Les procurations frauduleuses de la liste Ghali arrivent à leur tour au tribunal

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le 8 Oct 2024
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Ce mardi s'ouvre le procès des procurations frauduleuses du camp Ghali dans les 15e et 16e arrondissements lors des municipales de 2020, qui implique deux élus de l'actuelle majorité, Roland Cazzola et Marguerite Pasquini. À cette occasion, nous vous proposons de relire l'article que nous consacrions, le 2 juillet dernier, aux rouages de cette affaire.

Roland Cazzola, Sébastien Jibrayel et Samia Ghali au conseil municipal de décembre 2022. (Photo : Emilio Guzman)
Roland Cazzola, Sébastien Jibrayel et Samia Ghali au conseil municipal de décembre 2022. (Photo : Emilio Guzman)

Roland Cazzola, Sébastien Jibrayel et Samia Ghali au conseil municipal de décembre 2022. (Photo : Emilio Guzman)

En trois semaines, la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille aura ausculté trois dossiers relevant de faits plus ou moins similaires : l’établissement, en dehors des clous de la loi, de procurations pour les élections municipales de 2020. Après les fausses procurations dans les 6/8 et, surtout, dans les 11/12 marseillais, après celles de La Penne-sur-Huveaune, voilà que s’annonce l’affaire des procus litigieuses établies par des colistiers et des militants de la liste de Samia Ghali (Marseille avant tout), dans les 15e et 16e arrondissements de Marseille lors du dernier scrutin municipal.

Les faits seront étudiés de ce mardi 8 au 10 octobre dans la salle des procès hors normes de la caserne du Muy. S’ils ne revêtent pas la gravité des procurations recueillies dans les 11e et 12e arrondissements, notamment auprès de résidents d’un Ehpad, très âgés, souffrant pour certains de troubles cognitifs lourds, ils voient néanmoins trois prévenus, dont deux élus de l’actuelle majorité municipale — Roland Cazzola et Marguerite Pasquini — renvoyés pour les chefs de faux dans un document administratif et usage, et de manœuvres frauduleuses tendant à l’exercice irrégulier d’un vote par procuration.

Nous vous proposons de relire l’article que nous consacrions, le 2 juillet dernier, aux rouages de cette affaire.

 


 

“Je m’occupais d’aller au contact des gens toute la journée. Je ne m’occupais pas des procurations….” Entendue le 26 octobre 2021 par les policiers de la division de lutte contre les atteintes à la probité, l’adjointe de Benoît Payan, Samia Ghali, s’emploie à nier tout rôle dans l’établissement de procurations frauduleuses dans le cadre de la campagne des municipales 2020. Candidate hors des partis, l’ex-membre du PS décrit un fonctionnement de campagne assez libre, sans rôles spécifiques, en tout cas pas pour gérer le recueil de procurations.

La veille, dans le même service, sa colistière Marguerite Pasquini, conseillère municipale déléguée auprès de Benoît Payan, avait accepté de prendre sur elle l’établissement de dizaines de procurations hors du cadre légal. Elle a déposé au commissariat des formulaires de procuration et des pièces d’identité qu’elle avait recueillis auprès d’électeurs qui ne souhaitaient ou ne pouvaient se déplacer le jour du scrutin. “Je suis la personne qui a pensé qu’au vu de la situation, il y avait peut-être un aménagement de la procédure qui pouvait être mis en place, sans que cela soit décidé au niveau de l’équipe de campagne. Si certains de mes colistiers ont eu la même idée, ils ont dû le faire de leur propre initiative, sans que l’on se concerte ou que l’on reçoive de consignes.”

Comme son collègue Roland Cazzola et l’ancienne adjointe de la mairie des 15e et 16e arrondissements Patricia Aharonian, elle sera jugée du 28 au 30 octobre devant le tribunal judiciaire de Marseille. Tous trois, qui bénéficient de la présomption d’innocence, devront répondre de faux dans un document administratif et usage de faux, ainsi que de manœuvres frauduleuses ayant pour but d’enfreindre des dispositions du code électoral. La peine maximale encourue est de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, potentiellement assortis d’une peine complémentaire d’inéligibilité.

