“Les annonces partent aussitôt qu’elles apparaissent” : la galère des locataires à Marseille

Actualité
par Roxanne Machecourt & Alexia Conrath
le 29 Sep 2023
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Marseille connaît une crise du logement sans précédent. Si elle ne se traduit pas encore par une flambée des loyers, professionnels comme particuliers témoignent d'un marché bloqué, encombré par les locations meublées et les baux de courte durée.

Illustration : CMB.
Illustration : CMB.

Illustration : CMB.

En cette chaude journée de septembre, aux abords d’un café de la Plaine, il suffit de faire un tour parmi les groupes dispersés aux tables de la terrasse pour s’apercevoir que le sujet des tensions du marché locatif est une réalité largement partagée. Tous ont un ami, un membre de la famille ou une connaissance qui fait face à cette problématique. S’ils ne sont pas directement concernés, ils l’ont été.

D’un haussement d’épaules, Baptiste André, 34 ans, retrace le long périple qu’il a connu avec son épouse avant de trouver un appartement plus adapté à sa famille et notamment, à ses deux filles qui grandissaient. “À la sortie du Covid, on s’est lancés dans une recherche hyper active dans le centre-ville et déjà, il y avait très peu d’offres. On est même allé jusqu’à mettre de petits mots dans les boîtes aux lettres. En tout, on a dû visiter une bonne vingtaine d’appartements. C’était ahurissant parfois : un 100 m² à 2 000 euros par mois, ou un propriétaire qui frôlait le marchand de sommeil. Ça a duré deux ans“, lâche-t-il d’un ton las.

Une rotation en forte baisse

Des cas comme Baptiste affleurent au détour de chaque conversation. Depuis qu’elle a récupéré la garde de ses deux filles, Candice voudrait, elle aussi, quitter son T1 pour un espace plus grand. Elle témoigne de sa difficulté à réaliser des visites d’appartements : “j’ai l’impression d’être réactive, mais ce n’est jamais suffisant. Les annonces partent aussitôt qu’elles apparaissent…”

Une stagnation qui participe pleinement au blocage constaté sur le marché locatif. Que ce soit l’agence immobilière Laforêt, MGF immo ou d’Orpi immobilier, toutes dressent le même constat : une rotation en forte baisse liée à des locataires qui restent dans leur bien faute de trouver mieux. S’y ajoutent ceux qui avaient la volonté d’acheter, mais qui ne peuvent plus se le permettre avec la flambée des taux d’intérêts. À titre d’exemple, Orpi immobilier n’a reçu aucun préavis de ses locataires l’an passé.

Cette immobilité impacte directement le volume d’offres disponibles. Derrière un bureau en bois luisant, entre deux coups de téléphone, Johan Sada, directeur du cabinet immobilier éponyme, s’inquiète : “en ce moment, notre agence propose seulement une quinzaine de locations alors que d’habitude, l’offre est deux à trois fois supérieure. Les logements restent disponibles moins longtemps et même si le phénomène a commencé dès 2021, on constate depuis l’été dernier une offre particulièrement faible.”

L’immobilier traditionnel en perdition ?

Selon Johan Sada, investir dans l’immobilier traditionnel est devenu de moins en moins intéressant. “Avec la spéculation que le marché immobilier a subie ces dernières années, les prix au mètre carré sont devenus très élevés. En conséquence, les propriétaires font face à une rentabilité en forte baisse et se tournent de plus en plus vers du meublé ou de la location saisonnière“.

Des quatre propriétaires avec qui Marsactu a pu échanger, tous ont en effet fait le choix du meublé. Sur les six biens que Fabien a sur Marseille, tous sont loués meublés. “Pour moi, aller vers ce type de logements permet d’avoir des abattements d’impôts de l’ordre de 20 % supplémentaires comparé à de la location traditionnelle“. Un autre propriétaire qui ne souhaite pas communiquer sur le nombre total de ses logements, mais qui en détient au moins une dizaine, avance les mêmes raisons : “si 60 % de mes biens sont des meublés, c’est parce que la fiscalité est plus douce sur ce type de foncier“.

