Marseille Habitat installe sa nouvelle directrice dans un logement à vocation sociale

Enquête
par Julien Vinzent & Benoît Gilles
le 28 Sep 2021
30

Lors de son arrivée en mars 2021, la directrice de cette société contrôlée par la Ville de Marseille a pioché dans son patrimoine pour se loger dans un appartement à loyer modéré. Suite à nos relances, Marseille Habitat annonce qu'elle est appelée à déménager rapidement.

Le logement de la directrice de Marseille Habitat est situé à quelques centaines de mètres de son lieu de travail. (Photo : BG)
Le logement de la directrice de Marseille Habitat est situé à quelques centaines de mètres de son lieu de travail. (Photo : BG)

Le logement de la directrice de Marseille Habitat est situé à quelques centaines de mètres de son lieu de travail. (Photo : BG)

Il s’agit d’une petite résidence à proximité de l’hôtel Intercontinental, du quartier du Panier et de l’hôtel de ville. Le nom de naissance de la nouvelle directrice de la société publique Marseille Habitat apparaît sur l’interphone, son nom d’usage a été ajouté sur la boîte aux lettres. Nommée en mars, Virginie Delormel y occupe actuellement un logement à loyer modéré pioché dans le patrimoine de la société publique qu’elle dirige, comme le démontre une enquête de Marsactu.

In extremis, Marseille Habitat a annoncé à Marsactu le déménagement prochain de Virginie Delormel. Il faut dire que dans une ville où la crise du logement est aiguë, l’affaire fait tache. Elle intervient au moment même où Marseille Habitat entend redorer son image via un nouveau plan com’ vantant sa “transformation”. Pour répondre aux “priorités données par la nouvelle équipe municipale”, elle affiche désormais l’objectif d’“orienter les logements sociaux conventionnés vers ceux qui en ont le plus besoin”… Les révélations  récentes de Marsactu et de la Marseillaise concernant les affaires de son dernier directeur, Christian Gil, signalées au procureur, avaient déjà nui à l’image de la société. Et celle-ci porte toujours le stigmate de sa mise en examen dans l’affaire de la rue d’Aubagne, en tant que propriétaire de l’immeuble effondré du numéro 63.

Suite à nos premières questions, la présidente Audrey Gatian, représentante de la mairie de Marseille, actionnaire majoritaire, nous avait assuré qu’il s’agissait d’un “logement libre” (sic) régi par les mêmes règles du celles du parc privé. La directrice payait, assurait-elle, “un loyer au prix du marché” et n’a “bénéficié d’aucun avantage”. Audrey Gatian défendait une “solution temporaire” qui ne posait “pas de problème de légalité”. Elle ajoutait que ce dernier point avait “fait l’objet d’une vérification”.

Un logement pour des familles ne pouvant pas “se loger dans le privé”

La présidente de Marseille Habitat n’avait qu’en partie raison. D’un côté, cet appartement ne correspond pas exactement à la définition d’un “logement social conventionné”. Il ne fait pas l’objet d’une convention avec l’État et n’est pas comptabilisé dans le taux de logement social imposé aux communes par la loi. Il fait en revanche partie de la catégorie des logements dits “intermédiaires”. À ce titre, il fait bien l’objet d’un soutien public, par le biais d’un “prêt locatif intermédiaire” (PLI) octroyé par la Caisse des dépôts (CDC) et garanti par la Ville de Marseille.

En 2010, la Ville a racheté cet immeuble en vue d’y créer des “logements locatifs intermédiaires”.

“Cette opération, réalisée dans un quartier en pleine rénovation urbaine, s’inscrit dans les objectifs de l’engagement municipal pour le logement”, expliquait la municipalité Gaudin en 2010, lors de la validation de l’achat et des travaux sur cet immeuble, qui s’élevait à 12,7 millions d’euros pour 61 logements. “Elle a pour but de créer une offre de logements locatifs intermédiaires soumis à des plafonds de loyer et de ressources destinés à des catégories moyennes”, poursuivait la délibération municipale.

Comme le formule Action logement, organisme national qui fait partie des actionnaires de Marseille Habitat, les logements PLI s’adressent à des “candidats locataires ne pouvant prétendre aux locations HLM, mais ne disposant pas de revenus suffisants pour se loger dans le privé”. En contrepartie de l’aide publique, Marseille Habitat s’est engagé à louer ces logements en dessous du prix du marché pendant 30 ans, à un loyer aujourd’hui égal à 10,55 euros le mètre carré. La réglementation fixe aussi des plafonds de ressources pour y accéder en fonction du nombre de personnes comprises dans le foyer et des personnes à charge. Marseille Habitat ne nous a pas confirmé si sa directrice répondait à ces critères de plafonnement. Elle assure toutefois qu’elle paye un loyer légèrement plus élevé, à 11,46 euros le mètre carré.

