Comment EDF se débarrasse de Nexcis et de ses panneaux solaires

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le 16 Oct 2015
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Fin septembre, après sept ans d'investissements publics, EDF a fermé sa filiale spécialisée dans le photovoltaïque. Alors que deux projets de reprise s'affrontent, le géant de l'énergie tarde à donner une réponse, laissant 17 brevets en suspens.

Comment EDF se débarrasse de Nexcis et de ses panneaux solaires
Comment EDF se débarrasse de Nexcis et de ses panneaux solaires

Comment EDF se débarrasse de Nexcis et de ses panneaux solaires

Tout avait été pensé pour les photographes : Jean-Luc Mélenchon passant au milieu d’une allée de croix en bois signifiant la destruction d’emplois. Le 3 septembre, le leader du parti de gauche était attendu en guest star sur le site de Nexcis, rassemblant pour l’occasion bien des cégétistes locaux. Lui-même est la tête du comité de soutien aux salariés. Très vite, dans son discours, il fait le parallèle avec la lutte victorieuse des Fralib de Gémenos. Dans la petite Silicon Valley de Rousset, les défaillances d’entreprise ne débouchent pas toutes sur de belles aventures coopératives. À quelques mètres du pas de porte où Mélenchon harangue les salariés, l’entreprise spécialisée dans les semi-conducteurs Lfoundry n’a pas connu un destin aussi heureux que celui des Fralib. L’histoire des Nexcis est elle-même plus complexe qu’une bataille de salariés contre leur ancien patron.

Dans le cas de Nexcis, il n’est question ni de tribunal de commerce ni de liquidation ni même de délocalisation. L’entreprise de Rousset est une filiale de recherche et développement (R&D) du groupe EDF, lequel a décidé de cesser ses recherches sur ces panneaux photovoltaïques intégrés au bâti. Ici, point d’usine ni d’ouvriers mais plutôt des ingénieurs et techniciens. 77, tous en reclassement. Reste une petite dizaine de salariés qui se battent pour la poursuite d’activités.

Si ce petit groupe partage le même sentiment de gâchis, ils sont eux-mêmes divisés entre deux projets de reprise. L’un est porté en partenariat avec une autre start-up du pays d’Aix. L’autre par un groupe d’anciens ingénieurs de Nexcis. Au vu des rebondissements des derniers mois, les perspectives de fusion des deux offres paraissent bien mince. Et, dans les deux cas, EDF garde le dernier mot. Derrière les discours de soutien, la belle histoire paraît déjà bien écornée.

25 millions d’euros d’argent public

Comment en est-on arrivé là ? À un mois de la conférence mondiale sur le climat à Paris, l’arrêt d’une société spécialisée dans les énergies renouvelables par une entreprise publique fait un peu tache. Créée en 2009, elle est le fruit d’un essaimage de l’Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque. Elle est alors présentée comme le fleuron local de ce mode de production d’énergie renouvelable. Son objectif : “Diviser le coût par deux” en utilisant un nouveau procédé.

Pourtant, en avril 2015, EDF décide de fermer sa filiale faute de débouchés. Cette décision surprend d’autant plus que Nexcis a bénéficié très largement de financements publics. L’annonce d’EDF a mis les collectivités locales dans l’embarras. Dans les mois qui suivent, elles se fendent d’une motion de soutien aux salariés, demandant des comptes pour l’argent public reçu. Sur les 75 millions d’euros investis depuis 6 ans dans les technologies développées par Nexcis, 25 sont issus des collectivités, de l’État (crédit d’impôt recherche notamment) ou de l’Union européenne. La région et la communauté du pays d’Aix menacent toutes deux de demander le remboursement des aides accordées, qui s’élèvent respectivement à 550 000 euros et 700 000 euros dans le cadre de la prime d’aménagement du territoire. Pour sa part, le conseil général a attribué une aide de 500 000 euros “afin d’assurer le démarrage de l’entreprise dans la phase recherche et développement”.

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Jean-Luc Mélenchon devant un prototype de panneau solaire conçu par Nexcis

En 2010, Nexcis a également été chef de file d’un projet financé à hauteur de 9,8 millions d’euros par le fond d’investissements de l’État, Oseo (aujourd’hui Bpifrance). En 2011, via l’Ademe, elle a bénéficié d’un programme de 11,6 millions d’euros dont 4,2 d’investissements d’avenir. “En réunion à la préfecture, le directeur général a osé dire que s’il ne se passait rien les actifs seraient revendus”, s’insurge une élue présente à cette table ronde à la mi-septembre. S’ajoute le fait que l’État reste actionnaire à plus de 84% d’EDF. Beaucoup d’argent public investi pour fermer du jour au lendemain alors que, selon les salariés, le produit est prêt à être commercialisé.

