous répond Jean-Marc Illes, chef de la mission LNPCA chez SNCF Réseau. La concertation menée sur ce sujet se termine ce jeudi 15 avril et doit aider à prendre la décision. “Les concertations sont un mensonge, regardez avec la L2, ils l’ont quand même faite”, rétorque Shéhérazade Ben Messaoud.

Une option avec démolition, une autre sans

Bassens ne ressemble pas aux grandes barres d’immeubles que l’on peut trouver ailleurs. La cité se répartit en deux zones, celle au nord du pont de l’avenue du marché national, avec des bâtiments hauts de quatre étages dite Bassens 2, et celle au sud avec des maisonnettes de deux étages dite Bassens 1. Le quartier est particulièrement isolé car il se trouve entre une voie de chemin de fer, une zone d’activité, l’autoroute et l’offre de transports en commun y est famélique. Ce qui n’empêche pas le trafic de drogue de s’y être solidement installé au fil des années.

Ce serait donc Bassens 2 qui pourrait être sacrifié pour la création d’un tunnel permettant de rejoindre par train la future gare souterraine de Saint-Charles. Deux options existent sur la position de l’embouchure. La première, envisagée dès 2016, se situe au niveau du hangar où se trouve l’association les Restos du Cœur (entouré en rouge). Elle implique ensuite une tranchée souterraine qui passe sous Bassens 2 (entouré en bleu), ce qui nécessite la démolition de bâtiments.

Premier scénario impliquant la démolition de la cité.

Deuxième scénario préservant la cité.

La deuxième solution, présentée en 2019, remonte de quelques dizaines de mètres l’entrée du tunnel. La partie de la future voie qui sera recouverte bifurque dès le local associatif des Restos du coeur (entouré en rouge), soit assez tôt pour éviter Bassens 2. “Mais les installations de chantier de sortie du tunnel seront implantées à côté de la cité et généreront des nuisances“, précise Jean-Marc Illes.

Un projet pharaonique pour un horizon lointain
La ligne nouvelle Provence Côte d’Azur, aussi appelée LNPCA, est un projet national qui consiste à relier Nice et Marseille pour désengorger le trafic ferroviaire. À Marseille, elle entraînera des changements majeurs avec comme figure de proue la création d’une gare souterraine sous Saint-Charles. Mais cela se traduira également par des doublements de voies à certains endroits comme sur les rails qui longent le littoral. Côté calendrier, pas encore de dates précises. La prochaine étape importante de ce projet pharaonique est la déclaration d’utilité publique attendue pour 2023. Cela signifie donc une réalisation pour la fin des années 2020… au plus tôt.

Une décision qui semble déjà prise

Ce type de projet nécessite une déclaration d’utilité publique. Une démarche administrative qui permet à un aménageur d’obtenir plus de pouvoir, notamment la possibilité d’exproprier certains bâtiments ou terrains pour réaliser son chantier.

Pour en arriver là, une concertation auprès du public, avec les principaux concernés, doit être menée. C’est l’étape qui est sur le point de se terminer. La SNCF assure donc logiquement qu’aucune décision n’est prise, procédure de consultation oblige. Mais le discours employé dans ses présentations du projet semble d’ores et déjà privilégier la solution de la démolition. Elle met notamment en avant cette option comme une “opportunité d’un relogement dans des conditions améliorées”. Le maintien de Bassens en revanche obligerait les habitants à une “coexistence pendant 4,5 ans avec un chantier important et imposant”.

La décision ministérielle de 2017 choisissant la création d’un tunnel sur ce secteur demandait d’ailleurs d’étudier les “synergies possibles” de ce projet avec celui d’un “renouvellement urbain”. La première concertation datée de 2019 avait débouché sur la décision “de préserver les habitants de la résidence Bassens 2 de la période des travaux”. Comprendre donc de les reloger ailleurs. Un avis confirmé par une nouvelle décision ministérielle en 2020. Du côté des politiques locaux, seule l’adjointe au maire Samia Ghali, qui a grandi dans le quartier, se dit opposée à la démolition.

Le bailleur ne prend pas position

Si une nouvelle concertation est menée, c’est parce la participation du public la première fois était “relativement faible”. Mais pour Shéhérazade Ben Messaoud, une fois encore les habitants n’ont pas assez été informés. “Au moins 70 % ne veulent pas partir, assure-t-elle. Mais il n’y a que les autres qui sont écoutés.”

À deux jours de la clôture, le registre numérique ne comporte aucun commentaire sur le projet de tunnel. Pas même un de la part du bailleur de Bassens 2 qui a décidé de ne pas prendre part à la concertation. “Nous sommes dans l’attente de la décision de la SNCF. Nous voulons trouver la meilleure solution pour les habitants et nous nous adapterons à l’option choisie”, avance Pierre Fournon, directeur interrégional CDC Habitat PACA et Corse. La filiale du groupe public Caisse des dépôts rappelle qu’elle a effectué une opération de réhabilitation au début des années 2010. Elle reconnaît pourtant en termes policés que le quartier se trouve dans “un environnement peu orienté vers l’habitat” entre les entrepôts, les voies ferrées et l’autoroute.

