Nouveau suicide aux Baumettes d’un détenu atteint de troubles psychiatriques
Marc C. souffrait de sérieux troubles psychiatriques: bouffées délirantes, paranoïa et comportements schizophréniques. Il a été incarcéré et maintenu isolé malgré de nombreux courriers de sa famille au juge d’instruction. Marc C. s’est finalement suicidé le 15 juillet dernier.
Les Baumettes en 2017. source : wikimedia commons.
Assis sur un banc, dans un petit parc d’Aubagne, Éric C., 47 ans, déroule le fil de l’histoire. Une histoire familiale tragique, qui commence à Bandol, dans le Var, et se termine dans une sordide cellule des Baumettes, à Marseille. Là où son petit frère, Marc C., a mis fin à ses jours en se pendant aux barreaux de sa fenêtre, cet été. Depuis, Eric ressasse le terrible enchaînement des événements.
Tout commence en 2012. Marc, alors âgé de 31 ans, est peintre dans le bâtiment, auto-entrepreneur. Il faut tenir le rythme, assurer les commandes. Il fait un burn out. “J’avais remarqué qu’il commençait à tenir des propos incohérents, explique Eric, son grand frère. De l’ordre du mystique parfois.” Vient ensuite un grave accident de voiture. Le jeune homme percute violemment une rambarde d’autoroute, à 150 km/h. Il s’en sort miraculeusement mais non sans séquelles. Physiques et psychologiques. Bouffées délirantes, propos incohérents, comportements paranoïaques, apparentés à la schizophrénie. Et ça va de pire en pire. Il se rend un jour sur un chantier, ivre, et passe sa main à travers une vitre, volontairement. Craignant pour sa vie, sa famille le fait interner.
Marc est alors hospitalisé au service psychiatrique de la Conception à Marseille, puis il passe 6 mois dans l’unité pour malades difficiles de Montfavet, près d’Avignon, sous camisole chimique. Nous sommes en 2017. Il ressort de l’institution et semble aller mieux. Mais, premier grain de sable dans le rouage, le psychiatre qui suit Marc lève son obligation de soins, malgré les demandes de sa famille. “On savait, mon père et moi, qu’il devait continuer son traitement, et que s’il n’y était pas obligé, il allait tout arrêter”.
“Les bouffées délirantes, comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu”
Ce qu’ils redoutaient arrive. Marc arrête tout. Le médecin les avait prévenus : “au début, quand il arrêtera, il se sentira euphorique. Puis ça va revenir encore plus fort, s’il ne se soigne pas, rapporte le frère de Marc. Les médecins nous ont expliqué : les bouffées délirantes, c’est comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Impossible à prévenir, et ça s’arrête comme c’est venu.”
Le 19 mai 2018, alors que Marc est parti pêcher avec sa mère aux Goudes, à Marseille, son ciel s’effondre. Il frappe violemment sa mère et la jette à l’eau. La septuagénaire réussit à sortir de l’eau, monte sur la berge et appelle à l’aide. Lorsque les forces de l’ordre interpellent Marc, il est prostré. Pas un mot, pas un geste, il est assis et attend, à côté de sa maman.
Marc est aussitôt placé en garde à vue pour tentative de meurtre, et sa mère hospitalisée. Elle souffre de blessures superficielles, et est entendue le lendemain par les enquêteurs. Elle leur explique que son fils est malade, qu’il devrait être sous traitement, et ne porte pas plainte.
Coupé de sa famille
L’avocat commis d’office qui défend Marc, Loïc Roccaro, se rend vite compte, lui aussi, de la fragilité de son client : “lors de la garde à vue, je le signale immédiatement aux policiers. Puis au juge d’instruction devant qui l’affaire est portée.” Le parquet décide de l’ouverture d’une information judiciaire et la juge d’instruction saisie de l’affaire demande son incarcération. Un expert est aussi nommé pour juger de l’état mental de Marc, mais, en attendant sa venue, le jeune homme part aux Baumettes. “Et la nomination d’un expert, ça peut prendre plusieurs mois”, concède l’avocat.
Tout cela, sa famille l’ignore. Éric ne sait même pas où son frère est incarcéré, ni son numéro d’écrou, afin de lui faire passer des effets personnels. “Mon frère n’avait pas d’argent, pas de cigarettes, rien. Il était tombé à l’eau le jour de son interpellation, il n’avait même pas pu se changer. Il devait penser qu’on l’avait abandonné”, se lamente-t-il. Pour l’avocat, c’est une situation malheureusement “légale”.
En cas d’affaire intra-familiale, ici avec tentative de meurtre sur la mère du prévenu, le juge d’instruction a coché une petite case sur le dossier donné aux Baumettes: “nécessité de ne pas prendre contact avec un membre de la famille”. “Ce type d’interdiction est extrêmement rare, explicite Me Roccaro. Elle peut se comprendre dans un cas de crime intra-familial, mais là, on était en présence d’un individu aux tendances schizophréniques paranoïdes, il avait clairement agi sous un coup de folie, et le crime ne concernait que la mère. Pourquoi donc couper Marc de tout contact avec son père et son frère ?”