Une aubaine pour les propriétaires, mais qui comporte une série d’inconvénients pour les locataires qui souhaitent s’établir durablement à Marseille. Contrairement à un bail classique qui se renouvelle tous les trois ans, un bail meublé ne dure qu’un an. Cela a constitué l’un des principaux freins vécus par Baptiste lors de ses recherches. Sur toutes les annonces qu’ils voyaient passer, “environ 60 % étaient des locations meublées“, assure-t-il. Il complète : “Parfois, les baux proposés n’étaient que de neuf mois afin de le passer en location saisonnière l’été. On tentait de négocier et de payer un loyer plus important pour cette période de l’année, mais l’avantage financier était trop important pour le propriétaire.

Une position de force assumée

Face à une demande beaucoup plus importante, les propriétaires se retrouvent noyés de messages lorsqu’ils inscrivent leur logement sur le marché locatif. Proposer un bail de neuf mois afin d’inscrire son appartement sur Airbnb l’été n’a pas empêché Zouha de recevoir “énormément” de demandes. Ben avait reçu une centaine de messages pour ses deux logements en seulement quinze heures. Même tonalité pour Fabien : “il y a deux ans, je pouvais recevoir une trentaine de demandes en une journée. Aujourd’hui, en une journée, j’en reçois quatre-vingts. Je privilégiais le contact, mais maintenant, c’est uniquement par mail sinon je me retrouve à faire du standard téléphonique“, admet-il d’un ton embêté.

Tous ont en tête leur position de force. Zouha trouve que le prix qu’elle demande est excessif, “mais lorsque je vois des 38 mètres carrés à 950 euros par mois, je me dis que finalement, je ne suis pas plus chère que les autres”. Quant à Fabien, il regrette de ne plus pouvoir “faire les choses dans les règles de politesse et répondre à chaque demande. Quand j’ai commencé, il y avait un dossier parfait sur vingt demandes et la question ne se posait pas. Aujourd’hui, j’ai eu vingt dossiers qui étaient top et j’ai dû laisser de côté l’aspect humain. C’est ma femme qui a finalement tranché, parce que je n’arrivais pas à choisir de manière aléatoire.”

“Je n’imagine pas pour ceux qui n’ont pas notre statut social”

Lors de notre entretien, Baptiste a bien insisté sur le fait qu’il était docteur, et son épouse infirmière : “Je tiens à le préciser parce que je n’imagine même pas ce qu’il en est pour ceux qui n’ont pas notre statut social. Ça soulève clairement une question d’accès au logement“, pointe-t-il. Assistante de direction, Candice voit clairement un frein dans son statut professionnel : “Je suis en CDI, mais toujours en période d’essai, et certains propriétaires n’ont pas accepté mon dossier pour cette raison-là.”

Ertha, 28 ans, vit actuellement chez la mère de son compagnon, mais aimerait pouvoir trouver un “endroit tranquille” pour sa fille de deux ans. Elle recherche un logement depuis mars. Pas de manière nécessairement active, mais elle raconte avoir rencontré une série d’entraves en lien avec son statut : “Je n’ai signé mon CDI que le mois dernier. Les agences ne voulaient même pas entendre parler de moi quand j’étais en CDD. Et depuis que mon mari a perdu son travail en mai dernier, avec des propriétaires qui demandent un revenu trois fois supérieur au loyer, c’est impossible de trouver un logement“, déplore-t-elle.

Les freins deviennent des murs

Avec la situation actuelle du marché locatif, le handicap socio-professionnel avec lequel certains pouvaient partir semble s’être transformé en critère rédhibitoire. C’est le constat tiré par Jameel Subay, Yéménite en France depuis plus de dix ans. Il est à la recherche d’un logement depuis presque autant. Il enchaîne les sous-locations à droite à gauche. Il réfléchit un instant tout en posant sa tasse de café : “Combien ? Ah, j’ai l’impression qu’il y en a une qui m’échappe… Douze en tout ! Et seulement trois où j’ai pu apparaître sur le bail“. Il est actuellement en colocation avec des amis depuis un an, mais aimerait pouvoir vivre seul.