Alerte interne dans la police

Le dossier judiciaire, que Marsactu a pu consulter, permet de mieux appréhender la façon dont plus d’une centaine de procurations ont pu être enregistrées à l’initiative du camp Ghali hors de tout cadre légal. L’enquête part d’un signalement interne. Le 10 juin 2020, à la veille de la parution d’un article de Marianne et d’une enquête de France 2 sur des procurations frauduleuses réalisées par la droite, les autorités policières adressent un “rappel important” à leurs troupes : tout policier qui validerait une procuration hors de la présence du mandant et sans vérifier son identité s’exposerait à des poursuites pénales. C’est alors que le major de police M. du 15e arrondissement va se tourner vers sa hiérarchie. Au cours d’une réunion de service, il va déclarer avoir procédé à l’enregistrement d’une centaine de procurations apportées par liasses par Marguerite Pasquini et Patricia Aharonian. Cette dernière s’était fâchée en cours de campagne avec Samia Ghali et avait rejoint le candidat La République en marche du secteur, Saïd Ahamada.

L’enquête qui s’ensuit va alors essayer de comprendre la manière dont ont été établies ces procurations. Les protagonistes vont préalablement tâcher de minimiser leur rôle, avant d’être finalement confrontés à des éléments techniques qui vont fragiliser leur défense et même inquiéter leur patronne politique, Samia Ghali.  La journée du 10 juin va particulièrement être scrutée car c’est à cette date que le major M. “refuse de rencontrer à nouveau madame Pasquini” pour accepter de nouvelles procurations, note un rapport de police. Le même document précise que Samia Ghali tente alors à quatre reprises de joindre le commandant Henri Gil, aujourd’hui décédé et présenté par l’enquête comme l’intermédiaire des élus pour faire valider les formulaires — ce qu’il a toujours nié. Leur échange, qui dure alors dix-sept minutes, est inédit dans la durée au premier semestre 2020.

Le même jour, Charlotte Laugier contacte le commissaire divisionnaire de la division Sud Jean-Michel Hornus. “Elle m’indiquait avoir besoin d’un service, ce sont ses mots, et me demandait s’il était possible de venir faire des procurations à la division Sud car au Nord cela n’était pas possible”, explique l’intéressé au cours d’une audition. Selon son homologue de la division Nord, ce jour-là, à un peu plus de deux semaines du premier tour, la plus proche conseillère de Samia Ghali souhaitait faire valider une soixantaine de procurations supplémentaires. L’intéressée niera toute connaissance d’un système de procurations frauduleuses et dédouanera vigoureusement Samia Ghali.

Pièces d’identité en pièces jointes

Le système va donc s’arrêter net. Et, avant même le second tour des municipales le 28 juin, les enquêteurs vont tenter d’en remonter le fil. Mandataire après mandataire, ils vont interroger les motivations de ces personnes. Plusieurs montreront leur parfaite ignorance du système de procurations et, pour partie, leur faible connaissance des enjeux des municipales. Dans l’équipe Ghali, quand les documents ne sont pas remplis à la permanence ou en mairie de secteur, les pièces d’identité circulent par dizaines en pièces jointes de mails. Selon les déclarations de l’élue métropolitaine Férouz Mokhtari, destinataire de ces mails, comme de Samia Ghali, il s’agissait de vérifier la présence des personnes sur les listes électorales. Mais certains témoignages sèment le doute, comme cette déposition d’une mère de famille :

“J’ai envoyé par téléphone la photo de la pièce [d’identité], je n’ai pas gardé le numéro.
– Avez-vous fait des procurations pour vos deux filles ?
– Oui, pour F. et N. Mais N., elle savait pas, elle est pas au courant que j’ai envoyé la carte d’identité pour le vote, elle est dans un foyer.”

