[L’été à La Valentine] Traîner dans la zone
On la connaît pour ses magasins à perte de vue, ses embouteillages et ses fast-food. Centre commercial avant tout, la Valentine n'en demeure pas moins un lieu de vie pour des milliers de Marseillais. Pendant l'été, loin des touristes, Marsactu arpente la zone. Premier épisode à la rencontre de ceux qui profitent de l'été pour y flâner.
Le centre commercial de la Valentine, à l'extrémité Est de Marseille, enjambe l'autoroute A50. (Photo : LC)
C’est un coin de Marseille chargé de paradoxes. Une petite vallée à l’extrémité Est de la ville où, entre les vertes collines adorées de Pagnol, une zone commerciale de plus de cent hectares a depuis longtemps fait son lit. L’été venu, le brouhaha des voitures au ralenti s’affronte au chant de cigales surmotivées. La Valentine, puisque c’est d’elle dont il est question, est un lieu de passage obligé pour beaucoup de Marseillais quand il s’agit de trouver un canapé, un meuble en kit ou de refaire la garde-robe des petits, en repartant le plus vite possible pour éviter les bouchons sur l’A50 s’il n’est pas déjà trop tard. C’est aussi un quartier où vivent, principalement dans des zones pavillonnaires, autour de 4000 Marseillais. Une goutte d’eau dans une métropole. Mais cela n’empêche pas ces parvis de goudrons à perte de vue, ces immenses hangars climatisés et ces ronds-points en enfilade de faire de ce bout de ville périphérique un lieu de vie avec des habitudes et des habitués.
“L’été, à la Valentine, les gens ils mangent, ils vont à Ikea, comme en hiver ! L’avantage c’est qu’ici c’est climatisé, c’est tout”, balaye Florian, natif du quartier. Bien sûr, les habituelles familles rassemblées derrière un caddie sont là, les enfants font les caprices attendus dans les fast-food ou ailleurs et les files de voiture devant le bloc bleu du géant suédois ne bougent pas. Mais dans les interstices, il y a ceux qui sont là pour le plaisir ou juste pour traîner.
“À 100 % dans la zone”
Laura, Marion et Brandon sont des amis de longue date, ils ont tous les trois 27 ans. Ce mercredi après-midi, ils viennent de quitter la terrasse d’un glacier de la galerie Géant Casino, avec vue sur le parking. Ils sont ici simplement pour “boire un café”. Ils viennent des quartiers alentours, alors forcément “y a pas grand-chose d’autre, à part si on va dans une boulangerie”.
“J’aime la zone de la Valentine parce que c’est tranquille, mais y a rien à faire, tout est au centre-ville”, déplore Brandon. Marion, longs cheveux blonds décolorés et tatouages en arabesques, vit juste à côté, aux Trois-Lucs, et travaille chez Ikéa. Autant dire qu’elle sort très rarement du périmètre. “Moi, je suis à 100 % dans la zone. J’ai l’accès à l’A50, la L2, la zone commerciale, je suis limitrophe d’Allauch, j’ai pas à me plaindre”.
Tous trois évitent de s’aventurer trop souvent dans le centre-ville. “C’est l’horreur pour se garer”, souffle Laura, quand son camarade lâche, dans une allusion peut-être pas involontaire à un ancien président de la République : “Il y a le bruit, l’odeur, ça pue. Je pourrais pas y vivre.” Marion ajoute : “Parfois des clients me disent “je viens de Marseille”, j’ai envie de répondre, “bah tu sais quoi moi aussi”, je suis pas moins Marseillaise parce que je vis ici.”
Place-to-be des ados de l’Est marseillais
Un petit tour à l’extérieur de la galerie vient confirmer une piste glissée par des connaisseurs : la Valentine est aussi un point de rendez-vous pour les ados de tout l’Est marseillais. Tout au fond du parking, qui compte près de 3000 places, bien calées dans une voiturette sans permis vermillon, Lou et Téa savourent leurs big mac de 17 heures. Pendant les grandes vacances, les deux lycéennes originaires de La Rose (13e) passent beaucoup de leurs après-midi dans la zone. Avec son petit bolide qui fait fureur parmi la jeunesse, “dans les milieux aisés”, concède-t-elle, Lou, 16 ans, met à peine 20 minutes pour s’y rendre. Bien mieux que la grosse heure qu’il lui faudrait en transports.
“Il y a beaucoup de monde en sans permis à la Valentine, c’est un peu une mode. On se retrouve au McDo avec des jeunes qu’on connaît ou qu’on connaît pas”, explique-t-elle en passant machinalement ses faux ongles clairs dans ses cheveux sombres. Au programme ce mercredi, un tour des boutiques de la galerie du Printemps, de l’autre côté de l’autoroute, et donc, la pause fast-food. “Y a plein de trucs à faire, les magasins sont bien, y a plein de restaus et puis c’est plus facile pour se garer”, souligne l’ado. Parfois, elles fréquentent aussi le bowling ou le cinéma, mais la dernière séance commence à remonter.
Quand c’est les vacances on sait qu’il y aura du monde.