Pourtant, cette même famille tente, de son côté, d’alerter le monde judiciaire de l’état mental de Marc, de sa fragilité. Et pas qu’une fois. “J’ai envoyé 8 lettres à la juge d’instruction“, martèle Éric. Il a entre les mains un épais dossier, et nous montre les copies des fameuses missives, écrites au stylo bille bleu. Dans chacune, les mêmes mots, la même angoisse transparaît. “Mon frère est malade, il souffre de bouffées délirantes, il a été interné 6 mois à Montfavet… “. Mais rien n’y fait.
“Il était déjà parti dans sa tête. Il allait très mal”
Il faudra attendre un mois, le 20 juin, pour que la juge envoie une réponse à Éric. Laconique. “S’agissant des conditions d’exécution de la détention [de votre frère] je n’ai pas été informée à ce jour d’incidents particuliers. Si son état de santé le nécessite, il pourra être transféré dans une unité de soins sous contrainte sur prescription médicale”.
C’est finalement le 12 juillet, 2 mois après l’incarcération de Marc, que son frère et son père obtiennent un droit de visite. “J’ai vu un homme très amaigri, le regard noir, fermé, les bras scarifiés. Il était déjà parti dans sa tête. Il allait très mal”, raconte Éric dans un souffle, en baissant les yeux sur son dossier. “Il n’a quasiment pas parlé. On a eu beau le rassurer, lui dire que maman ne lui en voulait pas, qu’il était juste malade et devait se soigner, on parlait à un mur”. Éric sort de cette visite très remué. Me Roccaro, lui, envoie un nouveau courrier à la juge. En vain.
Le 15 juillet, tandis que la France est en liesse et célèbre ses champions du monde du ballon rond, la famille de Marc apprend la terrible nouvelle. Le jeune homme a été retrouvé pendu dans sa cellule.
“Des gens qui ne devraient pas être en prison mais hospitalisés d’office”
Plusieurs interrogations subsistent dans ce dossier. Pourquoi Marc n’était-il pas soigné ? Il a – normalement, comme tous les nouveaux détenus arrivant aux Baumettes – passé une visite médicale. Pourquoi le médecin n’a-t-il pas alerté les surveillants et la direction sur l’état de santé du jeune homme? Invoquant “l’enquête en cours”, la direction des Baumettes n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Côté surveillants comme soignants en prison, les opinions se rejoignent : “il y a des dysfonctionnements, des gens qui ne devraient pas être en prison mais hospitalisés d’office”. Une ancienne soignante, qui a travaillé plusieurs années aux Baumettes mais préfère rester anonyme, témoigne: “Par manque de moyens, de personnel, nous faisons du bricolage. Et parfois, il y a des personnes qui passent à travers les mailles du filet, qui ne sont pas repérées à temps, et c’est dramatique.”
Mais ici justement, d’après une source syndicale, les surveillants ont vite compris que le détenu souffrait psychologiquement. “Il était en surveillance spéciale”, assure-t-on, “avec une ronde plus fréquente que pour les autres détenus”. Sauf qu’il était seul en cellule. Pourquoi ? Argument avancé par la direction de la prison à la famille: le dernier co-détenu de Marc, un homme âgé, aurait pu lui nuire. Une version qu’Éric a du mal à croire.
Enfin, pourquoi la juge d’instruction, mise au courant dès le début de la fragilité psychologique de Marc C, n’a-t-elle pas informé l’administration pénitentiaire? La nouvelle prison des Baumettes se targue pourtant d’une nouvelle unité hospitalière spéciale aménagée sur le site de l’hôpital psychiatrique Edouard Toulouse dans le 15e arrondissement de la ville.
Autant de questions qui restent en suspens, et qui rappellent, inévitablement, le suicide de Bilal El Abdani, survenu dans des conditions similaires en août 2017. Ou encore le décès dans des conditions encore inexpliquées, dimanche dernier, d’un détenu lui aussi fragile psychologiquement, et enfermé seul, selon plusieurs sources concordantes.
À chaque fois, il s’agit d’hommes malades, qui, au lieu d’être enfermés et isolés, devraient être soignés. À ce jour, d’après l’Observatoire International des Prisons, 8 détenus sur 10 présentent au moins un trouble psychiatrique. Selon Rahba Attaf de l’ONG Confluences pour la défense des droits humains, “nous sommes rentrés dans une tendance où on carcéralise la psychiatrie, ce qui mène à ce genre de drame“. La famille de Marc C., elle, a décidé de porter plainte contre x pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger.
Commentaires
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Tragique…Que ce soit pour la psychiatrie, la justice ou les prisons, le manque de moyens amènent les malades et leurs familles démunies à de telles issues.
Merci Maud de braquer le projecteur sur ce drame: “loin des yeux, loin du cœur…”
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Il serait temps de se mettre en marche du côté du ministère de la justice, et pas seulement en construisant des prisons …
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Article excellent. Le sort des gens de rien, des sans dent n’est pas le premier souci des gens bien.
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Mesures éducatives non appliquées dans le secteur de l’enfance en danger, pas seulement en Seine Saint-Denis , traitement aveugle des personnes atteintes de troubles psy très graves … la sirène d’alarme résonne pourtant dans le vide : c’est très inquiétant. Merci pour votre article très édifiant.
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