Au cours de l’enquête, certains concurrents s’en inquiètent, raconte aux enquêteurs un colistier du Printemps marseillais, Joël Dutto. Dans un courrier, l’ancien conseiller général communiste, colistier de Jean-Marc Coppola dans les 15e et 16e arrondissements, fait part des suspicions qui ont émaillé la campagne. “À l’occasion de briefings, il nous remontait le fait que les partisans de madame Ghali proposaient, lors de porte-à-porte, à leurs interlocuteurs et interlocutrices, l’établissement de procurations sans que les personnes n’aient à se déplacer. Ils indiquaient qu’il leur suffisait de photographier la carte d’identité des intéressé·es”, explique-t-il. Au cours de la campagne, plusieurs journalistes avaient effectivement été alertés par des militants du Printemps marseillais de ces soupçons, avant que les négociations du troisième tour et le rabibochage des deux listes de gauche restantes ne closent le débat.

Confirmant l’intuition des enquêteurs, les expertises graphologiques réalisées sur un échantillon de 47 documents montreront que de nombreuses procurations portent la même écriture : “Ce sont 39 des 47 procurations sélectionnées sur lesquelles Mme Pasquini et M. Cazzola inscrivaient des mentions”, conclut le rapport. Au fil des témoignages, on note qu’outre des rencontres sur le terrain, ce sont souvent des intermédiaires, dirigeants d’association, fonctionnaires ou syndicalistes qui redirigeaient vers les membres de la campagne Ghali les personnes susceptibles de dresser des procurations.

Les patients de Roland Cazzola

Dans cette campagne où l’équipe Ghali jouait sa survie politique, Roland Cazzola, infirmier libéral de profession, active un autre filon, celui de ses actuels et anciens patients, pour beaucoup en difficulté pour se déplacer. L’élu s’enquiert alors de leur vote. Onze d’entre eux vont donner procuration. À l’époque, les enquêteurs soupçonnent une atteinte à des personnes vulnérables : une personne dont la procuration a été annulée était sous tutelle et le consentement d’une autre n’a été recueilli que via sa fille. Mais les mandants sont souvent des proches des mandataires et Roland Cazzola, plus qu’un infirmier pour ceux qui lui confient leur voix. J’exerce la profession d’infirmier depuis trente ans, donc il y a des patients qui deviennent des proches. Certains m’ont effectivement demandé si je pouvais faire le nécessaire pour faciliter l’établissement de procuration”, explique l’élu en garde à vue.

À l’image de ses collègues, il dira avoir in fine fait confiance aux policiers, garants de la loi. Il déposait, dit-il “les Cerfa [formulaires, ndlr] de procurations imprimés sur internet, remplis au niveau du mandant et du mandataire avec les copies des pièces d’identité, dans le but que les policiers se déplacent aux domiciles des mandants”. Lors d’une deuxième garde à vue, il insiste : “Je reconnais ne pas avoir totalement respecté la procédure en remplissant moi-même les parties « mandataires » ou « mandant » ou les deux pour des personnes de ma connaissance, tout en étant persuadé que les services de police effectueraient le travail de vérification obligatoire dans cette procédure.”

Roland Cazzola, Patricia Aharonian comme Marguerite Pasquini n’auront jamais admis aux policiers une chasse organisée aux procurations. Au fil des investigations, les acteurs politiques du dossier ont cherché à minimiser le rôle des uns et des autres. Ce n’est que confronté aux résultats de l’enquête que Roland Cazzola a dû admettre être passé par Marguerite Pasquini pour le dépôt de procurations. Josette Furace, aujourd’hui conseillère municipale, avait dans un premier temps déclaré être allée elle-même au commissariat avant d’être démentie. Quant à Sébastien Jibrayel, actuel adjoint, il déclare d’emblée avoir donné sa procuration à Marguerite Pasquini, en disant tout ignorer du fonctionnement des procurations.

Les enquêteurs, qui évoquent “une probable connaissance du système de procurations frauduleuses par Samia Ghali“, ne pourront dépasser le stade des soupçons. Dans leur synthèse, ils ne peuvent s’empêcher de noter : “La forte humilité qu’elle clamait vis-à-vis de ses colistiers au cours de la campagne était en opposition avec les enjeux des scrutins et de leurs résultats déterminants, tant dans la nomination du maire de Marseille que dans son positionnement au premier plan de la mairie centrale.” Sollicitée par Marsactu par l’intermédiaire de sa directrice de cabinet, Samia Ghali n’a pas fait de commentaire, tout comme les avocats des trois prévenus.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    ahhhh !! enfin !!!!
    j’ai le malheur de connaître un abonné qui sera tellement content !
    je suis heureux de retrouver JM Leforestier sur ce dossier.

