[Mal au centre] À la Ciotat, la lente reconstruction après la fermeture du chantier naval
Concurrence des centre-commerciaux, rideaux baissés, immeubles délabrés ? Le centre-ville de Marseille n'est pas le seul à souffrir de ces maux. Cet été, Marsactu documente ce phénomène national dans les villes de la métropole. Pour ce deuxième épisode, direction la Ciotat, ville suspendue à son chantier naval.
Photo : Violette Artaud
“Il y a cinq ans avec des copines, on est allées boire un verre dans le centre-ville de la Ciotat. Ça faisait des années qu’on n’était pas venues. On s’est dit que l’âge d’or de la Ciotat était loin mais que, quand même, c’est bien ici !”, raconte une commerçante Ciotadenne pendant la pause cigarette. Cette impression a fait son chemin, et elle finalement a choisi d’y installer sa boutique. Touché comme beaucoup d’autres centres-villes de taille moyenne par le phénomène de désertification, celui de la Ciotat a subi une double peine : dans les années 1980, après une période faste, l’activité de son chantier naval – organe vital de la commune et l’un des plus réputés d’Europe – a en effet connu un fort déclin, jusqu’à sa fermeture en 1987. Alors que plus de 6000 personnes travaillaient sur le site, soit le nombre actuel d’habitants du centre-ville, sa fermeture a entraîné une importante fuite de la population, ne laissant que peu de sources de revenus pour ceux restés sur place.
Depuis, la Ciotat tente de surmonter ce passage à vide, de se réinventer en surfant sur une toute autre embarcation. Et pas n’importe laquelle : les yachts font désormais partie du paysage de la Ciotat, qui a laissé son passé ouvrier prendre le large pour se renouveler dans la réparation de haute plaisance qui emploie à ce jour un petit millier de personnes. “Cela fait deux mois que je suis ici, pour l’instant je ne peux pas dire si ça fonctionne. Mais j’ai envie de croire en ce centre-ville, je ne me voyais pas aller ailleurs”, poursuit Emmanuelle Labiche, la trentaine, qui a donc ouvert une mercerie rue du Maréchal Foch quelques années après sa virée entre copines.
Nouvelles arrivées
La Ciotat, ses ruelles étroites qui débouchent sur la mer, son Port-Vieux bordé de bars et bistrots, sa vue grandiose sur le Bec de l’Aigle et, incontournable, le spectacle des imposantes silhouettes de grues de son chantier naval. Difficile de ne pas être sensible au charme singulier de cette ville, dont le cœur bat au rythme des constructions et réparations de navires.
“Il est vrai qu’il y a 20 ans, nous étions dans le creux de la vague, se souvient Richard Latière, conseiller municipal depuis 15 ans et aujourd’hui délégué au “projet cœur de ville”. Mais depuis, on essaye de redynamiser le centre. Ce n’est pas facile mais je crois qu’on est sur la bonne voie.” L’optimisme de l’élu tient en partie à la renaissance du chantier naval. “Tout est lié, ne peut que constater Richard Latière. Avec cette nouvelle activité, une nouvelle population est arrivée à la Ciotat.”
Dans les principales rues commerçantes du centre-ville, “le triangle d’or”, comme on l’appelle ici, de nouveaux magasins fleurissent ces derniers mois. Emmanuelle Labiche n’est effectivement pas la seule à s’être installée ici depuis peu. La boutique attenante à sa mercerie ? Un salon d’esthétique ouvert 8 mois plus tôt. “Je ne suis pas ciotadenne, je suis une pièce rapportée comme on dit ici. Mais quoi qu’il en soit, je voulais m’installer dans le centre-ville, je ne me voyais pas dans une zone commerciale, avec mon salon, j’ai besoin de proximité”, explique Chantal Bianchi. Relancer les commerces de proximité, promouvoir le cadre de vie de la Ciotat, Chantal et Emmanuelle n’ont pas eu besoin qu’on les pousse pour se lancer. “La mairie ? Elle ne nous a pas vraiment aidé non”, regrettent-elles. C’est pourtant exactement ce que la collectivité tente de faire.
Boutique à l’essai
“Vous savez, ce n’est pas facile de mettre tout le monde au courant. Il existe pourtant plusieurs dispositifs d’aide aux commerçants”, se défend l’élu délégué au centre-ville qui met en avant les ateliers du vieux La Ciotat, une permanence d’accueil pour les commerçants et habitants qui souhaitent prendre part au programme de rénovation de la Ciotat. Parmi les dispositifs mis en place par la mairie se trouve le dispositif “boutique à l’essai”. Un programme qui consiste à prospecter du côté des propriétaires pour “les convaincre de mettre à disposition avec un loyer raisonnable et pendant six mois, leur boutiques pour tester des projets commerciaux originaux.”
