La résidence des Facultés à Aix : 529 studios et de plus en plus de taudis

Reportage
le 15 Mai 2019
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Dans le quartier d’Encagnane, cette résidence étudiante bâtie dans les années 70 s’est dégradée au fil du temps. Ses locataires vivent dans des conditions parfois difficiles. En attendant un plan de sauvegarde décidé en 2015, mais dont les rénovations se font cruellement attendre.

Photo : Coralie Bonnefoy
Photo : Coralie Bonnefoy

Photo : Coralie Bonnefoy

Tenace, chimique, camphrée. Une odeur lourde plane sur la résidence les Facultés ce lundi après-midi. “Un homme est mort dans son logement. Il n’a été découvert que plusieurs jours après…, lâche Sabine d’un ton mi désabusé mi horrifié. Des personnes sont en train de vider et de nettoyer son appartement.” Sabine vit dans ce groupe d’immeubles clos d’Encagnane, à Aix-en-Provence, depuis 7 mois. “Les surfaces habitables ne sont pas mal, mais le cadre de vie est impensable”, résume la locataire de 52 ans. Depuis son arrivée, elle n’a de cesse de dénoncer “l’abandon monstrueux” de cette copropriété, située non loin du Pasino.

Bâtie dans les années 70, la résidence, comme son nom le suggère, accueillait originellement des étudiants. Ces six immeubles comptent 529 studios identiques de 24 mètres carrés (loués entre 390 et 550€), 28 bureaux, 17 locaux commerciaux. Mais rares sont désormais les appartements occupés par des jeunes fréquentant les facultés aixoises. “Ici vivent surtout des gens vulnérables. Des retraités pauvres, des travailleurs immigrés, des familles souvent monoparentales avec de jeunes enfants, des personnes en attente de logement social…”, égrène Sabine, elle-même titulaire du RSA en quête d’une formation.

Une délibération du conseil municipal aixois du 3 février 2017 détaille elle aussi les difficultés sociales de la résidence : “Environ 660 personnes y vivent, en majorité, des locataires jeunes ayant de faibles revenus, des étudiants en situation précaire. Parmi les 577 copropriétaires, seuls 5 % y résident. Les propriétaires résidents sont à hauteur de 50 % des ménages sous le seuil de pauvreté (987 €/mois).”

“Squats et activités illicites”

Surtout, une étude menée en 2014 par la Communauté du pays d’Aix (CPA) citée par la même délibération, pointe “la dégradation des bâtiments au fil du temps”, souligne les “nombreux squats et activités illicites”. À se balader au gré des couloirs, l’état de détérioration est patent. Les communs, s’ils sont propres dans l’ensemble, sont particulièrement dégradés. Peintures lépreuses, enduits désagrégés, fissures apparentes, traces de moisi… “Sans compter les cafards, les punaises de lit, l’eau chaude complètement aléatoire, après 10 h 30, c’est froid !”, s’agace Léa, demandeuse d’emploi de 36 ans, qui vit là depuis 7 ans. En connaissance de cause : “Quand j’ai loué, la propriétaire m’a prévenue que le bâti était pourri de chez pourri. Mais, faute de moyens, je n’avais pas vraiment le choix…”

Stigmates des squats passés nombreux, d’épaisses plaques de métal sont rivetées aux murs pour prévenir toute intrusion dans les locaux inhabités. Solution un peu vaine. Dans les couloirs qui desservent les studios, les placards abritant les colonnes d’eau ont été forcés. Dans certains d’entre eux, les cloisons intérieures sont défoncées, permettant l’entrée directement dans les appartements.

Voilà pour les communs. Les intérieurs sont dans des états très divers : du correct au franchement insalubre. Chez un résident, les murs de la cuisine gondolent et cloquent sous l’effet d’infiltrations. Même chose chez Aya. Elle paye 550 € mensuels pour ce studio où elle vit là avec sa fille de 4 ans. La maman écarte le rideau rose qui borde la fenêtre et révèle des murs moisis, rongés par l’humidité. La jeune femme, couturière en contrat d’insertion, a choisi de pousser plus loin le lit de la fillette pour qu’elle ne soit pas en contact “avec ça”. À la place, elle a mis le sien.

Dans l’espace étroit qui reste entre son lit et la télé, la gamine joue avec un ballon sauteur. Mais refuse d’aller au bain. “En même temps, je la comprends un peu”, souffle Aya. “Comme l’installation électrique est vétuste et que je prends le jus régulièrement, j’ai fait venir un électricien.” Son passage lui a coûté 200 €. Sur son rapport – que Marsactu a pu consulter – le professionnel s’alarme de l’absence de prise de terre et d’un potentiel “danger pour les personnes”. Il a conseillé à Aya d’enlever toutes les ampoules de la salle de bain “pour ne pas être électrocutée”. Depuis, mère et fille se douchent sans lumière.

Risque d’affaissement

Au Facultés, les immeubles A, B, C, D et E forment un U, autour d’une vaste cour vide, à l’exception d’un espace voué aux poubelles, en son centre. Sur cette dalle baignée de soleil, on ne peut ni jouer au ballon, “ni apporter une chaise longue pour lire un bouquin”, comme Léa souhaiterait le faire, ni même prendre le temps de fumer une cigarette. Des panneaux alertent, en rouge sur fond blanc : “Danger : risque d’affaissement. Par mesure de sécurité, la circulation et le stationnement des personnes sont interdits.”

“Par mesure de sécurité, la circulation et le stationnement des personnes sont interdites dans la cour”. Photo : Coralie Bonnefoy.

