Madrague-de-Montredon : des associations attaquent en justice le maxi projet immobilier

Info Marsactu
le 8 Sep 2023
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Sept mois après la validation par la Ville de Marseille du projet immobilier sur l'ancienne friche industrielle Legré-Mante, des associations environnementales et des riverains ont décidé d'attaquer le permis de construire.

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L'usine Legré-Mante à la Madrague de Montredon. (Photo : Loïs Elzière)

L'usine Legré-Mante à la Madrague de Montredon. (Photo : Loïs Elzière)

En février dernier, la Ville de Marseille validait le projet. Un maxi projet. Plus de 300 logements dont une gigantesque résidence sénior, des commerces, des bureaux, des parkings… La réhabilitation de l’ancienne usine Legré-Mante, à La Madrague-de-Montredon, doit changer le visage de ce petit quartier du littoral Sud. Depuis plusieurs années, la question de l’avenir de cette friche industrielle polluée s’est transformée en saga. Porté par Ginkgo, un fonds d’investissement spécialisé dans la dépollution, et le promoteur Constructa, un énorme programme immobilier doit y mettre fin. C’est finalement dans les tribunaux que l’histoire va se poursuivre.

Plusieurs associations de défense de l’environnement et des riverains ont déposé le mois dernier un recours devant la justice pour s’opposer au permis de construire validé cet hivers. Consulté par Marsactu, ce recours conteste autant le fond que la forme du projet. Il récapitule également les inquiétudes soulevées par les riverains depuis plusieurs mois. Cette fois-ci, promoteurs et pouvoirs publics n’auront d’autre choix que d’y répondre.

Des travaux potentiellement repoussés

De quoi retarder les travaux ? “Cette procédure n’est pas suspensive mais, en général, les professionnels de la construction attendent que le permis soit complétement purgé de tout recours avant de commencer les travaux”, veut croire Raphaël Marques, avocat spécialisé en droit de l’immobilier qui porte la requête. Une analyse que confirme le promoteur : “Les travaux ne démarreront pas avant la purge des autorisations de construire”, répond Constructa, questionné par Marsactu.

“Ce chantier est tellement engageant, on ne parle pas d’une petite maison. S’ils décident de poursuivre, cela aura des conséquences sur l’humain, sur les écoles autour, sur l’environnement”, estime de son côté Roland Dadena, président de l’association Santé littoral sud qui fait partie des requérants, aux côtés de la Fédération d’action régionale pour l’environnement et l’Union Calanques littoral.

Pour les requérants, le projet aboutira à “la création d’un quartier entier, au bord de littoral”.

Méconnaissance de la loi littoral, étude d’impact bâclée, circulation engendrée inadaptée… Le recours – il en existe en fait deux, identiques, le permis de construire portant sur deux lots distincts – brosse large. “Le projet aboutira à la création d’un quartier entier, au bord de littoral”, rappellent en introduction les requérants. Mais ces derniers soulèvent en premier lieu ce qu’ils considèrent être un important vice de forme. Et pour le moins une coïncidence notable.

Le projet validé la veille d’un changement de plan d’urbanisme

Octobre 2019. Le promoteur dépose ce que l’on appelle une déclaration préalable. Cet acte administratif permet de diviser la parcelle en deux lots distincts – d’où les deux permis – mais aussi et surtout, “de cristalliser les règles d’urbanisme en vigueur pour le projet à venir”, explique Raphaël Marques. Le 18 décembre de la même année, la mairie de Marseille la valide. L’étrangeté se révèle si l’on considère ce qu’il se passe le lendemain de cette signature : la métropole acte de nouvelles règles urbanistiques avec le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), une nouvelle bible de la construction, un changement de paradigme. Pour Constructa, il n’y a pas là à débattre : Cette déclaration préalable a été autorisée en tout point légalement, le point de droit invoqué par les requérants est infondé”.