Pierre Fournon ne voit en tout cas aucun intérêt financier à une démolition : “Les bâtiments ne sont pas amortis“. Une donnée financière qui ne suffit pas pour se positionner clairement. En cas de démolition, c’est bien au bailleur de s’occuper, avec la Ville et la métropole notamment, du relogement des habitants. Ce qui interviendrait vers 2024, selon le calendrier de la SNCF, sans toutefois qu’une solution soit pour l’instant étudiée. “Si j’avais vingt ans de moins j’aurais fait une révolution”, regrette Shéhérazade Ben Messaoud déjà nostalgique : “C’est une page qui se tourne”. Le combat entre le pot de terre et le chemin de fer n’aura peut-être même pas eu lieu.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Belle chute !
    Qui souligne cet déliquescence avancée du debat public.
    Une concertation avec les habitants ça devrait se mener avec les habitants. C’est à dire ici, du porte à porte dans la cité. Ou à minima, un bureau, sur place, où les habitants âgées, les personnes illettrées, les mères elevant seules des enfants pourraient venir facilement.
    Mais on l’a vu pour d’autres chantiers d’utilité publique comment ça se passe : bureau lointain, horaires très limités…
    C’est du mépris pour les habitants.
    C’est une vraie fausse consultation.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Quant au “relogement “, même si vu de loin, il me paraît la meilleure idée, on peut comprendre l’attachement des habitants à leur lieu de vie, aux solidarités installées, et leur crainte d’être séparés, et mal relogés (leur donne t’on aujourd’hui des informations précises, des garanties sur ce relogement ? Comment faire confiance ?)
    C’est sur ce point qu’ils auraient besoin d’être combatifs, et soutenus dans ce combat.
    Car malheureusement, on peut imaginer que l’urgence pour les habitants de la cité aujourd’hui, c’est la scolarité des enfants, la santé, se nourrir tous les jours, et avoir/garder son boulot et son maigre salaire.

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  3. Pascal L Pascal L

    Franchement, moi qui habite pas trop loin, (mais suffisamment), je ne sais pas si on peut faire pire que cette cité aussi je ne la pleurerai pas. Certes il y a des habitants mais ils sont coincés entre zone industrielle, zone de traitement des déchets, autoroutes et voies ferrées.Il suffit d’y faire un tour pour constater qu’il est impossible de se promener dans un lieu calme à près d’un km à la ronde. Ce n’est pas difficile de proposer aux habitants un relogement de meilleure qualité et surtout moins insalubre car entre poussières et gaz échappement ils sont parmi les plus exposés de Marseille.

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  4. Patjoub Patjoub

    Il faut aussi rappeler un peu d’histoire.
    les bâtiments actuels de Bassens sont construits à la place d’une ancienne cité de transit, qui, bien évidemment, avait été placée à un endroit dont personne n’aurait voulu.
    A l’intérieur de la cité, il y a une plaque à la mémoire des 11 enfants morts écrasés par les trains avant que ne soit construit le mur qui a séparé l’ancienne cité de transit des voies ferrées…
    Car oui, la cité est juste le long de la voie ferrée !
    A tel point que pendant longtemps, le “train des bordilles”, celui qui transportait toutes les ordures de Marseille vers la décharge d’Entressens puis vers l’incinérateur de Fos, stationnait pendant des heures juste sous les fenêtres des immeubles.
    Le mépris que l’on a eu de ces gens est allé jusqu’au point où une ancienne école maternelle abandonnée a été laissée là, désossée, en ruine, squattée, jusqu’à il y a très peu de temps, juste dans la pointe entre les logements et la voie ferrée. Il faudrait rechercher quand la Ville l’a démolie, mais ça n’a pas plus de trois ou quatre ans.
    Enfin, le terrain appartient à la Ville : le bailleur CDC Habitat ne dispose que d’un “bail à construction”.

    Remonter cet historique permet de comprendre la méfiance viscérale des habitants, qui ont le sentiment légitime d’avoir été abandonnés pendant aussi longtemps par les pouvoirs publics. Le seul service public qu’ils aient vu pendant si longtemps a été leur bailleur social.
    Il y a sur cette cité un tissu associatif militant (couvé par les élus, Samia Ghali en tête) qui a permis de faire un peu entendre leur voix.
    Et on peut en déduire que, parmi les réticences, il y a la crainte de la perte du tissus de solidarité existant, qui est très fort dans cet endroit délaissé, à l’écart, où est concentré une intense pauvreté humaine.

    L’abandon se manifeste aussi dans la prégnance folle du trafic de drogue : la cité est depuis longtemps un “drive in” de la drogue, puisque sa situation à l’écart la protège de la surveillance. Les dealers règnent en maître. Ce qui a valu un règlement de compte avec trois morts dans la petite épicerie située en pied d’immeuble.

    Et ce que les habitants ne savent pas encore, c’est que si le relogement se fait dans des logements sociaux neufs, ceux-ci n’auront pas les mêmes loyers : les financements actuels du logement social sont tellement faibles que les loyers sont sensiblement plus élevés que dans ces logements anciens. Et ça, c’est toujours le gros problème de toutes les opérations de renouvellement urbain. Bien évidemment, les allocations logement compensent : mais celles-ci diminuent lorsque les enfants quittent le foyer…

    Et lorsqu’il s’agit de considérer l’argent public que tout cela représente, il faut s’imaginer ce que va coûter de démolir des logements des années 1980, dont les emprunts ne sont pas remboursés (ce qu’il faudra compenser par des aides publiques), et qui ont connu deux rénovations. La dernière a moins de 10 ans : voilà un beau gâchis d’argent, et un bilan carbone catastrophique…

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  5. Jacques89 Jacques89

    Consultation publique ? Encore faut-il que les objectifs soient clairement définis et chiffrés. S’il s’agit d’intégrer un service d’intérêt régional à une desserte locale, pourquoi pas ? Un fait est certain : plus la population s’investit dans un projet moins il y a de chance que les objectifs soient bouleversés aux prochaines mandatures… mais c’est pas gagné.

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