Les 330 000 litres de chlorure ferrique échappés de Kem one analysés à la barre du tribunal

Actualité
le 6 Juin 2023
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En juillet 2020, une nappe de chlorure ferrique déversée accidentellement de l'usine Kem one avait provoqué une forte mortalité de la faune et de la flore marines sur le littoral martégal. Lors du procès de l'industriel, ce lundi 5 juin, le procureur a demandé une amende de 200 000 euros.

Le militant FNE Stéphane Coppey prend la parole devant la salle d
Le militant FNE Stéphane Coppey prend la parole devant la salle d'audience sous l'œil de l'avocat de Kem one. (Photo : PID)

Le militant FNE Stéphane Coppey prend la parole devant la salle d'audience sous l'œil de l'avocat de Kem one. (Photo : PID)

Au cœur de l’été 2020, une nappe brune se répandait en mer depuis l’anse d’Auguette, au pied de la plateforme pétrochimique de Lavéra, à Martigues. Elle allait impacter jusqu’à 16 hectares de milieu marin alentours, occasionnant une forte mortalité de la faune et flore marines jusque sur les fonds : poisons, oursins, bulots, gorgones, algues… Dans la foulée, les activités nautiques et sous-marines seraient interdites durant 48 heures dans le secteur et la baignade sur les plages voisines pendant 36 heures.

Le déversement, survenu les 22 et 23 juillet 2020, d’au moins 330 000* litres de chlorure ferrique dans la Méditerranée provenait de l’usine Kem One, classée Seveso “seuil haut” et leader européen de la production de produits chlorés et de PVC. Raison pour laquelle la société était convoquée en correctionnelle à Marseille ce lundi 5 juin, pour “déversement de substance nuisible dans la mer”.

Négligences ?

La Ville de Martigues, ainsi que l’Associations pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), Surfrider foundation Europe, Sea sheperd, Robin des bois, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et France nature environnement 13 et PACA (FNE) se sont constituées parties civiles. Elles dénoncent des négligences de surveillance et d’entretien de la part de Kem one sur ses installations.

“Est-ce qu’il y a des négligences causales ou pas, ça fera l’objet des discussions”, démarre la présidente du tribunal, Laure Humeau, à l’entame d’une audience prévue sur la journée. Sur les photos issues du dossier, qu’elle fait défiler sur de grands écrans de télévision, le bas de la cuve d’acier qui contenait le chlorure ferrique apparaît très rouillé et avec une ouverture béante. “C’est une corrosion externe par accumulation d’eau sous le bac, jusqu’à percement de la tôle, qui a provoqué la rupture du fond du bac”, expose la juge.

En conséquence, le chlorure ferrique s’est déversé, d’abord en sous-terrain, avant de rejoindre le réseau d’eaux pluviales de l’usine. L’équipe de l’usine a constaté l’anomalie à 23 h 41 par le biais d’une alarme de PH, indiquant l’acidité des effluents dans les caniveaux. Ces derniers ont été prévus pour transporter uniquement des eaux de pluie ou d’extinction d’incendie au PH neutre. L’origine de la fuite n’est détectée que vers 1 h 20 du matin ce 23 juillet. Son rejet en mer ne sera stoppé qu’au milieu de la matinée.

Successions de fuites jusqu’à la mer

Sous la cuve défectueuse, un bac de rétention a bien récolté un temps le chlorure ferrique. Mais la solution acide détériore le béton de l’installation, provoquant une nouvelle fuite. Au moment où les salariés de Kem one comprennent d’où vient le sinistre, “le réseau pluvial est détourné vers un autre bac de rétention”, précise au tribunal Bertrand Baudet, le directeur de l’usine. Sauf que la vanne martelière qui barre la route à la mer du produit chimique est à son tour corrodée par l’acidité forte. “Sous l’effet du chlorure ferrique, elle a perdu de son étanchéité”, énonce le responsable de Kem One. Le liquide continue de se déverser dans la mer. Le scénario et ses conséquences n’avaient pas été imaginés par la direction de l’usine. “Dans les études de danger on se focalise sur la protection des personnes, c’est-à-dire des salariés, essentiellement sur les risques d’incendie, de toxicité et d’explosions”, explique sereinement Bertrand Baudet.

Au bout d’un an, il n’y a pas eu d’impact à long terme.

