Les révolutions vues par les profs d'arabe de l'université de Provence

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le 12 Avr 2011
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Les révolutions vues par les profs d'arabe de l'université de Provence
Les révolutions vues par les profs d'arabe de l'université de Provence

Les révolutions vues par les profs d'arabe de l'université de Provence

Ils enseignent la grammaire arabe, la poésie anté-islamique ou les califats à Aix-en-Provence. Tous ont vécu dans le monde arabe et sont en contact réguliers avec ses habitants. Lundi, les profs du département des études moyen-orientales de l’université de Provence sont sortis de leurs cours, pour discuter avec leurs étudiants et quelques curieux sur les révolutions en Tunisie et en Egypte, les manifestations en Syrie ou encore à Bahreïn. « Pour nous, il y aura un avant et un après 2010. On enseignera différemment la presse, l’histoire et même la langue. Nous avons aussi devant nous 10 ans de travail pour relire ces événements à la lumière de la sociologie, de l’histoire. C’est aussi un coup de projecteur sur des études arabes au moment où elles se portent très mal, avec un Capes pas ouvert et seulement trois places d’aggrégation, j’espère que cela ouvrira l’intérêt de nos dirigeants, mais aussi des étudiants« , a lancé Frédéric Imbert, prof de langue qui a enseigné au Caire.

L’insulte du jasmin

Pendant un peu plus de deux heures, ils ont en tout cas offert un regard critique sur le traitement de ces événements et sur la posture des « experts » que les médias font fleurir, préférant se borner à proposer « des axes de réflexion », a précisé Frédéric Imbert qui « comme d’autres [pensait] que le couvercle de la cocotte minute allait tenir ».

Premier rappel à l’ordre : « Le sang est toujours rouge et ne sens jamais le jasmin. Ces fleurs blanches sont une vision touristique qui insultent les arabes« , lâche-t-il. « Les Tunisiens préfèrent le terme de révolution de la dignité ou de Sidi Bouzid (la ville où Mohammed Bouazizi s’est immolé le 17 décembre, ndlr). La révolution du jasmin était la prise du pouvoir de Ben Ali », explique pour sa part Amani Rabah, elle aussi prof d’arabe. Effectivement c’était mal choisi…

Frédéric Imbert note lui que le terme intifada, « qui fait référence au dégoût, au haut le coeur » et n’a pas été employé, peut-être pour éviter la confusion avec le cas palestinien, « aurait très bien pu qualifier le point de départ de ces jeunes face à la pauvreté alors que leurs dirigeants montrent tous les signes de l’enrichissement ».

Al Jazeera avant Facebook

Sur les ferments des révolutions justement, si Internet « a fourni des outils, beaucoup plus que les réseaux sociaux ce sont les chaînes satellitaires qui ont fait mûrir en profondeur » ces sociétés, a estimé Edouard Méténier, qui enseigne la civilisation arabo-musulmane. Et de noter le « paradoxe » de ces « révolutions au pluriel » qui « s’inscrivent dans des cadres très étatiques mais dans un cadre culturel panarabe », notamment via Al Jazeera. « Ce sont les images du Tunisie qui ont allumé l’étincelle en Egypte », résume-t-il.

Avant de livrer ce deuxième rappel à l’ordre : les révolutions « c’est comme les champignons, ça ne pousse pas de rien, il y a des ramifications souterraines. Contrairement à une idée répandue, ces sociétés ne sont pas historiquement inertes ou passives face au pouvoir. Leur histoire est jalonnée d’émeutes urbaines, de révoltes rurales… » Dans le temps long, mais aussi plus récemment, comme l’a rappelé Mona Tolba, énergique prof de littérature à propos de l’Egypte : « les infos ne le suivent pas, mais il y a eu beaucoup de mouvements de révoltes avant le 25 janvier (date des plus importantes manifestations, ndlr) », assure-t-elle, évoquant des grèves dans les usines textiles ou encore chez les avocats.

Quand la peur change de camp

D’où la « surprise » de Mohammed Bakhouch, qui disserte habituellement plutôt sur la poésie : « Il y a un cycle régulier de contestation et de répression, il y a eu la révolte du pain (1984 en Tunisie, ndlr), on pensait que cette fois-ci ça allait être la même chose. Qu’est-ce qui fait que cela a pris une autre tournure ? Je pense que l’on était habitué à l’injustice, mais s’est greffé en plus le mépris. Et là, la peur avait changé de camp. Les manifestant pensaient qu’ils avaient le droit de ce qu’ils réclamaient. Après Mohammed Bouazizi, plusieurs autres se sont immolés, d’autres circulaient avec des cibles sur le corps ou se plaçaient dans des cercueils pour dire qu’ils étaient prêts à mourir pour que les choses changent. »

A un participant au débat demandant qui était derrière tout ça, tous ont d’ailleurs mis de côté la thèse de la révolution téléguidée. « Cette jeunesse qui traînait les pieds toute la journée dans les mall à regarder les vitrines, ça ne pouvait plus durer », a répondu Frédéric Imbert. « Les partis politiques n’étaient pas dans le coup. Les jeunes essayent d’ailleurs aujourd’hui de s’organiser pour peser au niveau politique », a complété Mohammed Bakchouch. Idem pour Edouard Méténier, qui a vu « une grande fraîcheur » à l’origine de ces mouvement. « Après, que dans un second temps les diplomaties voire les services secrets se mettent à l’oeuvre, j’allais dire c’est leur boulot ».

Guéant et les Frères musulmans

L’intervention de la France et de pays de l’Otan en Libye a d’ailleurs suscité des commentaires plus ou moins inspirés chez les étudiants. « Que l’on ait laissé sans aucun état d’âme le régime réprimer la contestation au Bahreïn, qui est situé face à l’Iran et où est stationné la 5e flotte américaine, et que l’on puisse s’interroger sur les motivations de certains, sans même un débat au Parlement, oui. Mais évitons les discours simplistes sur la rébellion régionaliste armée par l’Occident », a imploré Richard Jacquemond, directeur du département.

Mona Tolba ne s’est en revanche pas fait prier pour lancer un débat sensible, avec un parallèle grinçant entre « l’Islam de France » voulu par Nicolas Sarkozy et la « nationalisation, en fait la politisation, de l’islam en Arabie Saoudite, en Iran. Les Frères musulmans, comme l’UMP, instrumentalisent l’islam pour la conquête des urnes. Et ils utilisent les mêmes mots : en Egypte ils disaient récemment qu’ils se sentaient étrangers chez eux avec tous ces chrétiens ». On sait maintenant qui prépare les discours de Claude Guéant…

Mais entre la révision de la constitution egyptienne, le « désordre total » politique en Tunisie, qui compte désormais une soixantaine de partis, le « renvoi d’ascenseur » du Liban qui remercie son ancien occupant en passant des armes aux manifestants syriens, difficile de faire le tour en une seule fois. D’où l’idée d’un cycle de conférences-débats ouverts au public organisé par
l’Institut méditerranéen de recherches avancées, et dont le premier a eu lieu ce mardi autour du Yémen
. Evolutions à suivre donc.

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Commentaires

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  1. Marius Marius

    Voilà un démenti cinglant aux gugusses d’extrême-droite et d’extrême-gauche qui ont prétendu ne voir dans les révolutions arabes que la main cachée de la CIA.

    Signaler

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