Les dessous d’une réforme métropolitaine à marche forcée

Décryptage
le 13 Sep 2021
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D'ici décembre prochain, les élus locaux doivent aboutir à un projet de refonte de la métropole. Loin de sortir de nulle part, cette réforme est en fait en discussion depuis des mois. Notamment au Sénat où, durant l'été, les parlementaires locaux avaient déjà eu à se positionner. Rembobinage.

Aujourd
Aujourd'hui constituée de 92 communes, la métropole est appelée à se réformer. (Photo Emilio Guzman)

Aujourd'hui constituée de 92 communes, la métropole est appelée à se réformer. (Photo Emilio Guzman)

Et soudain la réforme de la métropole est sortie du chapeau présidentiel. Dix jours après l’intervention d’Emmanuel Macron au Pharo, la machine est lancée, remettant une nouvelle fois sur le métier un ouvrage maintes fois débattu.

En réalité, les discussions autour de cette réforme institutionnelle capitale pour le territoire ont commencé il y a plusieurs mois. Le sujet est sur la table depuis la fusion avortée avec le département. La mission confiée en 2018 à l’ancien préfet Dartout avait fini par faire long feu. “Il y avait trop d’oppositions notamment liées à l’intégration du pays d’Arles”, confiait Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires à Marsactu en marge du déplacement présidentiel. Mais le projet n’a pas totalement disparu de l’agenda gouvernemental.

Il a même connu son point d’acmé, en juillet dernier au Sénat. Dans l’indifférence quasi-générale, la Haute assemblée a examiné en première lecture la loi dite 3DS – pour Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification. Le 16 juillet, les sénateurs ont débattu d’un amendement déposé par Jacqueline Gourault, au nom du gouvernement. L’article 56 qu’il se propose de modifier porte en germe le projet d’évolution de la métropole Aix-Marseille Provence. Une nouvelle fois, le gouvernement essaye de remodeler les institutions autour de la seconde ville de France avant la fin de la mandature.

L’amendement Gourault “pour sortir du blocage institutionnel”

“Il est temps de sortir de cette situation de blocage. Un dialogue s’est ouvert, les acteurs sont prêts à faire bouger les lignes. Nous sommes le 20 juillet 2021, la ministre de la Cohésion des territoires présente aux sénateurs le texte d’un amendement “qui dessine un chemin pour sortir du blocage institutionnel”. En quelques phrases, il trace les grandes lignes de la feuille de route gouvernementale pour Marseille et ses territoires. Le projet est concentré autour de trois points : redescente des compétences de “proximité” vers les communes, restriction des compétences qui pourraient être déléguées à l’échelon intermédiaire des territoires (Pays d’Aix, Pays d’Aubagne, etc.) et réforme en profondeur des fameux reversements aux communes.

Pendant plusieurs heures, les sénateurs et en particulier ceux des Bouches-du-Rhône vont batailler autour de ce projet qui – en dramatisant un tantinet – doit décider de la vie ou de la mort de la métropole. “Je me suis préoccupé de cette question métropolitaine dès mon élection, raconte Guy Benarroche, sénateur EELV depuis bientôt un an. J’ai multiplié les discussions avec les maires et élus locaux, notamment marseillais et avec la ministre. Le but était d’obtenir un projet qui fasse consensus et puisse émerger à travers la loi 3DS”. Finalement, c’est le gouvernement qui a pris la main sur ce sujet sensible.

Un territoire possède à lui seul 54 % des voix et que les cinq autres pourraient se voir contraints, sans consultation, à réduire leur budget.

Brigitte Devesa, sénatrice LR

D’après ce que je sais, Jacqueline Gourault avait planché sur une version plus consensuelle mais c’est Jean Castex qui a durci le texte au dernier moment”, glisse pour sa part Sophie Joissains, ancienne sénatrice et aujourd’hui vice-présidente de la métropole déléguée à… la réforme métropolitaine. Sa collègue aixoise, Brigitte Devesa dont c’était la première intervention au palais du Luxembourg a posé l’enjeu principal : “Rappelons qu’un territoire possède à lui seul 54 % des voix et que les cinq autres pourraient se voir contraints, sans consultation, à réduire leur budget…” Marseille est déjà dans le collimateur.

Le cas Marseille

“Même si j’ai des points d’accord avec Jacqueline Gourault et [le sénateur LR] Stéphane Le Rudulier sur l’évolution de la métropole, j’ai essayé de faire entendre la voix de Marseille durant ces débats”, reprend Guy Benarroche, originaire de la commune de la Bouilladisse. Il se fait notamment le porte-parole de son ancienne camarade de parti, Sophie Camard qui préside le groupe du Printemps marseillais à la métropole. Elle aussi est chargée de la réflexion sur l’évolution institutionnelle au sein du conseil municipal. “C’est avec elle que j’ai principalement échangé”, précise Guy Benarroche. Lors du débat, il monte au créneau à plusieurs reprises avec des amendements favorables à la ville centre :

“Marseille, qui représente 48 % des habitants, souhaite être une ville comme une autre dans cette métropole, ni plus, ni surtout moins.”