Raphael Marques, lui, attaque : “lorsque l’on sait que le nouveau document d’urbanisme est bien plus restrictif, la décision ne peut qu’être illégale en ce que le maire n’a pas opposé de sursis à statuer.” À l’époque, l’ancienne adjointe à l’urbanisme, Laure-Agnès Caradec (LR, majorité de Jean-Claude Gaudin), est aussi conseillère métropolitaine déléguée à la planification autrement dit, au PLUI. Contactée, ni cette dernière ni la mairie de Marseille n’ont répondu à Marsactu dans les temps impartis à la publication de cet article. Ce projet aurait-il été possible avec les nouvelles règles d’urbanisme ? “Peut-être, répond Raphaël Marques, mais sûrement pas avec cette ampleur.” 

La question de l’impact environnemental

Le reste de l’argumentaire reprend les inquiétudes développées par les habitants et associations depuis plusieurs mois et notamment, lors des nombreuses réunions publiques qui ont eu lieu sur le sujet, relatées par Marsactu. “Urbanisme respectueux, cadre de vie, circulation, santé publique, environnement”… Pour eux, le projet met en péril tout le quartier et l’étude d’impact menée est insuffisante. Pourtant, rappellent-ils arrêté préfectoral à l’appui, le projet doit voir le jour sur un site pollué, à proximité immédiate de la mer et du cœur du parc des Calanques, une zone à fort enjeux floristiques et faunistiques, où il est donc plus que nécessaire d’évaluer les conséquences.

Il y a quelques mois, plusieurs réserves avaient déjà été émises sur ce point à la suite de l’enquête publique : réaliser une étude sur les émissions de gaz à effet de serre, une cartographie du bruit, une évaluation de la pertinence d’une zone à trafic limité dans le secteur ou encore une nouvelle étude d’incidence Natura 2000. “Or, force est de constater que les nombreuses réserves émises par la commission d’enquête n’ont pas été levées par le pétitionnaire avant la délivrance de l’autorisation litigieuse”, poursuivent les requérants. Sans compter le risque de pollution marine, déjà pointé par les services de l’État et sous-évalué selon la mission d’autorité environnementale.

Lors de la validation du permis, l’ex adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche assurait pourtant à Marsactu que l’opérateur avait bien répondu aux réserves soulevées, même si demeuraient des “prescriptions”. Sur ce sujet, Constructa indique que “les prescriptions [le] concernant ont toutes été prises en compte dans [le] projet intégrant notamment la suppression d’un bâtiment”. De même, pour les questions environnementales, plus largement, le promoteur souligne que toutes les autorités concernées ont validé le permis et qu’à nouveau, “les points développés par les requérants ne sont pas fondés”.

Nous voulons débloquer le dossier de la dépollution et prouver que nous y avons droit sans forcément le corréler à un énorme programme immobilier.

Roland Dadena

Enfin, les contestataires évoquent la question cruciale de la circulation que va engendrer le projet qui, là encore, est selon eux mal évaluée. Le quartier, qui se situe aux portes du parc des Calanques, est déjà saturé, l’été notamment. Or, comme l’a pointé l’agence régionale de santé, “le projet génère une charge supplémentaires de trafic routier estimé à 9 % en moyenne. (…) Cette hypothèse ne semble pas adaptée au quartier de La Madrague, excentré, et qui n’est pas irrigué par de nombreux transports en commun.”

Le recours estime enfin qu’un des principes de la loi littoral n’est pas respecté : l’urbanisation modérée. “Un projet antérieur avait été annulé […] sur le fondement justement du principe d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage”, souligne le texte du recours. Le projet en question s’étalait sur 20 800 mètres carrés (contre 22 000 actuellement) pour 286 logements, soit 46 de moins qu’aujourd’hui si l’on prend en compte la résidence sénior. Là encore, le promoteur ne semble pas inquiet et rappelle que “les permis de construire ont été étudiés par la préfecture qui n’a émis aucune remarque à ce sujet”.