Paul, 16 ans
À l’ombre du Géant Casino, sur le banc d’une petite aire de jeux, Paul et sa chérie Maguelone, 16 ans chacun, sont lovés dans les bras l’un de l’autre. Eux aussi viennent à La Valentine pour retrouver leurs semblables. “C’est un rendez-vous sans se donner rendez-vous. Quand c’est les vacances on sait qu’il y aura du monde”, décrypte-t-il. Le couple vient à peu près tous les quinze jours “pour faire les magasins même si parfois, on n’achète rien”. Et tant pis aussi si on ne croise personne, les tourtereaux n’ont pas l’air de chercher la compagnie plus que ça. Un peu moins “aisés” que d’autres habitués, eux se déplacent en bus. Lui descend d’Allauch, elle arrive du 11e, la zone est donc parfaitement située pour les retrouvailles à mi-chemin. “C’est le moment où on est un peu plus autonomes”, sourit Paul sous le regard noisette enamouré de sa moitié.
Quelques mètres plus loin, trois autres jeunes attendent le bus retour après une virée shopping. L’été, ils passent souvent et sinon ils vont à la plage, “mais pas à Marseille, c’est sale et il y a trop de monde”. Un refrain décidément très partagé ici.
Tourisme de galeries
Dans les travées des galeries marchandes, une autre population crée la surprise en ce moment : les touristes. Bien sûr, pas les hordes de jeunes branchés qui s’encanaillent à Malmousque ou la Plaine à l’heure de l’apéro. Mais des familles qui viennent de l’étranger ou du reste de la France et ne passent pas inaperçus. “On les reconnaît à l’accent”, glisse la manager d’un café. “C’est sûr que c’est pas les Marseillais qui me font vivre”, confirme avec dépit un commerçant implanté depuis longtemps dans la galerie du Géant. Lui a repéré dans sa clientèle des touristes en séjour à Cassis ou même en cure thermale aux Camoins, non loin de là.
À proximité du Printemps, on finit par identifier des spécimens avec certitude. Ahlem et Hicham, parents d’une petite Djéna, 6 ans, confirment, ils ne sont “pas du tout” d’ici. Ils arrivent d’Île-de-France et ont choisi le 11e pour séjourner à Marseille pour des raisons pratiques : on leur prête un logement pour la semaine. Après une journée touristique somme toute assez classique –“Palais Longchamp, Corniche” – “on voulait s’arrêter dans un centre commercial pour le goûter”, indique Ahlem, la mère de famille. Leur fille a pu avec bonheur avoir droit à un tour de voiturette électrique dans les allées carrelées de la galerie. “C’est notre première fois ici, mais on avait déjà fait le Merlan”, ajoute-t-elle, avec l’idée en tête de se renseigner sur les activités présente dans la zone, cinéma et bowling tout particulièrement.
“La semaine dernière j’ai servi une Américaine qui vivait en Pologne”, nous raconte aussi Allison, en poste dans une boutique alimentaire. La jeune femme de 18 ans partage sa surprise : “Il y a des Allemands, des Néerlandais par exemple. Moi, je pensais qu’ils seraient plutôt dans le centre-ville”. Native des Caillols, quartier populaire tout proche, elle aurait préféré trouver un job ailleurs pour voir “plus de monde”. Mais elle s’accommode de la clim et des relations cordiales avec les échoppes voisines. L’œil malicieux, elle confie ses observations après de nombreuses heures de solitude à attendre le chaland.
On dirait que les gens sont d’une autre planète.
Allison, vendeuse
“C’est quand même bizarre cet endroit, on dirait que les gens sont d’une autre planète”, démarre-t-elle sur un ton un peu mystérieux. On lui demande d’en dire plus, elle répond par un exemple : “Ces derniers mois, ça fait quatre fois qu’il y a Vivian, le mec des Marseillais [la télé-réalité de W9, ndlr] qui passe devant ma boutique. Moi, je regarde pas les Marseillais, mais quand même, ailleurs ce serait pas pareil. Là il est incognito. Comme si sa popularité, elle avait disparu.” Pour elle, la conclusion est simple : “Ici, tout le monde fait sa vie et personne ne se regarde”. À la sortie de la galerie, Géant Casino a installé un petit terrain de boules décoré de fanions multicolores. Pendant l’été, les joueurs se verront remettre un bon d’achat de 5 euros, promettent des affichettes. Las, la clientèle passe devant sans sortir de triplette. Lui non plus, comme dirait Allison, personne ne l’a vu.
Commentaires
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Amusant et édifiant ! De mon côté, hormis pour quelques « meubles en kit », je reste fidèle au centre ville à l’encontre duquel j’ai souvent entendu aussi les reproches que vous citez, de la part d’une certaine jeunesse – pas que dorée – vivant dans l’Est ou le Sud de Marseille.
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Je pense à des photographes, des cinéastes, des écrivains aussi, qui ont decrit à leur façon la banlieue. La banlieue pavillonnaire. La vie, la jeunesse dans ce type de territoire. En France. Aux États-Unis. L’ennuie. La construction d’une vie dans ces repères là, galerie commerciale, glacier, multiplex, parking…
Hâte de lire la suite.
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Pour avoir longtemps vécu près de la Valentine, c’est un coin qui est très loin de me faire autant rêver que certaines galeries de banlieue américaine comme on peut en voir dans les films et les séries…
C’est peut-être très subjectif, mais avec le temps, la Valentine c’est un peu devenu une des définitions de l’enfer à la marseillaise : captif des voitures et de leurs bouchons, captif du goudron, captif des grandes enseignes à perte de vue. Et presque une anomalie au milieu des noyaux villageois qui la bordent (Camoins/Accates, Saint-Menet, Caillols, Olives… et même le tout petit noyau du village de la Valentine, ou ce qu’il en reste, depuis longtemps bouffé par cette zone et l’usine Heineken).
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Vivement la réhabilitation de l’huveaune!
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J’adore , merci
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