Pour assurer sa desserte, la Corse veut mettre la main sur “ses” navires

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le 26 Avr 2016
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Le président de l'office des transports de la Corse était à Marseille pour présenter la feuille de route des nationalistes. Marsactu détaille en cinq points ce dossier où politique, économie et ramifications judiciaires se côtoient.

Jean-Félix Acquaviva (au micro), entouré de Johan Bencivenga (UPE 13), Jacques Pfister (CCIMP) et le directeur général de l
Jean-Félix Acquaviva (au micro), entouré de Johan Bencivenga (UPE 13), Jacques Pfister (CCIMP) et le directeur général de l'OTC Jean-François Santoni (à droite). Photo : F. Jonniaux /CCIMP.

Jean-Félix Acquaviva (au micro), entouré de Johan Bencivenga (UPE 13), Jacques Pfister (CCIMP) et le directeur général de l'OTC Jean-François Santoni (à droite). Photo : F. Jonniaux /CCIMP.

C’est une première qui vise à “rassurer, éclairer le jeu”. Le président de l’office des transports de la Corse Jean-Félix Acquaviva était en visite à Marseille ce lundi, pour rencontrer les acteurs économiques locaux. Ce déplacement symbolique illustre les velléités de reprise en main de la collectivité territoriale de Corse sur un service public qui lui coûte annuellement près de 100 millions d’euros. Élu en décembre au titre du mouvement nationaliste Inseme per a Corsica, il est chargé de porter l’un des dossiers phares pour le nouvel exécutif. Après les élections de décembre, celui-ci a déjà connu plusieurs crises autour de la desserte de la Corse, entre grève, concurrence nouvelle et multiples procédures au tribunal de commerce.

Actuellement, le service public est assuré par la Méridionale et MCM, la compagnie issue de la reprise de la SNCM par Patrick Rocca. Mais l’annulation du contrat en avril 2015 par le tribunal administratif de Bastia a obligé la collectivité territoriale corse (CTC) et son office des transports à remettre le système à plat. Ce contexte particulier est l’occasion pour les nationalistes de tenter de réaliser son projet politique de compagnie régionale corse. En évitant si possible d’ouvrir de nouvelles brèches juridiques et laisser ainsi la place à une possible contestation par Corsica Ferries, compagnie opérant sans subventions. Revue de détail à l’occasion de la conférence de presse de Jean-Félix Acquaviva.

1/ Marseille comme “port d’attache”

“La liaison avec le port de Marseille reste prioritaire en matière logistique et économique.” Pour ceux que l’arrivée en décembre des nationalistes à la tête de l’exécutif corse aurait pu inquiéter, le message de Jean-Félix Acquaviva à destination des acteurs économiques locaux a le mérite de la clarté. Des craintes renforcées par l’ouverture en janvier d’une ligne entre Bastia et Toulon par Corsica Linea, ce groupement d’entrepreneurs de l’île avec qui la nouvelle majorité entretient de bonnes relations. Ce même mois de janvier, la collectivité dénonçait “la prédominance infondée et durable de lobbys du port de Marseille”, avec au premier rang les organisations syndicales.

Ce lundi, le ton était plus chaleureux avec les patrons marseillais. Selon l’expression consacrée, l’esprit est à construire “un partenariat gagnant-gagnant”. “La faiblesse du trafic corse nous fait pleurer tous les jours”, a souligné Jacques Pfister, président de la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence. Depuis plusieurs années, Marseille a été devancée par Toulon en terme de passagers transportés. Sur Toulon et Nice, la compagnie italienne Corsica Ferries a progressivement pris trois-quarts de ce marché des passagers. En revanche, la capitale régionale conserve les trois-quarts du trafic de marchandises.

Concrètement, la déclaration de Jean-Félix Acquaviva signifie que les appels d’offres pour la desserte de la Corse se feront tous à destination de Marseille. L’idée sonne comme une évidence, mais le président de l’office des transports de la Corse assure que “du point de vue de la Commission européenne, tous les ports étaient en balance, surtout Toulon mais également Fos”. Ceci dit, le choix de Marseille n’a rien d’une faveur de la CTC, tant la capacité du port et le tissu de zones logistiques alentours sont difficilement contournables.