“À la porte de l’industrialisation”

“Nous sommes à la porte de l’industrialisation, il ne nous manque que de vendre cette technologie”, regrette Caroline Porta, ex-salariée de Nexcis. Prenant appui sur le retard considérable de la France en matière d’énergies renouvelables, l’annonce de la fermeture de Nexcis suscite une forte mobilisation de la communauté scientifique du photovoltaïque. Certaines de ces pointures ont signé un appel dans le Club de Mediapart pour que la technologie développée par Nexcis ne soit pas abandonnée :

« La disparition de Nexcis signifierait aussi la perte d’un démonstrateur préindustriel des technologies couches minces, qui est un maillon essentiel pour transférer rapidement les résultats de recherche et développement vers des produits innovants »

Extrait de l’appel sur le Club de Mediapart

“Il s’est passé la même chose dans le domaine de la fibre optique et maintenant la France a tout vu partir en Chine”, se désole Ludovic Escoubas, professeur à l’université d’Aix-Marseille et signataire de l’appel. Pour lui, Nexcis a développé un “véritable savoir-faire”, qui serait “très adapté à des applications de niche”. Car l’entreprise a connu une réorientation, passant des panneaux low cost destinés aux toitures à des panneaux semi-transparents intégrés au bâti. Problème : elle en est restée aux prototypes. Comme toute entreprise de recherche et développement, Nexcis n’a pas dégagé un seul euro de chiffre d’affaires mais dispose d’un portefeuille de 17 brevets. Faute de reprise, ces brevets resteraient dans le giron d’EDF, sans forcément être exploités.

Un nouveau patron venu de la grande distribution

La brutalité de la fermeture coïncide avec l’arrivée à la tête de Nexcis d’un homme bien connu du milieu syndical. En avril, le fondateur Olivier Kerrec, qui ne détient plus que 1,8% du capital contre près de deux tiers pour EDF et EDF Energies nouvelles, quitte la direction générale de l’entreprise. Il est remplacé par un certain Michel Rubino, décrié par les salariés dès son arrivée. Et pour cause : il est issu de la grande distribution. Il y est connu pour avoir multiplié les licenciements lors de la transformation des Schlecker marseillais en magasins U. Pour les salariés, il est clairement là pour gérer le volet social de la fermeture. Contacté, ce dernier s’est dit trop occupé pour s’expliquer.

Dans les premiers mois de l’année 2015, les salariés sont reclassés en interne ou bénéficient d’un congé de reclassement. Mais, entre temps, l’idée d’une reprise germe parmi eux. Celle-ci est possible dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi mis en place par la direction, sous réserve de son accord. La date de fermeture du site, prévue initialement fin juillet, est reportée au 30 septembre pour permettre à ces offres d’émerger. La première associe une partie des salariés à Crosslux, une start-up de sept salariés installée à l’école des mines de Gardanne et spécialisée dans les vitrages photovoltaïques. Vient s’ajouter une seconde offre, portée par trois cadres de Nexcis, financée sur leurs fonds propres.

D’après nos informations, ces derniers ne se sont pas entendus avec Crosslux sur la répartition du capital. “Je suis tombé de ma chaise quand j’ai appris son existence”, commente Patrick Maddalone, commissaire au redressement productif qui suit le dossier depuis des mois. Lors de la visite de Jean-Luc Mélenchon, la direction de Nexcis reste à l’étage et aucun représentant de Crosslux ne se trouve dans l’assistance. À aucun moment, il n’est fait mention de deux offres.

Une offre financée, l’autre pas

De fait, l’aventure humaine prend une autre tournure à mesure que la fermeture approche. Crosslux affine son offre et met sur pied un nouveau plan de financement. Dans la dernière version déposée auprès d’EDF, la start-up apporte les fonds : 6,5 M€ sur 3 ans pour “redémarrer et sortir une petite production de l’ordre de 10 000m2 de vitrage par an”, indique Jean-Yves Thoulon, le responsable technique de Crosslux. Quant à la deuxième offre, intitulée Evision, “si elle est séduisante, elle n’est pas financée”, indique Patrick Maddalone. Le représentant de l’État participait le 29 septembre à une table-ronde en sous-préfecture d’Aix qui faisait le point sur les offres de la reprise. Dans le scénario accepté par EDF, le bâtiment et la propriété intellectuelle de Nexcis seraient mis à disposition gratuitement pendant 3 ans, la cession restant à négocier à l’issue de ce délai.

