L’État et la Ville jouent à la patate chaude avec la réussite éducative

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le 6 Juin 2016
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Depuis des mois, les principaux partenaires de la politique de la Ville, l'État et la municipalité se chamaillent autour du programme de réussite éducative, censé prévenir le décrochage scolaire. L'Etat qui reprend le dispositif en gestion pointe la faiblesse du bilan. En attendant de changer de patron, les salariés se sentent abandonnés.

Une vue de l
Une vue de l'escalier du passage de Lorette au Panier. Photo : Marin/Flickr

Une vue de l'escalier du passage de Lorette au Panier. Photo : Marin/Flickr

À la fin du mois de juin, les 17 salariés du programme de réussite éducative (PRE) ne sont pas certains d’avoir besoin d’une trousse et d’un cartable à la rentrée. Et pour cause, ils n’auront pas tous un emploi à cette période. Depuis des mois – voire des années – la municipalité et l’État jouent à la patate chaude avec ce dispositif particulier de la politique de la ville. Mis en place à titre expérimental en 2005, ce programme vise à prévenir le décrochage scolaire en mettant en place des actions individuelles de suivi pour les élèves repérés par l’éducation nationale.

La démarche est fort louable : de 2 à 16 ans, chaque enfant est suivi par un référent en accord avec les parents. Ce dernier réalise un premier diagnostic et des préconisations. Celles-ci sont ensuite soumises à une équipe pluridisciplinaire de soutien composée de représentants des différentes institutions (caisse d’allocations familiales, structures sociales, département, éducation nationale, agence régionale de santé, éducateurs…). “Selon les cas, nous décidons ensuite de la mise en place d’une action spécifique soit sur le terrain de la santé, de l’action socio-culturelle, du suivi scolaire ou du social”, détaille un salarié sous couvert d’anonymat. Une partie du dispositif passe également par des associations partenaires.

La rage et la mort du chien

Au fil des années, le programme de réussite éducative a évolué au gré des changements de politique nationale et des décisions conjointes des deux tutelles réunies au sein du groupement d’intérêt public qui pilote la politique de la ville à Marseille. Avec, à chaque changement d’orientation, un sentiment diffus d’échec pour les équipes en place. “Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. C’est comme ça que nous l’avons vécu en interne”, reprend le même salarié.

En 2015, avec l’arrivée de la métropole et “la montée” de la compétence politique de la ville à l’échelon métropolitain, des rumeurs font état d’une disparition pure et simple du dispositif. Puis la Préfecture annonce qu’elle récupérera en son giron l’ensemble du PRE à partir de la rentrée 2016. “C’est tombé en octobre de manière brutale. Les référents qui sont en contrats à durée déterminée ont appris qu’ils s’arrêtaient tous au 30 juin 2016“, explique une salariée. En décembre 2015, la direction de la politique de la ville leur demande de ne plus faire entrer d’élèves dans le dispositif. En avril, les cinq coordonnateurs en contrat en durée indéterminée sont convoqués à un entretien préalable au licenciement. Ils doivent même solder leurs congés avant les vacances d’été.

Rétropédalage de la préfecture

Quelques semaines plus tard, le préfet délégué pour l’égalité des chances rétropédale et annonce que finalement les CDI resteront sous leur contrat actuel avant le transfert vers une nouvelle structure. Il devient urgent de faire refroidir le tubercule et, en début de mois, le préfet pour l’égalité des chances, Yves Rousset, reçoit l’ensemble des salariés concernés. Il se décide également à communiquer sur le transfert en cours, comme récemment avec Le Ravi.

“À Marseille, le programme de réussite éducative est une capsule au sein de la politique de la ville exclusivement financée par l’État, explique Yves Rousset, derrière sa grande table de réunion. C’est différent dans d’autres communes du département et dans le reste de la France. La participation de la Ville correspond à la valorisation des locaux. C’est à dire, 0,00 quelque chose. En 2016, le montant global est de 1,74 millions. Ce n’est pas rien. Aujourd’hui, nous n’avons pas la main sur ce qui se fait. Donc nous avons décidé de reprendre le PRE. Il n’y aura pas de rupture dans le suivi des gamins. Le dispositif prendra fin au 30 juin et reprendra à la rentrée avec une nouvelle organisation“.

Un véhicule pour le tubercule

Tout d’abord, le tubercule doit être doté d’un nouveau véhicule. Pas de roulettes, ni de patin, c’est d’un outil juridique dont il est ici question. Les textes de loi prévoient en effet que les programmes de réussite éducative doivent être portés par une entité juridique propre. Si le groupement d’intérêt public (GIP) qui portait la politique de la ville doit s’éteindre en décembre, un nouveau GIP verra le jour pour le seul programme de réussite éducative marseillais.

Il sera constitué durant l’été avec les nécessaires allers et retours ministériels pour caler l’outil juridique. Quant aux membres du conseil d’administration, ils ne sont pas encore arrêtés. Le préfet évoque l’éducation nationale, la caisse d’allocations familiales et l’agence régionale de santé, sans certitude. “Si un jour, la Ville veut venir, elle est la bienvenue à condition qu’elle participe financièrement”, ajoute-t-il. Comme cela se fait dans les autres villes.

“La ficelle est un peu grosse”

Si Yves Rousset nie tout règlement de compte sur sur le dos du dispositif, il n’hésite pas pointer du doigt ses résultats, arguant même de l’absence de bilan qualitatif en 2015. “Cela a donné lieu à des remarques acerbes de ma part lors de la dernière assemblée générale du GIP, raconte-t-il en se saisissant du rapport d’activité de la politique de la ville. Dans un tout petit paragraphe, le document fait un bilan chiffré du PRE. Or, la ficelle est un peu grosse : ils annoncent 1500 enfants suivis en 2014/2015 et 1047 en 2015/2016. Ils raisonnent en années scolaires, ce qui crée forcément des doublons. En réalité, aujourd’hui, 571 sont inscrits dans le dispositif et 271 font l’objet d’un suivi”.