2/ La “matrice” de Bruxelles

Pour que Marseille voie de nouveau les trafics progresser, le statut de “port d’attache” du service public de continuité territoriale ne suffira pas. “Nous sommes dans une crise historique. Il faut refondre tout le système, construire un nouveau modèle fiable et sécurisé”, estime Jean-Félix Acquaviva. Dans ce dossier “où le contentieux a été la règle”, l’OTC tient à “sécuriser financièrement et donc juridiquement” le cadre qu’il fixera. La volonté affichée est donc de “respecter la matrice” posée par le droit européen et son interprétation par Bruxelles : “C’est au marché d’organiser les choses. S’il est défaillant à assurer la continuité territoriale, on peut mettre en place des obligations de service public (OSP, sans subventions, ndlr). Si elles ne suffisent pas à remplir le périmètre que l’on a défini, on peut admettre une délégation de service public [DSP, avec subventions, ndlr].”

Ce “cheminement à adopter pour éviter des contentieux futurs” explique la consultation menée du 20 avril au 30 mai à destination des opérateurs maritimes. “Bruxelles est enclin à penser qu’il faut des obligations de service public sur Bastia et Ajaccio car ce sont des lignes rentables à l’année. (…) Pour nous la conclusion n’est pas aussi simple”, précise Jean-Félix Acquaviva. Dans sa consultation, outre des exigences en terme de fréquence des rotations, l’OTC exige des baisses importantes de tarif sur les marchandises, notamment à l’export, afin de “résorber la contrainte d’insularité”. À entendre Jean-Félix Acquaviva, pas sûr que beaucoup d’opérateurs soient capables de suivre sans subventions. Sans candidats suffisants, il aurait alors des arguments face à Bruxelles pour justifier une DSP.

3/ La “trajectoire” de la compagnie régionale

Du côté de l’opposition corse, certains élus estiment que ce “cheminement” permet aussi de temporiser afin de faire avancer le projet de compagnie régionale. Depuis début avril, une première étape a été franchie. Compagnie issue de la reprise de la SNCM par l’entrepreneur corse Patrick Rocca, MCM a été absorbée par Corsica Linea, qui adhère au projet des nationalistes. Un rapprochement dont se félicite Jean-Félix Acquaviva qui précise que “cela s’inscrit dans une trajectoire” :  la constitution entre la CTC et Corsica Linea “d’une société d’exploitation public-privé que d’aucuns nomment compagnie régionale”.

Mais il y a un hic : le comité d’entreprise de MCM conteste devant le tribunal de commerce le mariage avec Corsica Linea. Face au risque d’une annulation, Jean-Félix Acquaviva se fait plus tendu : “Si on veut jouer aux imbéciles, on peut aller jusqu’au bout. Il faut qu’on arrête cette escalade, cela n’a pas de sens.” La menace qui suit est tout juste voilée : en cas de décision défavorable, la Corse demanderait en justice la restitution des navires utilisés dans le cadre de la DSP et exigerait le remboursement de centaines de millions d’euros aides publiques, comme l’avait réclamé la Commission européenne.

4/ L’outil naval dans le giron public ?

Cette récupération de l’outil naval – de l’ex-SNCM comme de la Méridionale – fait de toute façon partie de la feuille de route de l’exécutif nationaliste. Dans le cadre de la DSP, la Corse versait une subvention d’investissement destiné au renouvellement de la flotte. “Entre 2001 et 2015, nous avons versé 430 millions d’euros. Depuis 1986, 1,3 milliard ! Il est juste éthiquement, politiquement et juridiquement que l’on récupère ces navires”, insiste Jean-Félix Acquaviva. Pour l’heure, la CTC a écrit aux compagnies maritimes, MCM-Corsica Linea et La Méridionale, pour un accord à l’amiable. “Tout se passe bien dans les discussions”, assure-t-il. Dans le cas contraire, la procédure s’annonce longue et incertaine car la DSP prévoyait explicitement que les navires restaient propriété des compagnies maritimes…

Ces actifs viendraient alors abonder une société d’investissement 100 % publique. Dans le cas d’une DSP, elle mettrait alors ces navires à disposition du ou des candidats retenus. Dans le schéma idéal, il s’agirait de la société d’exploitation public-privé évoquée plus haut. Ce système a, selon lui, le mérite de réduire le risque que l’opérateur soit accusé “d’abus de position dominante” par ses concurrents, à commencer par Corsica Ferries, toujours prompt à dégainer des recours. Toujours ce souci de “sécuriser” la desserte. Mais l’état des lieux dressé fin février par l’exécutif ne cachait pas les nombreuses incertitudes juridiques à lever.

5/ Le Maghreb “compatible” avec la Corse

On l’aura compris, la Corse cherche à reprendre la main sur une compagnie, des navires et un service public issus d’un monopole d’État, la SNCM. Mais à côté des lignes vers la Corse, cette dernière opérait historiquement à destination du Maghreb, avec les ferries Danielle Casanova et Méditerranée. La fameuse compagnie régionale aurait-elle vocation à desservir l’Algérie et la Tunisie ? “Les choses sont tout à fait compatibles, assure Jean-Félix Acquaviva. Ce qui importe c’est le projet d’entreprise. Nous discutons actuellement avec nos voisins sardes et toscans pour un service public transfrontalier. Cela ne pose aucun problème d’intégrer le Maghreb à cette réflexion.”