Pour ce qui est des clients potentiels, les repreneurs espèrent bien charmer les géants de la construction. Les deux offres bénéficient de lettres de soutien de Vinci et de Bouygues, lesquels sont déjà partenaires de Crosslux. Cette dernière, tout comme Nexcis, n’a pas encore à proprement parler de chiffre d’affaires puisque ses produits ne sont pas encore commercialisés. Cependant elle est en plein bouclage d’une levée de fonds de 2,5 M€ “avec pour objectif une mise en production, même réduite, pour pouvoir attaquer un marché aujourd’hui frémissant, détaille le co-fondateur de Crosslux. Il faut absolument arriver à un stade industriel”. La question des débouchés commerciaux immédiats du photovoltaïque intégré au bâti revient régulièrement. “Le marché n’existe pas pour le moment, tranche Patrick Maddalone. […] Ce qui importe c’est que le travail fait par Nexcis ne disparaisse pas”. 

“Une belle opportunité pour tout le monde”

Combien de salariés suivent chacune des propositions ? Pas si facile à déterminer. Selon Jean-Yves Thoulon de Crosslux un “noyau dur” comptant une vingtaine d’anciens de Nexcis participerait au début de son projet mais “cela pourrait se réduire”. Au fil des mois, la start-up semble avoir perdu l’adhésion d’une partie du personnel. “Certains salariés n’ont pas confiance en Crosslux”, précise le représentant CGT Stefan Dainotti. Quant à l’offre des cadres, “elle compterait une douzaine d’anciens salariés” selon le commissaire au redressement productif.

“EDF traînait les pieds au début, cela a changé ensuite […] C’est une belle opportunité pour tout le monde“, assure Jean-Yves Thoulon. Mais plus de quinze jours près la fermeture du site, le groupe n’a toujours pas donné sa réponse sur les offres. Dans un communiqué en date du 13 octobre, la direction de Nexcis se contente de faire référence au reclassement de sept salariés chez la start-up Nawatechnologies, spécialisée dans le photovoltaïque. Elle évacue par ailleurs qu’elle “n’a pas été en mesure de valider d’autres projets car ceux qui lui ont été transmis n’ont pas rempli à ce jour les critères déterminants garants de leur robustesse.”

“Notre levée de fonds est en train de se boucler et nos derniers investisseurs devraient se prononcer officiellement d’ici la fin de semaine. À partir de là, la direction de Nexcis ne pourra plus invoquer le non-financement du projet, comme ils le font systématiquement depuis le début”, répond Pierre-Yves Thoulon de Crosslux. Pour EDF qui a toujours refusé de s’expliquer sur ce sujet, cette reprise est pourtant une occasion de sortir par le haut. Du moins sur le papier. Mais dans cette dernière ligne droite, son silence donne l’impression d’une envie de se débarrasser vite d’un projet jugé non rentable. Si Nexcis réussit à la fois le pari de la reprise et de l’industrialisation, elle aura finalement eu sa revanche sur le géant qui l’a vu naître.

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A lire également sur le sujet : Mi-novembre, une des deux offres de reprise était enfin validée

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Commentaires

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  1. JL41 JL41

    Peu de commentaires, ici comme après l’article de Mediapart. Le lecteur aura bien du mal se mettre à la place des salariés très qualifiés de ces entreprises de haut niveau, qui mettent au point des produits qui n’existeront pas s’ils ne peuvent pas mordre sur un marché international extrêmement disputé. Mais on sursaute lorsqu’on lit que « selon les salariés, le produit est prêt à être commercialisé ». Tandis qu’on comprend que personne n’en veut. N’y a-t-il pas une faille quelque part ?