Mon dossier est pourtant hyper complet, j’essaie de renseigner au maximum mon parcours de vie. Je fais tout pour rassurer. J’ai un garant qui gagne plus de 5 000 euros par mois, je suis à présent en CDI. Malgré tout ça, ce n’est pas suffisant. Je sais que c’est lié à mon accent et mon prénom. Une agence m’a clairement précisé une fois que son propriétaire privilégiait les Français, afin d’être honnête disait-elle. Lors des visites, je ressens la crainte des propriétaires à mon égard. J’ai fini par ne plus venir quand on cherchait à plusieurs, j’avais peur d’être la cause du refus“, admet-il, embarrassé.

Avant de conclure amèrement : “Mes copains ont le privilège de choisir. Alors que moi, je n’ai pas le privilège de refuser un endroit parce qu’il est trop bruyant, ou pas assez lumineux. Je veux juste un toit“.

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Roxanne Machecourt
Alexia Conrath

Commentaires

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  1. polipola polipola

    On remercie bien les parisiens qui ont envahi Marseille et ont contribué, pour beaucoup, à cette situation. c’est infernal et déprimant.

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    • jacques jacques

      Des chiffres???

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    • Massilia fai avans Massilia fai avans

      J’aimerais bien connaitre vos sources qui permettent d’établir ce constat.
      C’est vraiment curieux comment les visions simplistes s’installent durablement.

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    • polipola polipola

      Vision simpliste ? Sérieusement ? Vous vivez à Marseille ? Vous la regardez et l’écoutez la ville ? On ne voit que ça. La parisianisation, la gentrification, la hausse des prix, l’explosion des Airbnb (pour ça Jacques, il y a des chiffres, relayés d’ailleurs par Marsactu, plus de 2000 offres en un an)

      à trop ranger du côté du simplisme (c’est vrai, c’est plus facile) on en oublie qu’il y a une certaine dose de réalité dans ce constat.

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    • Massilia fai avans Massilia fai avans

      La gentrification n’a rien à voir avec “les parisiens”, le changement de sociologie des habitants du centre ville n’est pas la conséquence du lieu de naissance des gens (et je suis né et vit à Marseille). Les utilisateurs des plateformes de réservation ne sont pas que parisiens, ils viennent du monde entier.
      Donc, je confirme, le commentaire disant “on remercie bien les parisiens” est une vison simpliste des choses.

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    • polipola polipola

      C’est sûr, les nombreux ménages ayant quitté Paris pour venir s’installer à Marseille n’ont absolument rien a voir avec la gentrification. Ni ceux qui ont fait monté le prix de l’immobilier, ni ceux qui ont ouvert des commerces qui pratiquent les mêmes prix que dans la capitale, ni ceux qui ont été embauchés a la Mairie pour “changer”Marseille. Vous avez raison, on va rester sur une vision simpliste puisque vous n’avez apparemment aucune envie de voir plus loin.

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    • Massilia fai avans Massilia fai avans

      Encore une fois quelles sont vos sources pour écrire de manière aussi définitive que la gentrification est la conséquence de l’installation à Marseille d’une seule catégorie de personnes ?

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    • polipola polipola

      je ne dis pas que c’est la conséquence de l’installation d’une seule catégorie de personnes, je dis juste que ça fait partie des raisons. Et mes sources ? l’observation beaucoup, essentiellement. C’est tellement flagrant que c’est difficile de ne pas le voir. Et la recherche, sur les nouveaux commerces, les contextes de création, les fondateurs. La lecture aussi. Bref.

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    • Massilia fai avans Massilia fai avans

      Finalement votre impression suffit pour affirmer de manière péremptoire: on remercie les parisiens. Un peu comme les spécialistes de tout qui affirment leurs impressions sur les plateaux des chaînes d’info. Bonne continuation

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  2. Rem Koolhaus Rem Koolhaus

    On applaudi aussi les prestataires de coliving qui, surfant sur cette problématique, proposent des chambres hors de prix, surdensifiant les copropriétés, souvent pas adaptées à cette densité au détriment de ceux qui ont choisi d’y faire leur vie et qui subissent les nuisances et l’utilisation abusives des espaces communs à outrance.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    On remercie et on applaudit notre système social-economique qui fait du logement une question de rentabilité, de placement financier,
    une source de profits, pour certains au détriment des autres. L’exploitation de l’homme par l’homme.