Le sénateur EELV défend principalement deux éléments : la capacité des communes à récupérer l’ensemble des compétences de proximité comme les cimetières, les zones d’activités, l’eau, l’assainissement, mais aussi “tous les accessoires de l’espace public” (bancs, arbres, potelets…). Problème : les 18 communes de l’ancienne communauté urbaine de Marseille ont depuis longtemps concédé la compétence voirie à l’échelon intercommunal. Au contraire des autres communes de la métropole qui auraient dû le faire en 2019. Il faudrait donc créer une nouvelle exception marseillaise. Mais le sénateur vert va plus loin : il envisage la création d’un conseil de territoire limitée à la seule commune centre. Une forme de principauté marseillaise, à l’heure où la ville-centre, passée à gauche, souffre de la mainmise de la métropole sur la plupart des dossiers.

La réforme de la métropole ne peut pas être guidée par la seule question de la situation politique (…) entre Benoît Payan et Martine Vassal.

Stéphane Le Rudulier, sénateur LR

“C’est un amendement de repli, justifie le sénateur. Notre idée était de permettre à Marseille d’assumer seul les compétences de proximité en s’appuyant sur un redécoupage des conseils de territoire que défendait la droite.” Pour Stéphane Le Rudulier qui menait les débats pour le groupe Les Républicains, le sujet n’était pas vraiment là : La réforme de la métropole ne peut pas être guidée par la seule question de la situation politique au sein du conseil de territoire Marseille-Provence entre Benoît Payan et Martine Vassal, explique le maire de Rognac. Les communes de la métropole ne veulent pas subir les conséquences d’une mauvaise gestion de la ville-centre. La question de Marseille est aussi celle des mécanismes de solidarité que la réforme de la métropole peut permettre de créer.

Solidarité et art du ruissellement

Dans son amendement, Jacqueline Gourault propose un mécanisme inédit pour réformer une des principales lacunes de la métropole : son incapacité à dégager des financements propres notamment du fait des reversements systématiques en direction des communes. Par sa voix, le gouvernement suggère de faire intervenir la chambre régionale des comptes comme un juge de paix sur ce sujet “du caractère manifestement disproportionné des attributions de compensation versées par la métropole aux communes membres”.

Pour l’heure, le Sénat à majorité LR a repoussé cette disposition. “Si on commence à entrer dans des comptes d’apothicaires pour savoir ce qui est légitime ou pas dans ces attributions de compensation, on ne s’en sortira pas, prévient Stéphane Le Rudulier. Ce qu’il faut, c’est un vrai système de péréquation qui permet aux communes les plus riches de venir en aide aux communes les plus pauvres. Cela passe par une forme de dotation de solidarité, calculée selon le potentiel fiscal de chaque commune. Mais soyons clair : cela ne suffira pas à dégager des marges de manœuvre pour la métropole.

Le sénateur LR pointe les “deux à trois milliards nécessaires” pour rattraper le retard de la métropole en matière de transports. “Depuis la création des communautés urbaines de Lyon et de Bordeaux, dès les années 60, ce sont des milliards de francs qui ont été apportés par l’État au fil des décennies”, reprend l’élu qui appelle l’État à de plus fermes engagements financiers en faveur du territoire. Lors de sa visite, Emmanuel Macron s’est arrêté à 1 milliard dont seulement 250 millions en subventions, le reste devant être remboursé à terme.

Questions de calendrier

Le gouvernement voudrait voir la réforme aboutir avant la fin de la mandature présidentielle.

En première lecture au Sénat, l’amendement Gourault a été balayé en attendant son examen à l’Assemblée en décembre prochain. C’est dans ce laps de temps très court que le gouvernement veut faire passer sa loi. Mais la majorité sénatoriale de droite pariait sur un débat enjambant l’élection présidentielle. “Notre volonté était d’organiser la consultation des élus locaux en demandant à l’ensemble des conseils municipaux concernés de se prononcer d’ici le 1er janvier 2023”, explique Stéphane Le Rudulier. On ne peut pas faire aboutir une réforme pérenne par une discussion de coin de table.” À l’issue de cette concertation, le législateur aurait donc un an pour faire évoluer la loi. Mais le gouvernement souhaite bousculer le calendrier.