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Commentaires

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour,
      il n’est pas faux d’écrire que Corsica Ferries navigue actuellement sans subventions. En revanche, et l’article aurait pu le préciser, la compagnie bénéficiait auparavant de l’aide sociale au passager, supprimée en 2014.

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  1. julijo julijo

    Au plan financier, depuis 1986, la CTC aurait versé 1.3 milliards…..c’est bien possible.
    Mais d’où vient l’argent ? une partie des insulaires évidemment, impôts et taxes diverses dans l’île… mais de l’état français aussi, non ?
    En gros, le contrat de plan état-région prévoie des investissements financiers de l’état conséquents et c’est bien normal, c’est le cas de l’ensemble des régions françaises…
    Mais cela justifie-t-il que le CTC s’approprie les bateaux de l’ancienne Sncm et de la Cmn ??? et surtout que ces nouveaux élus, trouvent cela “juste éthiquement, politiquement et juridiquement ” ???? et pourquoi ?
    Sur le plan éthique et politique, mais surtout de simple bon sens, il s’agit pour grande partie, d’argent de l’état, donc appartenant à tous les français, corses compris mais pas qu’eux !
    On ne pourra pas prendre ces élus là au sérieux tant qu’ils auront des propos et surtout des intentions de ce type…on en arrive toujours à la même question :
    IL EST OU L’ETAT ?????
    Dis donc, le gouvernement, C’est quand qu’on va où ?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      L’éthique, si elle a sa place dans ce débat, et la politique sont deux éléments qui ne coïncident pas toujours avec le droit. Ce n’est pas parce que je paie mon loyer depuis des années que je deviens propriétaire de l’appartement que j’occupe. A qui appartiennent les navires de l’opérateur naval ? Qu’en dit le contrat de DSP actuel, qui en principe doit dresser la liste des biens dits “de retour” – c’est-à-dire qui reviennent à la collectivité en fin de contrat ? C’est là, et là seulement, que se trouve la réponse si l’on veut bien ne pas tout mélanger.

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    • julijo julijo

      Pas si simple de ne pas tout mélanger ! Mais je ne crois pas que ce soit moi qui mélange…
      Le tribunal de commerce en attribuant la société à Rocca, avait évidemment aussi attribué les navires….
      Ce qui est insupportable, c’est que, au nom d’une prétendue “justice” les élus nationalistes déclarent des contre vérités, voire des idioties utopiques. Pourquoi pas Simeoni sur la passerelle du J Nicoli.
      Ils reprennent de vieilles idées du STC qui déjà à l’époque tenaient difficilement, sinon la route, du moins la mer.
      Je trouve dommageable pour leur crédibilité (dont je me moque) qu’ils continuent à prendre les corses en général, et aussi les français pour des imbéciles. Qu’ils aient en plus fait de ce dossier un dossier emblématique, est un peu fort, mais c’est un signal pour l’état français “colonisateur”.

      Depuis maintenant plus d’une décennie, l’Etat a abandonné la Sncm. Incapable de mettre à sa tête un chef d’entreprise capable, il a laissé les choses s’envenimer au fil du temps et ça lui a coûté cher, un énorme gaspillage (la Cgt en bouc émissaire était bien pratique !). Cette situation qu’il a pourri volontairement est aujourd’hui à son apogée d’incohérence.
      Et que fait-il ? Rien./
      Donc, ou il laisse fantasmer la CTC…. ou il fait son boulot !
      Difficile pour Macron de proposer des cars….

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    • JL41 JL41

      Alors ça Julijo, c’est ce qui s’appelle être en verve ! C’est un sujet sur lequel je n’ai pas d’opinion, je n’en ai qu’une connaissance superficielle, mais j’ai apprécié ton analyse et son humour.

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  2. Trésorier Trésorier

    Les nationalistes corses montrent leur vrai visage, qui de créer une compagnie nationale corse avec l’argent du contribuable Français.

    l’Etat, lui, n’a aucune vision et aucune volonté.

    La continuité territoriale est payée par tous les Français. Il n’y a aucune raison que les bateaux appartiennent donc à une seule région.

    Par ailleurs, le jugement du Tribunal de commerce me semble avoir été violé par les “fusions-absorptions” opérées depuis.

    Le siège de la SNCM (je ne sais plus comment appeler celle qui lui a succédé) doit rester à Marseille.

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