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    • Patafanari Patafanari

      Vieille antienne marxiste qui conduit à décourager l’investissement locatif et obligent les gens à vivre en appartements communautaires. (kommunalka en Russie soviétique ).

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    • MarsKaa MarsKaa

      Vieil argument qui consiste à brandir le bolchevik, Staline, le goulag, dès que l’on critique le profit de quelques uns sur le dos des autres, afin de tenter de clore une discussion sur un sujet auquel on ne veut réfléchir plus avant, peut-être parfois pour éviter de se regarder en face et se remettre en question.

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  4. Dominique PH Dominique PH

    la crise du logement à Marseille était quasi-inexistante en 1990 :
    ça faisait 20 ans que sa population diminuait, Airn’b n’existait pas, et le parc locatif surfait encore sur l’extraordinaire nombre de logements édifiés dans les années 1960 – 1969
    La crise du logement à Marseille semble être redevenue perceptible au début des années 2000 et depuis elle paraît s’aggraver d’année en année :
    tant de personnes en CDI mettent de plus en plus longtemps à pouvoir devenir locataire, tant de jeunes gens n’ont plus la possibilité de quitter le logement parental, la liste d’attente ( + de 30 000 ) pour obtenir un logement social ne cesse d’enfler depuis une vingtaine d’années, beaucoup de mères célibataires et de trop nombreuses personnes handicapées restent sans solution des années et des années.

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    • Alceste. Alceste.

      Et là, le mot magique apparaît : clientelisme.

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  5. Marc13016 Marc13016

    Marché locatif délirant ? la réponse s’appelle régulation. Des mesures ont été initiées, mais elles semblent bien timides (encadrement des loyers très light, permis de louer uniquement sur les passoires thermiques).
    Il va peut être falloir y ajouter l’encadrement de la location meublée. Il me semble que la Mairie aurait légitimité pour prendre ce genre d’initiative.
    L’avantage fiscal accordé à cette formule paraît clairement délirant lui aussi. La taxe foncière, c’est un outil non ? et c’est municipal ? Donc : taxe foncière ++ pour la location meublée, – pour les locations “normales”. Et construction d’Hôtels.
    Le problème est général sur toutes les zones touristiques de France (et de Navarre, allez voir sur la côte Basque, c’est vraiment du délire). On assiste à une colonisation par les touristes. On pourrait appeler ça un “grand remplacement”. Mais pas dans la direction que certains pointent du doigt …

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  6. Andre Andre

    Tout d’abord, on ne peut que constater la hausse extravagante du coût des loyers, en partie due aux avantages fiscaux Pinel et compagnie qui ont généré mécaniquement une hausse du foncier, et des loyers en conséquence. Il est trop difficile aujourd’hui lorsqu’on est un jeune actif de garantir des revenus trois fois supérieurs aux loyers. La suppression de ces avantages fiscaux fera peut-être évoluer les choses mais ce sera très long.
    Ensuite, la faiblesse de la fiscalité sur les locations saisonnières est carrément incompréhensible. On avait parlé il y a peu de la relever et puis plus rien. Ces gens sensés gouverner le pays ont ils autant de revenus locatifs saisonniers que ça, à St Jean Cap Ferrat, l’île de Ré ou au cap Fréhel ?!
    Une hausse de cette fiscalité ferait sans doute diminuer le saisonnier au profit de baux triennaux normaux.
    Enfin, ne pas oublier non plus que, si les proprios s’orientent de plus en plus vers du meublé avec des baux d’un an, c’est peut-être à cause des mésaventures vécues avec certains locataires indélicats. Le phénomène existe et a tendance à croître. On y verra les causes qu’on voudra mais les proprios n’étant plus pour beaucoup de riches rentiers possédant un parc locatif pléthorique, on peut comprendre leur méfiance.

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