“Nous portons ce dossier devant la justice pour protéger les gens, pour que la loi soit respectée. Certaines personnes nous accusent de retarder la dépollution mais c’est l’inverse, nous voulons débloquer le dossier de la dépollution et prouver que nous y avons droit, sans forcément le corréler à un énorme programme immobilier”, martèle ainsi Roland Dadena. Reste à savoir qui paierait pour un tel chantier.

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Commentaires

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  1. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Ce recours ne va faire que retarder l’inéluctable. Un gros projet, qui n’a pas été pris à bras-le-corps par la collectivité, et qui finit par être conforme au PLUI donc dont les recours seront purgés.

    Ca va être fabuleux : 150 logements à cet endroit, donc mouvement circulatoire en amplification du pendulaire actuel déjà catastrophique, avec en plus aucun projet de voirie dans le quartier, donc à équipements de circulation constants, chicayas entre Ville et Métropole obligent.

    Quant à la dépollution, je l’ai déjà dit mais je vais me répéter : le terrain est privé, donc la collectivité à moins de l’avoir préempté quand l’occasion s’est présentée (ce qui a été le cas quand Ginkgo – filiale de la Caisse des Dépôts – a acquis le terrain), ne peut que rappeler les obligations règlementaires qui vont être respectées… dans leurs plus strictes minima.

    Allez, une blague pour finir : la Caisse des Dépôts (maison-mère de Ginkgo donc, propriétaire du terrain) est le 1er financeur des programmes ANRU. Et ce projet est surtout destiné à faire un maximum de pognon. Je vous laisse conclure.

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  2. DAVID BOTTON DAVID BOTTON

    Bel exemple de dialogue et de médiation complètement râtés. Il ne suffit pas de présenter les projets, il faut aussi écouter les autres et notamment ceux qui devront vivre avec une fois que le promoteur se sera évanoui.
    Les promoteurs et les élus ne savent traiter les dossiers en dehors des tribunaux administratifs : le coût n’est certainement pas assez élevé (quelques milliers d’euros) sinon ils trouveraient d’autres voies.

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Le principal souci c’est qu’il s’agit d’un projet sur un terrain privé : s’il respecte le PLUI, pas grand’chose à faire contre.

      La seule option était la préemption pour re-commercialiser ensuite le terrain avec des obligations (genre faire des commerces / de l’activité et non du logement, ce qui aurait réglé beaucoup de questions).

      Mais pour faire ça, faut avoir une stratégie urbaine. Et aucune des municipalités marseillaises n’en a jamais eu.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Et on retrouve, en marge de cette contestation, la réflexion encalminée depuis bientôt dix ans (!) sur la desserte de ce quartier et, au-delà, des Goudes. Evaluer la pertinence d’une zone à trafic limité ne sert à rien si l’on refuse par principe de s’attaquer à la place de la bagnole dans cette ville et de réfléchir à des alternatives crédibles.

    Dix ans de surplace, mais pour le coup, la fameuse maxime de Queuille n’a pas fonctionné : “Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre”. Faute de courage politique, le problème s’est plutôt aggravé.

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  4. Karo Karo

    Faire du commerce sur cette zone n est pas une solution car les commerces sont aussi des aspirateurs à voitures .
    Et pourquoi pas du Logement.
    La question est qui paye la depollution qui impacte fortement le projet et pose le promoteur à faire un max de logements pour retrouver sa marge de base.
    A un moment il faut choisir. Sinon ce terrain peut rester ce qu’il est une friche avec aussi toutes ses qualités et aussi défauts qui a Marseille se transforme en décharge sauvage !

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Le problème urbain que va poser ce projet est principalement l’impact circulatoire dans ce quartier déjà résidentiel.

      Faire des logements, c’est amplifier la situation (mêmes mouvements que le reste du quartier). Faire des commerces c’est également avoir de la circulation, mais dans le pendulaire inversé à celui du résidentiel, donc beaucoup moins impactant.

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