La présidente du GIP, en charge de la politique de la ville à Marseille et à la métropole, la centriste Arlette Fructus ne veut pas jeter d’huile sur le feu. Mais elle tousse un peu sur ces arguments financiers. “Le dispositif a été créé en 2005 à titre expérimental à Marseille, bien avant que monsieur Rousset arrive, explique l’adjointe au maire, acide. À l’époque, il a été décidé que l’Etat financerait seul le dispositif. Mais il faut tout de même rappeler que la Ville et l’État contribuent à part égale au budget de la politique de la ville. Si la Ville avait dû participer, elle aurait forcément cessé de financer d’autres actions”. Arlette Fructus cite également les dispositifs de soutien scolaire financés par sa collègue adjointe aux écoles. “Nous sommes complètement engagés dans la lutte contre le décrochage”, plaide-t-elle.

Bataille de chiffres

Quant au bilan chiffré, il n’est pas mieux apprécié : “Il s’agit juste d’un décalage dans le calcul. L’État fait son bilan par année civile alors que nous avons toujours fait un bilan sur l’année scolaire, ce qui n’a jusque-là jamais posé problème”. La preuve la plus flagrante est la suspension du dispositif en juin “comme chaque année”, comme le souligne le préfet lui-même.

Ces bisbilles entre partenaires institutionnels de la politique de la ville créent des dégâts dans les étages du dessous. Chaque nouveau préfet pour l’égalité des chances met en place une nouvelle feuille de route. Or, celle de Marie Lajus, qui a précédé Yves Rousset à ce poste était très politique : il s’agissait d’accompagner le plan pour Marseille voulu par le gouvernement avant les municipales. Pour sa part, Yves Rousset vient de l’éducation nationale et aime à le rappeler, comme il l’a fait devant les salariés du PRE en Préfecture. “Cela fait des années que nous subissons les tensions entre la Ville et l’Etat mais nous n’avons pas à payer leurs histoires politiques, constate une salariée. En 2015, ils n’ont pas remplacé les référents qui partaient. Dans certains secteurs, entre les congés maladie et les départs, cela a été une hécatombe. La même année, par deux fois, on nous a dit qu’il n’y avait plus d’argent et qu’il fallait arrêter les prestations. Nous n’avons jamais su à quoi été dues ces coupures et le préfet assure que ce n’est pas du fait de l’Etat. En attendant, ce n’est pas simple de fonctionner dans ces conditions”.

Nouveaux objectifs

À la rentrée, le PRE prendra donc une nouvelle forme : recentré sur les collèges du réseau d’éducation prioritaire, en lien direct avec les chefs d’établissements et les délégués du préfet. “Pour un dispositif plus resserré avec des temps de parcours plus courts et un nombre d’élèves suivis qui doit rapidement atteindre les 2000”, détaille Yves Rousset. En attendant, les 5 coordonnateurs (en CDI) voient leurs postes supprimés. Ils devront soit se positionner sur les postes de référents rattachés au collège soit être candidats aux deux seuls postes de direction. Quant aux référents en CDD, ils sont invités à présenter leur CV pour être recrutés (ou pas) en septembre. “Nous aurons besoin d’eux, c’est évident, reprend le préfet. Mais pas de tous…”

Ce n’est pas la première fois, que le programme de réussite éducative est sur la sellette. Déjà en 2013, un rapport pointait le long temps de prise en charge des élèves suivis. “Supérieurs à 20 mois alors que seulement 19% des PRE au niveau national ont une durée moyenne des parcours de plus de 18 mois”, détaillait le cabinet Trajectoires. Il pointait également le faible taux d’actions individuelles. En 2013, “583 enfants seulement sont en parcours de réussite éducative, soit 36%” à avoir un suivi individualisé sur tous les enfants bénéficiant d’action financées dans le cadre du PRE, écrit le rapport. La préconisation était donc d’atteindre 100% d’actions individuelles et de raccourcir la durée des parcours entre 6 mois et un an. La direction du GIP Ville a mis en oeuvre les préconisations du rapport les années suivantes, pas assez vite aux yeux de l’Etat.

Travaux de vacances

Si les salariés interrogés trouvent “légitime” d’augmenter le nombre d’élèves concernés par le dispositif, ils défendent aussi la spécificité de leur approche. “Ils ne comprennent pas que le suivi des enfants en difficultés scolaires est forcément long. Quand on place un enfant en soutien scolaire renforcé, on attend que cela donne des résultats avant de le sortir du dispositif, assure une référente. Et même si on élargit le spectre des enfants repérés, cela reste long. On parle souvent du minot timide et en surpoids au fond de la classe, quand on évoque la nécessité d’élargissement de la cible. Mais vous pensez qu’on peut lutter contre le surpoids en quelques mois?”

Les cinq salariés maintenus dans le dispositif auront du temps pour bosser la question : faute de jours de congés encore disponibles, le préfet leur demande de mettre à jour les statistiques et de réaliser un bilan qualitatif du dispositif. L’avenir dira si la révolution en cours finit par avoir un effet sur le niveau du décrochage scolaire à Marseille.

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Commentaires

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  1. Fabien M Fabien M

    Le Dros, le CCAS de Marseille et l’Agam travaillent actuellement sur la thématique “des décrocheurs” en région Paca, il serait peut-être intéressant de les contacter.

    Bien à vous,

    Signaler

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