    oui, une centaine de procurations frauduleuses. mon point de vue est toujours le même, c’est un délit qui doit être puni, et ces auteurs doivent passer leur tour.
    même si ils n’ont pas eu l’idée d’aller terroriser les personnes vulnérables dans un ehpad, ils ont sûrement profité de la vulnérabilité et d’une forme de confiance de certains électeurs.
    on peut noter que là, comme dans le 11-12, galli n’est pas impliquée : elle aussi semble-t-il, n’était au courant de rien !
    mais qui sont ces élus irresponsables de leurs équipes ?

    cela jette évidemment l’opprobre sur l’ensemble des élus, et des politiques. c’est de l’eau au moulin de “tous pourris”. dommageable.

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    • Alceste. Alceste.

      L’abonné auquel vous faites allusion n’est pas content, au contraire. Voir ses idéaux de jeunesse et même un peu plus trahis,dévoyés,détournés avec des pratiques dégueulasses mises en oeuvre par cette équipe de ” gauche” faites de médiocres m’écœure.
      J’avais espéré avec le PM ,mais que voulez vous avoir avec les héritiers et héritières de Guerini. Trahisons sur trahisons. Se faire ” enfler” une fois pas deux .N’étant ni fonctionnaire territorial, ni associatif dans la mouvance de gauche,n’ayant besoin d’aucun services de leur parts je n’attends qu’une chose û minimum de probité. Visiblement, cette notion n’a aucun sens pour ces gens là. N’ayant pas été élevé dans ce manque de valeurs ,je n’ai donc rien à faire avec eux. Ce que je dis là, est valable pour ceux d’en face aussi. Alors tous pourris,à Marseille nous en sommes très proches.
      Je serais content sûrement quand les Payan,Ghali seront virés. Des escrocs même pas sympathiques.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    C’est quand même dingue ces colistierrs et autres militants, quand ce ne sont pas des élus, qui ignorent les procédures ! Je pense que dans le lot, il y a des individus vraiment mal formés, qui ne pensent pas mal agir, (et je pense à droite comme à gauche), mais il y a des responsables au dessus d’eux, qui eux savent que ce n’est pas légal, que c’est problématique et qui vont tout faire pour cacher ces actes.
    Ces mauvaises habitudes doivent cesser, les pratiques politiques doivent etre assainies, il en va de la survie de la démocratie.

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    • GlenRunciter GlenRunciter

      Je pense au contraire que tout ce petit monde de politiciens de série Z sait parfaitement ce qu’il fait. Décidément Marseille ne s’en sortira jamais…. C’est qui déjà le dernier homme politique au-dessus de tout soupçon à avoir dirigé cette ville ?

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  3. Patafanari Patafanari

    Avec le vote électronique qui se pointe, permettant de nouvelles possibilités de fraude raffinées et massives, ces petites magouilles artisanales vont disparaître. Elles laisseront dans la mémoire des anciens le souvenir délicieux d’une époque révolu ou l’humain avait encore sa place.

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    • julijo julijo

      Oui c’est sûr ! Tous les espoirs sont permis
      Oiseau de mauvaise augure, patafanari ?
      Pas si sûr, le pire est toujours possible !

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  4. Alceste. Alceste.

    A condition de trouver de l’intelligence ,même artificielle chez ces pieds nickelés marseillais. C’est loin d’être gagné avec des QI de bulots.

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  5. petitvelo petitvelo

    Celui à qui profite le crime fait du recel, il mérite d’être puni d’ineligibilité, un peu comme un joueur de rugby qui agresse un arbitre est exclu à vie.
    Ces écarts pèsent lourd sur une vie démocratique où celui qui a souvent gagné de 1%, parfois grace au découpage, aux arrangements de procédures et au front anti front … se met ensuite à gouverner comme s il avait été élu par 80% des électeurs… zt avec pour objectif principal sa réélection

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    • Patafanari Patafanari

      “Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n’est plus la peine de jouer aux cartes (électorales).”

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