Bertrand Baudet, directeur de l’usine

En reprenant les pièces du dossier, la présidente du tribunal détaille “une mortalité piscicole à très court terme”, un fou de bassan, espèce d’oiseau protégée, retrouvé mort avec “des traces de brulures chimiques”, un “taux d’oxygène très faible sous la nappe”. Se mélangeant très bien dans la mer, la nappe n’était pas pompable. Elle s’est transformée en hydroxyde de fer qui s’est déposé sur les fonds marins, “impactant par étouffement les bulots, etc.”, comme le résume le directeur de l’usine. Les dégâts sur l’environnement marin provoqués par le produit corrosif ne sont pas contestés par l’industriel, même s’il les estime restreints dans le temps. Selon Bertrand Baudet, après la mise en place d’un protocole de surveillance, “au bout d’un an, il n’y a pas eu d’impact à long terme”.

Pour les associations, comme pour le procureur tout l’enchainement de péripéties survenues cette nuit de juillet sont la preuve de négligences de la part de l’industriel et les conséquences sur l’environnement sont à leurs yeux minimisées. “C’est un site sur lequel il y a eu des précédents de pollution. Kem one ne peut pas être qualifié de délinquant environnemental parce qu’il n’a jamais été condamné, mais il ne peut pas ne pas être qualifié de primo-pollueur”, souligne à la barre Charlotte Nithart, présidente de l’association Robin des bois. “Qu’est-ce qui va se passer la prochaine fois ? Vous êtes saisi après le dixième accident majeur. Les arrêtés d’urgences s’accumulent. Je vous demande de ne pas être bienveillante. Il faut que ce genre de comportement de sociétés soient révélés et stoppés”, plaide Isabelle Vergnoux, l’avocate de la FNE, l’ASPAS et Sea Sheperd.

Une seule faute reconnue par Kem One

Pour les associations, d’autres suivis de la vie aquatique seraient nécessaires pour mesurer les conséquences possibles à long terme. “L’hydroxyde de fer est fortement bioaccumulable, il s’accumule dans les sédiments”, dresse Charlotte Nithart. “La mort d’un fou de bassan, ce n’est pas anodin. C’est un oiseau extrêmement rare en Méditerranée. Il est fort probable que ce soit l’un des oiseaux des deux seuls couples nicheurs sur la côte française de Méditerranée”, appuie Mathieu Victoria, l’avocat de la LPO et de Surfrider foundation. Les associations demandent toutes 10 000 euros de dommages par structures, à l’exception de Robin des bois qui en réclame 60 000, ainsi que 2000 euros chacune pour les frais de justice.

On est véritablement sur le cœur de métier de l’entreprise. C’est quelque chose que l’on aurait pu anticiper.

Guillaume Bricier, procureur

Pour le procureur Guillaume Bricier, la faute “d’imprudence, de négligence ou de manquement est bien établie”. Il rejette le caractère “d’imprévisibilité” de l’évènement développé par la défense, “on est véritablement sur le cœur de métier de l’entreprise. C’est quelque chose que l’on aurait pu anticiper, l’étanchéité des réservoirs doit être contrôlée à tout moment”, argumente-t-il. Il réclame dans ses réquisitions 200 000 euros d’amende ainsi que la publication de la décision dans plusieurs médias, chose que demandent aussi les associations.

Pour la défense, les arrêtés préfectoraux d’urgence mentionnés lors de l’audience sont plutôt un signe positif, comme “des outils de dialogue que l’administration utilise au quotidien”, qui conduisent à une “amélioration des installations”, plaide l’avocat Jean-Pierre Boivin. Parce qu’elle était sous la cuve, “la fuite était malheureusement indétectable, sans aucun lien avec une imprudence, négligence ou non-conformité”, affirme son confrère Adrien de Prémorel. Il ne plaide pas pour autant la relaxe, reconnaissant une seule erreur à propos du bac de rétention en béton : “Oui cette cuvette de rétention aurait dû être étanche au chlorure ferrique par un revêtement spécialisé sur toute sa surface.” Le reste du dossier serait vide selon le conseil de Kem One. Au bout de dix heures d’audience, la présidente du tribunal met fin aux débats. Sa décision est mise en délibérée au 3 juillet.

*Modification apportée le 06/06/2023 à 10h45 : il s’agit de 330 000 litres et non 760 comme nous l’avions écrit dans un premier temps.

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Commentaires

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  1. Fabienne Fabienne

    Donc en grand, le procureur signale aux industriels qu’ils peuvent polluer et detruire la mer a leur discretion. Au pire des cas il payent les 200.000 euros qu’il propose. Pour une societe avec CA de 1,3 milliards ce n’est rien (1/6500 du CA). Pour un particulier, au SMIC, c’est l’equivalent d’une amende d’environ 3 euros…

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    • RML RML

      J aurais pas si bien dit…
      Après il y en a qui s étonnent de voir des écologistes de plus en plus radicaux…

      Signaler

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