Moi, l'Eden théâtre, le plus vieux cinéma du monde

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le 18 Oct 2013
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Moi, l'Eden théâtre, le plus vieux cinéma du monde
Moi, l'Eden théâtre, le plus vieux cinéma du monde

Moi, l'Eden théâtre, le plus vieux cinéma du monde

Dans la cour, face à ma façade rénovée, quelques éminentes personnalités du 7e art grappillent petits fours et rafraîchissements. L'actrice Nathalie Baye est présente, aux côtés de Serge Toubiana, patron de la cinémathèque française. Le photographe Bernard Plossu glisse qu'il préfère photographier l'extérieur de ce mythique théâtre à l'italienne. Mais derrière ma façade lumineuse, entre les murs toujours debout, dès que l'obscurité revient, plongeant le balcon, les galeries, les fauteuils tapissés de velours rouge dans la pénombre, lorsqu'enfin l'écran s'allume, je me souviens.

Je suis sorti de terre le 19 février 1889, boulevard Tasse à la Ciotat, dans l'enclos Ferrouillet. Le Soleil du midi a annoncé dans ses gros titres : "Notre ville va être dotée d'un café-concert". L'été 1989, j'ai été inauguré sous le nom d'Eden-concert. Je me rappelle encore du prix des places : 1,25 fr pour un fauteuil, 0,75 fr pour la seule salle et l'accès aux galeries. A la Ciotat, j'ai connu mes heures de gloire, entre le music-hall les samedis et les dimanches, les matches de boxe et de lutte gréco-romaine qui ont imprégné les tapisseries d'une âcre odeur de sueur. Le 21 mars 1899 a eu lieu la première séance publique de cinéma organisée par Louis et Auguste Lumière, après qu'ils ont sillonné le monde pour récolter leurs images et quatre ans après le premier essai du Cinématographe à Paris.

Devant 250 spectateurs médusés, je bascule alors dans le monde encore balbutiant du septième art. Sur l'affiche que j'arbore fièrement sur ma porte, le programme de la soirée est détaillé : Lancement d'un navire à la Ciotat, Un voyage à travers les Alpes, Les cow-boys d'Amérique, Le premier repas de bébé, La sortie d'un transatlantique du Port de Marseille… J'en passe car j'ai le tournis, à force de me remémorer les tas de bobines et les pellicules entassées avec soin. Sur l'affiche, on se veut rassurant : "le spectacle des plus scientifiques, absolument moral et intéressant est aussi bien goûté des grandes personnes que des enfants que l'on peut amener sans crainte". Le message visiblement, a été entendu, puisque le lendemain, la salle était à nouveau comble.

Du music-hall au cinéma

Je dois attendre plusieurs années pour être rebaptisé Eden-Théâtre-cinéma et pour accueillir des projections régulières, le temps que les films circulent en abondance. En attendant, j'accueille encore des spectacles divers et des pièces de théâtre. Certains souvenirs sont cocasses, comme la représentation lyrique de Guillaume Tell le 15 juin 1905. Une catastrophe. Le ténor Audouin, un grand nom de l'époque doit interpréter l'oeuvre de Rossini, rameutant une foule enjouée. Malheureusement, le sieur brillant par son absence, un autre lui est substitué… Las, lorsque la médiocre doublure ouvre la bouche, le public comprend soudain la duperie, gagné par une colère sourde. Des spectateurs vociférant tentent de se faire rembourser leurs places, et n'y parvenant guère, décident d'emporter mes chaises en représailles. Lors du dernier acte, le ténor reste muet, se contentant de mimer les dernières notes, incitant le public à chanter le célèbre passage "Suivez-moi". Il s'en faut alors de peu pour le malheureux conspué ne se fasse lyncher par le public restant. Mes murs sont les témoins impuissants de la fuite honteuse du directeur de la tournée, parti comme un voleur avec la recette de la soirée.