La mairie a également racheté il y a peu une quinzaine de locaux commerciaux, jusqu’alors fermés, et lancé des appels à candidatures pour y installer des commerçants, “moyennant un loyer avantageux”. “Nous appliquons également une politique contraignante en surtaxant les locaux commerciaux inoccupés”, ajoute Richard Latière. Enfin, la Ville de la Ciotat souhaite multiplier les “boutiques-ateliers” en attirant dans le centre-ville des artisans qui fabriquent et vendent directement leurs produits sur place. Pour l’instant, la quinzaines de boutiques rachetées n’est pas encore pleinement occupée et seule une “boutique à l’essai” – une épicerie bio – a ouvert dans le centre-ville. Le chemin de la reconquête ne fait que commencer. Et les effets de ces efforts ne se font pas encore sentir.
“Loyers inadaptés”
Quand on leur demande s’il est aisé de trouver un local à la Ciotat, les deux commerçantes de la rue Maréchal Foch éclatent de rire. “Ah non ! C’est pas facile non ! Regardez, le mien est tout petit et en plus, je le paye beaucoup trop cher”, déplore Chantal Bianchi. “Aujourd’hui, un local sur deux est fermé. L’âge d’or de la Ciotat est bien loin et pourtant, les loyers restent aussi cher, c’est inadapté à la fréquentation”, ajoute sa voisine. “Mais on reste confiantes et on espère que ça va bouger”, concluent les deux commerçantes qui rêvent d’une fréquentation à la hausse.
D’autres commerçants commencent eux à perdre patience. Voilà deux ans que Delphine Derio tient une biscuiterie qui parfume d’odeurs alléchantes la rue des frères Arnoux. “C’est la métropole qui est venue me chercher. Sur le coup, j’ai eu envie de tenter l’aventure, raconte la jeune femme qui confectionne ses douceurs sucrées dans sa boutique-atelier. Mais je vais bientôt partir, ça ne marche pas assez”, s’agace la jeune femme. Dans la friperie d’en face, Grégory Dorbritz, présent ici depuis un peu plus d’un an, se plaint aussi d’une fréquentation mitigée. “On vivote, lance-t-il derrière son comptoir. Il y a clairement des problèmes de stationnement. Mais je ne compte pas partir pour autant. La mairie va faire des travaux d’embellissement. On croit au renouveau de la Ciotat.”
Destruction-recontruction
Réaménagement du Port-Vieux, piétonisation complète du centre, végétalisation de l’espace public, désenclavement des placettes du cœur de ville. “Les pouvoirs publics, métropole en tête mais aussi région, département et mairie vont investir 20 millions d’euros dans ces travaux qui devraient prendre fin en 2020”, veut faire savoir Richard Latière, qui ajoute qu’une centaine de logements neufs seront également construits d’ici là grâce à un programme de destruction-reconstruction d’îlots entiers.
“La Ciotat a souffert économiquement et moralement de la fermeture du chantier. Mais petit à petit, les choses bougent. Le chantier de haute plaisance est en pleine expansion, nous avons des signaux positifs”, poursuit l’élu. Une inquiétude subsiste pourtant. Si la haute plaisance draine sur la Ciotat une nouvelle population, celle-ci est plus aisée et fait donc indéniablement augmenter loyers et coût de la vie. Il s’agit d’ailleurs parfois d’investisseurs cherchant à louer des résidences secondaires.
“Les locations de courtes durées sont fréquentes, nous l’avons vu en 2017 avec la progression d’Airbnb. L’été, les commerçants ont du travail, l’hiver, c’est plus difficile. Que la population se renouvelle, oui. Mais nous souhaitons qu’elle soit sédentaire”, juge Richard Latière. Quant au problème d’insalubrité que l’on retrouve dans un grand nombre de logements du centre-ville, conscient du problème, l’élu répond : “Une partie de la population ciotadenne vit dans la précarité, dans un habitat insalubre, c’est vrai et nous nous en préoccupons. Mais c’est un chantier qui ne va pas être simple et qui prendra une quinzaine d’années.” Et ça, les yachts tout proches n’y changeront rien.
Un “fablab” en cœur de ville
Le local est encore en chantier mais l’ouverture est prévue pour la rentrée. Le centre-ville de la Ciotat s’apprête à accueillir Utoplab, un projet de fablab et espace de coworking. “Nous bénéficions d’un local de 110 m² mis à disposition temporairement par la mairie pendant 18 mois”, explique Jean-Michel Coiffart, l’un des quatre initiateurs du projet. À terme, des locaux plus grands seront nécessaires. En plus d’une plateforme de travail collaborative, la structure associative en charge du projet souhaite mettre en place des ateliers de fabrication numérique (par le biais de machine d’impression en 3D notamment) et artisanale mais également des formations pour les jeunes, les professionnels, ou encore les personnes éloignées de l’emploi, toujours dans le domaine du numérique.
“À terme, nous voulons transformer le coworking en une coopérative et déménager dans un espace plus grand. Nous sommes dans une phase d’amorçage”, se projette Jean-Michel Coiffart. Enfin, l’Utoplab vise la sous-traitance dans le domaine de la recherche et du développement de la réparation navale pour acquérir des financement. “L’impression 3D a sa place dans ce domaine. Embarquer une imprimante 3D en mer est beaucoup plus simple que tout un stock de pièces de rechange.”, imagine l’entrepreneur. Reste à trouver une communauté et surtout, un local à la taille de ces ambitions.
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