Le coupe-file de la directrice

En tout cas, il s’agit bien d’un logement à vocation sociale. À la différence près que la signature du bail ne nécessite pas de passage en commission d’attribution, avec critères de priorité et d’ancienneté. Virginie Delormel n’a donc pas eu à se plier à cette sélection, où son dossier n’aurait pu aboutir. En l’absence de commission, il est difficile de savoir si elle a doublé d’autres locataires potentiellement intéressés par ce bien. Mais cela paraît probable, étant donné sa localisation avantageuse. La directrice générale a certainement apprécié la proximité conjointe de l’hôtel de Ville et du siège de Marseille Habitat, rue Sainte-Barbe (1er). Mais d’aucuns auraient pu simplement craquer pour la vue sur le jardin attenant et la bonne desserte en transports en commun.

À Marseille, 89 000 demandes de logements sociaux sont formulés chaque année.

Malgré le nom “d’intermédiaire”, avec des loyers plafonnés, les logements PLI peuvent intéresser des candidats au logement social plus classique, dans une ville où l’offre est complètement dépassée par la demande. Les services de l’État comptabilisent à peu près 9000 obtentions de logements sociaux par an à Marseille, pour près de 89 000 demandes. Dans un récent entretien à 20 Minutes au sujet de la difficulté de reloger des locataires d’un immeuble dégradé de Noailles, Virginie Delormel soulignait elle-même la pénurie : “Aujourd’hui, à Marseille Habitat, on a entre trois et cinq demandes de relogement par semaine auquel on ne peut pas répondre par manque de logements disponibles.”

L’incongruité de cette situation n’a semble-t-il pas frappé la directrice générale : lors de sa nomination en mars 2021, c’est cette adresse qu’elle déclare pour les formalités d’immatriculation au tribunal de commerce. Elle n’est pourtant pas une novice dans le monde du logement social, puisqu’à ce moment-là, elle vient de quitter un poste similaire à Avignon.

La présidente de Marseille Habitat blâme ses services

Confrontée une nouvelle fois par Marsactu à propos du statut très encadré de ce logement, la présidente de Marseille Habitat Audrey Gatian explique avoir été informée de ce choix de logement par le secrétaire général de la société, visant à “rendre sa prise de fonction la plus rapide possible” en lui proposant “un logement vide du parc de Marseille Habitat, avec un loyer réévalué au prix du marché libre”.

Audrey Gatian dit en revanche découvrir le statut de l’appartement pour lequel le bail a finalement été conclu. “Je ne peux donc que regretter que les exigences que j’avais posées n’aient pas été pleinement respectées”, admet-elle. Ce faisant, elle en fait porter la responsabilité au “secrétaire général issu de la direction sortante, depuis parti en retraite”, plutôt qu’à Virginie Delormel.

Cette dernière devra toutefois bien faire ses cartons pour trouver un autre logement. L’élue affirme avoir posé dès le départ l’exigence “que cette solution soit transitoire, le temps que la directrice passe sa période d’essai et s’installe définitivement sur la ville”. Audrey Gatian annonce dans ce second échange que, six mois après son arrivée, Virgine Delormel a “entamé des recherches personnelles de logement pour quitter le logement de la rue Mery dans les prochaines semaines”. Nos questions ne sont peut-être pas étrangères à cette brusque accélération.

Actualisation le 28 septembre à 9 H 22 : Modification des termes patronymiques utilisés.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Julien Vinzent
Journaliste.
Benoît Gilles
Journaliste

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. barbapapa barbapapa

    Toujours du mauvais esprit ici ! Alors que la personne avec peut-être 100.000 € de salaire annuel n’hésite pas une seconde à vivre la pleine mixité sociale, vous n’êtes qu’à la blâmer !

    Signaler
    • jo147 jo147

      Au moins, on ne peut pas lui reprocher d’être “hors sol” …

      Signaler
  2. Manipulite Manipulite

    Le ver est dans le fruit ! Un(e) politique doit assumer les conséquences de sa décision. Surtout après les torrents de leçon de morale sur lesquelles le Printemps marseillais s’est fait élire. Au lieu de se cacher derrière un type parti à la retraite Audrey Gratian doit démissionner ou alors que Payan lui retire ses délégations pour éviter d’autres cas de favoritisme. Insupportable !