Alors que Félicien Trewey, une connaissance de la famille Lumière reprend la salle, les séances hebdomadaires sont instaurées. Je me rappelle encore de la projection mémorable du film Jeanne d'Arc le 1er juin 1910. Lorsque l'évêque Cauchon annonce avec perfidie à la pucelle qu'elle va être brûlée, les spectateurs s'enflamment, hurlent "Cauchon, pouarc, Marias !" [Cauchon, porc, gros méchant en occitan – ndlr], puis, au moment fatidique du bûcher, reprenant d'un seul cri, dans une déferlante d'injures et de sifflements parvenus à leur paroxysme : "Cauchon, pouarcas, vas véire!" [Tu vas voir ! – ndlr]. Un exemple notable de la force des émotions transmises par le cinéma populaire. Puis, les premiers films à effets spéciaux de Georges Méliès sont diffusés, avec des documentaires, les actualités ensuite des nouvelles stars font leurs armes sur ma scène : Charles Trénet, Fernandel, Jean Gabin et Yves Montand…

Je vieillis. Entre mes murs, installés dans le balcon rebaptisé "le Poulailler", comme partout à cause du brouhaha assimilé à un caquetage, les jeunes ciotadens se donnent rendez-vous les dimanches après-midi, viennent "voir les filles." Je suis leur lieu de ralliement. Des boulettes de papiers et des chewing-gums sont envoyés sur les adultes offusqués pourtant bien installés, presque engloutis dans leur siège en-dessous. Certains fument discrètement, et l'élégant chapeau à plumes d'une bourgeoise reçoit des braises puis commence à faire de étincelles, provoquant un début de panique.

Ce 16 novembre 1956, Francette, une pimpante jeune fille s'assoie dans l'obscurité à côté de Jean-Claude qui lui pose la main sur l'épaule, scellant une histoire qui sera peut-être filmée plus tard, en famille, sur des pellicules de Super 8. On projette Les quatre plumes blanches de Terence Young mais les deux tourtereaux ne suivent pas vraiment…

L'agonie puis la renaissance

Évidemment, je n'aime pas trop m'étendre sur mes heures sombres. Car après les sommets de la gloire, vient la crise des chantiers navals de la ville au début des années 1980 et avec elle, une fréquentation en berne. Je suis délaissé, à tel point que les exploitants envisagent de me vendre. J'entends les chuchotements de mauvais augure des Ciotadens qui parlent de me transformer en hôtel ou en brasserie. Un jour funeste, le 3 décembre 1982, l'écran noir tombe sur la façade. Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, le film projeté s'achève. Des voleurs pénètrent dans mes couloirs, tombent nez-à-nez avec le jeune gérant de 25 ans, Georges Giordana et le tuent sans sommation. Ce crime reste non élucidé et impuni. Des fissures me défigurent lentement. Un gris glauque recouvre ma façade, je n'ai plus l'éclat d'autrefois. Fatigué mais tout de même debout, je vivote. Le dernier projectionniste, Pierre Espitalier tente de m'insuffler un nouvel élan. Sans succès.

Une décennie plus tard, je sors partiellement de mon coma. Désormais, je suis inscrit à l'inventaire des monuments historiques. Je reste toutefois fermé au public. Il faudra attendre cette année 2013 pour que l'on rouvre mes grilles, pour qu'enfin, de nouveaux spectateurs pénètrent dans l'obscurité de la salle rouge. Pour que ma façade retrouve les couleurs vives jaune, ocre et rouge de sa jeunesse. Dans la salle, le "poulailler" reste désormais inaccessible. Je conserve dans ma mémoire les rêves éveillés des spectateurs turbulents qui chahutaient derrière mes piliers et agaçaient les ressorts de mes sièges. Sans pitié. Ceux-là même qui reviennent aujourd'hui raconter mon histoire et hanter de nouveau les lieux.

Note: récit inspiré de témoignages et du site de l'Eden théâtre

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Commentaires

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  1. Luce Vigo Luce Vigo

    Récemment restauré L’Eden de La Ciotat va s’enrichir de projets pleins de promesses…

    Signaler

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