    Y avait-il dans l’entreprise, chez EDF, à la CCIMP ou à la Région, quelqu’un qui pouvait situer le produit à sortir par rapport à la demande et à l’offre internationale ?
    Avait-on défini un produit fini, évalué son coût de production, la marge à prendre pour continuer à investir dans la recherche, et les produits concurrents ?
    L’Etat, les régions, sont à l’affut de ce type de projet où l’on crée des emplois en se plaçant haut en international. Une responsable de pépinière m’avait un jour expliqué qu’ils analysaient un projet de moteur automobile à eau. Je n’ai plus eu de nouvelles et il se trouvera sans doute des analystes pour dire que cet inventeur a été victime du lobby pétrolier. Toujours est-il qu’on y met des millions. L’exemple le plus calamiteux de ces pertes en ligne est celui d’Areva.

    Il y a semble-t-il plusieurs types de « couches minces » (CIGS : cuivre-indium-gallium-sélénium-soufre à Rousset), tandis qu’on nous apprend que les panneaux solaires traditionnels continuent à voir leur coût de production baisser. Une surprise ? Qu’on nous dise un peu ce qu’on peut faire avec ces couches minces : quelle est la transparence qui reste, comment chacune est stable dans le temps, comment réagit l’installation et comment on remplace un de ces « vitrages » s’il se trouve brisé. Quelles objections formulent les utilisateurs potentiels du bâtiment ?

    Une des premières entreprises implantées sur le site de Rousset après la guerre a voulu inonder le marché de fenêtres standard, fabriquées à la chaîne, depuis les bassins de stockage et de vieillissement du bois, jusqu’au vernissage en sortie. Aussi inexplicable que cela paraisse, le bâtiment n’en a pas voulu et la faillite a mis au tapis 450 salariés. L’inventeur était génial, il a été aidé parce qu’il apportait des emplois aux mineurs en surnombre (on avait maintenu les emplois à la mine durant la guerre), mais aussi incroyable que cela paraisse, il ne s’est semble-t-il pas sérieusement questionné sur le format à donner à ses produits pour que le secteur du bâtiment les utilise.

    Dans un article de « l’Usine Energie », Jean-Christophe Barla nous dit : « Selon le syndicat, 24 salariés ont trouvé un emploi externe en CDI ou CDD, 16 ont été reclassés chez EDF, 10 œuvrent à créer leur entreprise, 11 sont en formation ou poursuivent un projet personnel sans emploi à clé et 14 restent sans solution, contraints d’accepter le congé de reclassement pour éviter le chômage immédiat ». C’est donc plié ?

    Mais où sont les responsabilités de cet échec ? Un partenaire ingouvernable pour EDF dans l’entreprise, ce qu’on ne saura jamais ? Un manque de sérieux d’EDF dans l’accompagnement de ce projet ? EDF a pourtant été capable de financer pas mal d’aventures. Sur les hauts de la centrale de St-Chamas, où sont dérivées les eaux plus ou moins boueuses de la Durance, avant de changer la salinité de l’Etang-de-Berre, se trouve tout un cimetière de paraboles expérimentales qui devaient faire chauffer un circuit où un échange de calories produirait de l’électricité. Ce n’est pas les avions renifleurs de Giscard, puisque la Tunisie va faire cela en grand. Mais c’est quand même parfois un peu chaotique chez EDF.

    Si l’on prend un peu de hauteur sur ce que devait être la Silicon Valley à la française de Rousset, où LFoundry n’a pas été le seul échec, on est en face d’un tonneau des Danaïdes de l’investissement public. La Région s’est entourée, elle a impliqué toutes les instances concernées, l’université et des chercheurs ont même apporté la touche finale de validation.

    Un autre article de Marsactu met sur la piste d’une explication. C’est l’aventure de Wiko qui a été inventif dans sa démarche commerciale et fait fabriquer ses smartphones en Chine, selon son cahier des charges. Les grands fabricants se font la guerre avec des produits de plus en plus sophistiqués, séduisants et chers. Une petite partie seulement des fonctionnalités, une fois la séduction passée, se révèle être utilisée. Et pendant ce temps là, Wiko comprend, et surtout le fait, qu’un produit moins cher, comportant seulement les fonctionnalités essentielles, va faire un malheur sur le marché montant des pays émergents. Et finalement chez nous aussi : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/30/wiko-ligne-directe-marseille-shenzhen_4800075_3234.html

    L’article instructif de Clémentine Vaysse sur Wiko (80 salariés à Marseille en 2014) : http://marsactu.fr/wiko-nos-telephones-sont-fabriques-en-chine-mais-tout-est-concu-ici-a-marseille/

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