Au cœur du bâtiment E, un homme glisse entre deux portes : “Mais ce qui fait peur, surtout, c’est les voyous qui mettent le feu…” Il fait référence à un sinistre survenu le 10 avril ; l’incendie volontaire de scooters devant l’unique entrée qui dessert les cinq immeubles. “Ça, vraiment cela m’a mise en colère. Parce que je n’ai pas prévu de mourir ici, moi !”, s’exclame Sabine. 

Dans une lettre adressée au préfet des Bouches-du-Rhône le 25 avril et co-signée par quatre-vingt-dix locataires, elle attire l’attention sur le risque de “pertes humaines” en cas d’incendie. “Le feu a pris près du seul accès de la résidence. Nous ne disposons ni de sortie de secours, ni de plan d’évacuation, ni de portes coupe-feu. Et puis le sol de la cour menace de s’affaisser, alors comment des pompiers pourraient-ils intervenir ?”, interroge-t-elle, avant de préciser que l’essentiel des cloisons intérieures des bâtiments est en bois et donc “hautement inflammable”.

Question de sauvegarde

Avec ce courrier, les résidents interpellent aussi les services de l’État sur le plan de sauvegarde acté par arrêté préfectoral le 24 août 2015. En décembre de la même année, la commune d’Aix-en-Provence confie par ailleurs à sa société publique locale d’aménagement (SPLA) “Pays d’Aix territoires” une concession pour réaliser l’aménagement d’un vaste périmètre dont fait partie la résidence Les Facultés. “Et depuis… rien !”, soupire Sabine. “Je conçois que tout cela ce soit complexe à mettre en place, mais quand même…”.

“Il faut tenir compte de l’historique de cette résidence, répond Laurent Fergan, gérant du syndic de copropriété Fergan, gestionnaire du site depuis début 2018. La copropriété – laissée à l’abandon par l’ancien syndic [Citya (1), ndlr] et défaillante dans ses paiements – est placée sous administrateur judiciaire de 2014 à fin 2017.” Dans le même temps, la Sacogiva, office HLM mandaté par la Ville d’Aix, se porte acquéreur de lots mis à la vente. Le bailleur social possède désormais environ 30 % des lots de la copropriété.

“Cela a redressé la situation financière de la communauté, précise Laurent Fergan. Elle n’est plus endettée, sa trésorerie est régulière et positive.” Stabilité requise pour que puisse s’enclencher le – long – mécanisme du plan de sauvegarde. “Un maître d’œuvre a été nommé, il a évalué à plus de 8 millions d’euros les travaux à réaliser sur 10 ans et les a répertoriés en trois types : urgents, moyennement urgents et améliorations”, synthétise le gérant du syndic. Entre 50 et 80 % de ces sommes devraient être prises en charge par les institutions partenaires de plan.

L’effet prison

“Nous aussi, nous sommes très impatients”, abonde Jérôme Bonnet, président du conseil syndical. “Le processus est long, ce sont les vicissitudes d’une procédure administrative complexe avec une multitude d’interlocuteurs, mais cela reste une opportunité pour la résidence.” Les copropriétaires ont mandaté un architecte chargé d’établir le programme de travaux des communs. Il leur sera présenté lors de la prochaine assemblée générale, en septembre prochain. “D’ici là, j’espère que nous aurons un peu de visibilité financière pour ce qui est de la part des institutions. Car si elles prennent en charge 50 % ou 80­ % des montants engagés… ce n’est évidemment pas la même chose”, poursuit Jérôme Bonnet. Reste, convient le représentant des propriétaires, que des défaillances dans la gestion du syndic ont clairement été identifiées, notamment “des manquements en termes de sécurité incendie” qui appellent des réponses immédiates.

Photo : Coralie Bonnefoy

Le syndic demande un peu de patience aux locataires comme à leurs propriétaires. Il promet “une belle réhabilitation des immeubles, mais pas avant un an”. Et se satisfait d’avoir, dans un premier temps, répondu à “l’urgence de la mise en sécurité du site”.  Vigiles à l’entrée, badges, grilles empêchant tout accès dans la résidence, caméras. “Tout, ça, c’est pour la déco !”, peste Aya. “Ça ne résout rien. On nous enferme. Mais ça deale toujours, ça fume toujours du shit dans les escaliers… Ça doit coûter une fortune et c’est du pipeau !” Léa tempère : elle se sent sécurisée par ce dispositif, même si elle trouve que désormais “la résidence fait un peu prison…”

En attendant que la résidence connaisse des jours meilleurs, Sabine tente de proposer des initiatives – plantations de fleurs, bibliothèque partagée – pour “créer du lien et amener de la vie”, dans cette vaste cour où seules peuvent stationner les poubelles. Pas de quoi dissiper l’accablement ambiant. Rares sont ceux qui croient voir un jour les effets concrets du plan de sauvegarde venir améliorer leur quotidien. Une locataire désespérée conclut : “C’est une vaste escroquerie ce truc, je crois qu’ils auraient mieux fait de tout détruire”.

1) Le 24 avril 2019 le cabinet Citya (de même qu’un de ses prestataires) a été condamné par le TGI d’Aix-en-Provence pour faute dans le cadre de la gestion de la copropriété.

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Commentaires

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  1. petitvelo petitvelo

    #le professionnel s’alarme de l’absence de prise de terre et d’un potentiel “danger pour les personnes”. Il a conseillé à Aya d’enlever toutes les ampoules de la salle de bain “pour ne pas être électrocutée”. Depuis, mère et fille se douchent sans lumière.#
    Il s’agit d’une norme plutôt récente, nous devons être assez nombreux à ne pas avoir d’éclairage avec prise de terre dans nos salles de bain. Je pencherais pour un bon 50%.

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