    Signaler
    • PineGap PineGap

      Tiens donc, un élu du PM qui se défausse sur un fonctionnaire…
      Encore un “collabo” ???😉

      Signaler
  3. MarsKaa MarsKaa

    Merci Marsactu pour ce genre d’enquête qui provoque une réaction salutaire. C’est un des aspect du journalisme qui rend ce métier essentiel en démocratie.
    Sur le fond, déplorables habitudes de facilité, on s’arrange, c’est provisoire, c’est pas si grave… pour changer ces mœurs bien ancrées à la ville de Marseille, la nouvelle équipe doit faire preuve de beaucoup de rigueur et faire des vérifications systématiquement. Sinon ils perdront toute crédibilité.

    Signaler
    • PineGap PineGap

      Trop tard…

      Signaler
  4. Marguerite70 Marguerite70

    Ça vous semblera peut-être un point de détail, mais l’usage de « nom de jeune fille » et « nom marital » est patriarcal et infantilisant. Si la situation décrite ici était du fait d’un homme il n’y aurait en aucun cas une référence à son statut marital ou au fait qu’il n’est plus un « jeune homme » car marié.
    Merci d’utiliser les termes « nom de naissance » et « nom d’usage » qui n’ont pas les mêmes relents sexistes…

    Signaler
    • petitvelo petitvelo

      de même en cas de couple homosexuel marié: combien de formulaires officiels sont encore en retard ?

      Signaler
    • LN LN

      Vous avez totalement raison.
      C’est déplacé et dépassé, à l’heure où on nous imposerait presque l’écriture (gonflante et fastidieuse) inclusive

      Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Bien vu, Marguerite70 !

      Signaler
    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, un autre volatile dirait pan sur le bec ! Merci pour votre remarque. On ne nous y reprendra plus.

      Signaler
  5. petitvelo petitvelo

    Il parait que la qualité des repas d’un restaurant d’entreprise est bien plus élevée si le directeur général y prend ses repas. On devrait changer les règles pour que les directeurs de logement sociaux puissent y habiter.

    Signaler
    • toto toto

      Purée ! Il faudrait qu’on serve à Payan, Huguet & co les repas infâmes de la Sodexo qu’ils imposent à nos enfants. Au bout d’une semaine ils trouveraient une solution !

      Signaler
    • Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

      JuH :

      100% d’accord.
      On pourrait les installer à la même table que les hiérarques régionaux de la Sodexo.

      Parce que, voyez vous, parmi tout ce monde, je ne pense pas qu’il en y ait beaucoup dont les enfants “savourent” cette gastro(sans)nomie et dont en mesure de faire une remontée terrain a leurs notables parents

      Signaler
  6. Mistral Mistral

    C’est désolant ! Tant d’espoirs déçus pour les électeurs du Printemps Marseillais, nous avons voté pour le changement et on se rend compte que rien ne bouge que les petits arangements entre amis continuent, et les électeurs sont floués une fois de plus.
    Profitez en bien, dans 5 ans vous retournerez dans l’opposition !

    Signaler
    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Marseille est désormais dirigée par la gauche « de gouvernement » Semblable aux radicaux socialistes, dont on disait : « ils sont roses à l’extérieur et blancs à l’intérieur» Ils ont été rejoints par les écolos amateurs de gros homards et de bouteilles cachetées, qui comme le melon d’eau sont verts à l’extérieur et blanc de l’intérieur.

      Signaler
    • GlenRunciter GlenRunciter

      Bon ok. C’est pas non plus l’affaire du Rainbow Warrior ….
      Je pense que vous en faites un peu trop, vos espoirs si vite déçus ne devaient pas être bien accrochés ! Ca ressemble plus à une négligence. Vous pensez vraiment que tous les élus municipaux valident chaque acte et vérifie derrière ?

      Signaler
  7. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    La politique, c’est aussi affaire de symboles. Si les vieilles pratiques de laisser-faire et de petits arrangements entre amis ne cessent pas dans cette ville, alors que la nouvelle équipe municipale a en partie été élue pour mettre un terme aux mauvaises habitudes du gang gaudiniste, c’est que c’est foutu. On ne se contentera pas d’un bilan limité aux “dimanches de la Corniche”.