“L’idée est de faire aboutir le texte avant la fin de la session parlementaire”, constate Guy Benarroche. Cela veut dire un texte adopté par l’Assemblée ou par la commission mixte paritaire d’ici à février 2022, avant la pause de l’élection présidentielle. Un “calendrier resserré” qui ne laisse que peu de place à la concertation avec les élus du territoire. Or, par le passé, les différentes lois qui ont accouché de la métropole d’aujourd’hui ont toutes été critiquées pour leur caractère jacobin. “On a l’impression qu’à chaque fois, la réforme du territoire s’accompagne d’un mépris, d’une forme de condescendance à l’égard des élus du territoire”, constate Stéphane Le Rudulier. En posant comme carotte le financement des projets de transports, le gouvernement entend forcer la main des élus locaux. Quitte à leur faire porter le chapeau de l’échec de la réforme.

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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Selon le sénateur LR Stéphane Le Rudulier, “les communes de la métropole ne veulent pas subir les conséquences d’une mauvaise gestion de la ville-centre”. Mais que sous-entend-il donc aussi bruyamment ici, sachant que Marseille a été gérée pendant 25 ans par ses amis LR, dont on connaît la rigueur et la compétence ? Franchement, je ne vois pas.

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  2. Mistral Mistral

    Il est temps que cette Métropole devienne enfin démocratique et qu’on passe au suffrage universel pour sortir de ces petits arrangements entre amis.
    Et qu’on en profite pour changer de nom c’est la seule Métropole française qui porte le nom de deux villes !!! Et Marseille (860000 hab) est en 2e position derrière Aix (140000 hab) !

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Le nom, à la limite, je m’en fiche – bien que la métropole de Lyon ne s’appelle pas “Villeurbanne-Lyon”. Mais la métropole des maires, ça suffit, elle a prouvé sa paralysie due au campanilisme à courte vue : oui, il faut une élection au suffrage universel au périmètre de la métropole.

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    • Thauvinus Thauvinus

      Rien à rajouter sur ces points !

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  3. Alceste. Alceste.

    Article édifiant sur la politique de boutiquiers et d’epiciers de nos zėlus.Comme le souligne 8e au sujet de Le Rudulier et de son commentaire au sujet de la gestion passée de sa famille politique,je conçois que nous lui décernions une Casanova d’honneur.Il vient lui aussi de redécouvrir l’eau chaude.

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  4. Alceste. Alceste.

    Ce suffrage indirect est insupportable au même titre que celui du Sénat.
    De toutes les façons la métropole ou bien le département un est de trop.
    Alors dans la droite ligne du “campanilisme”, joli terme d’ailleurs, le canton d’Arles va nous dire , mais nous ne sommes pas d’accord pour de sombres raisons ou d’autres d’ailleurs.Alors les angoisses existentielles de De Carolis et consorts au bout d’un moment, il faudra bien les mettres sous le tapis.
    Espérons que la pression soit suffisament forte de la part de Paris pour faire plier des petits marquis et marquises.

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    • Félix WEYGAND Félix WEYGAND

      +1 ; et au delà
      – que Vassal ait la force de s’imposer à sa majorité fondée d’abord sur les maires “ruraux” qu’elle tient en les gavant de subvention du Conseil départemental ;
      – que Vassal soit capable de surmonter la détestation de Marseille et des marseillais qui est la pathologie de la droite depuis 25 ans (y compris et même d’abord les élus de droite marseillais) ;
      – que Vassal soit capable de cesser sa guérilla contre la majorité municipale de Marseille.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Joli terme, oui, le campanilisme. Mais ici, il ressemble de plus en plus à du campanihilisme.

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  5. marseillais marseillais

    Et qu’en pense la sénatrice marseillaise Carlotti ?

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    • Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

      Elle se prononcera quand elle aura trouvé dans quelle gamelle elle doit manger pour continuer à grenouiller à nos frais après la prochaine élection. Vivement que tous ces gens qui se détestent et qui nous détestent meurent de leur propre venin.

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    • Alceste. Alceste.

      Marseillais , un phénomène Carlotti. Démarre avec GUERINI, puis DELANOE,puis VAUZELLE,puis GUERINI again, qu’elle lâche à cause des affaires ( elle a découvert le pot aux roses, sans jeu de mots), révélation auprès de HOLLANDE se fait nommer ministre et file son poste de députée au légendaire AVY ASSOULY ( qui est depuis avocat , car député.On crois réver)et termine en beauté avec MENUCCI . Elle coule aujourd’hui des jours heureux au Sénat où son activité n’est pas épuisante.Et notre sénatrice avec ses yeux de chat évoluant dans ce monde politique me fait penser à cette fable de notre ami La Fontaine ” La Chatte métamophosée en femme” qui lui va comme un gant.LIsez la , cela est charmant et ma foi fort vrai.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Cette lettre d’un haut niveau de réflexion politico-religieuse se termine par un “amicalement” qui sonne bizarrement.

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