    Signaler
    • Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

      Exact

      Signaler
  8. BRASILIA8 BRASILIA8

    Je ne suis pas sur que son déménagement soit une bonne nouvelle . Comme elle doit avoir droit à un appartement de fonction elle va être relogée dans le privé avec un loyer plus élevé et le tour est joué !
    Ce qui est choquant c’est que tous ces directeurs et hauts fonctionnaires sont très bien rémunérés et on droit en plus à un appartement de fonction , une voiture avec chauffeur etc…..

    Signaler
    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      S’agissant des fonctions publiques il existe des règles en matière d’attribution de logements et de véhicules de fonction ! En principe ceux-ci sont concédés de façon permanente à leurs attributaires gratuitement, lorsqu’il y a nécessité absolue de service.

      Signaler
    • Jack Jack

      Tiens tiens . Marsactu, vous nous faites le point sur les avantages accordés aux hauts fonctionnaires de cette nouvelle équipe … et aux rémunérations des collaborateurs de cabinet au regarde de leurs missions / diplômes ? Parce qu’il s’en dit des choses …. Et pas très raccord avec des priorités de logement social et de sobriété affichées par le PM …. C’est vrai tout ça ??

      Signaler
  9. Alceste. Alceste.

    De l’habitude, nait l’ennui.Et Marseille est ennuyeuse,toujours les mêmes histoires et les mêmes combines sordides de ces politiques pourris jusqu’au trognon , accompagnés de cet aeropage de directeurs qui se servent.C’est le jeu des réseaux marseillais qui se sont tenues ,sans jeu de mot,quoique,depuis des décennies.Et cela perdure.

    Signaler
    • AlabArque AlabArque

      Rappel … PAS aeropage (rien à voir avec la jet set), mais AREOPAGE, à Athènes ‘la colline d’Arès’ dieu grec de la guerre et du massacre. Là se réunissait tribunal constitué des anciens ‘archontes’ sortis de charge, pour juger les crimes d’état, notamment meurtre d’un citoyen. (Les 9 ‘archontes’ athéniens élus jusqu’en 487 av. J-C, puis tirés au sort, restent en fonction 1 an = collégialité & alternance démocratique).

      Signaler
  10. Assedix Assedix

    Comme tout le monde je suis écoeuré par cette info mais je pense qu’il faut aller au-delà du dégoût qu’inspire légitimement ce genre de comportement et examiner les choses sous un autre angle:
    Ce logement faisait-il réellement partie du parc “social” ou n’avait-il pas plutôt vocation à “dépanner” des dirigeants ou des cadres ?
    Dans le premier cas, son attribution à Mme Delormel est clairement dégueulasse. Dans le second cas, l’existence de tels logements reste très discutable mais en plus il serait intéressant de vérifier que Marseille Habitat ne les compte pas dans son parc social (avec les dispositifs d’exonération d’impôts qui vont avec)

    Signaler
    • Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

      Twelve points

      Signaler
  11. Pascal L Pascal L

    En 2008, pour “un dépannage” car muté d’une autre région, j’ai payé le loyer d’un appartement “au prix du marché” au CG13 : 1250 € pour 85 m² à quelques km de Gardanne, soit environ 15 € du m². Or entre 2008 et aujourd’hui, l’indice des prix a évolué et pas dans le sens de la diminution.
    Je n’y suis resté qu’un an car j’ai rapidement trouvé mieux pour moins cher. Mais 11,5 € le m² à cet endroit de Marseille, j’aurais adoré. Toutefois il m’aurait absolument fallu une place de parking et l’article ne précise pas si le parking est compris.
    Tout ça pour dire que les administrations ne font pas toujours des adeaux à leurs personnels

    Signaler
  12. jasmin jasmin

    Heureusement qu’il y a la presse, cette presse pour ne pas lâcher le morceau, sinon n’importe qui parmi nous aurait fait la meme chose que madame Delorme: profiter du système. On espère mieux d’une démocratie. on espère un comportement d’élu exemplaire suisse ou scandinave, meme a marseille.

    Signaler
  13. TINO TINO

    finalement, dans cette affaire, ce n’est pas l’installation de la directrice dans un logement à vocation sociale, qui me choque, après tout cette directrice est une salariée et paye un loyer au prix du marché, mais plutôt le passe-droit, le piston, la faveur dont elle a bénéficié au détriment d’autres demandeurs. Mais à Marseille, combien d’occupants de logements sociaux n’ont pas bénéficié de ce système???

    Signaler
  14. Emile Emile

    Les chapacans sont toujours là ! il va falloir secouer fort pour les décrocher de leur postes !

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire