L’embarrassant héritage judiciaire de Roland Povinelli

Décryptage
le 25 Mai 2021
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Ce mardi, s'ouvre le procès Povinelli. Du nom de celui qui fut maire d'Allauch pendant plusieurs décennies, disparu en 2020. Ce sont ses proches dont ses deux fils qui devront répondre devant le tribunal. Les charges retenues dessinent des pratiques entre népotisme et indécence.

Roland Povinelli (au centre) présidant le conseil municipal. Photo : Marius Rivière
Roland Povinelli (au centre) présidant le conseil municipal. Photo : Marius Rivière

Roland Povinelli (au centre) présidant le conseil municipal. Photo : Marius Rivière

Pendant 45 ans, à Allauch, il était au centre de tout. Maire de la commune depuis 1975, longtemps encarté au Parti socialiste, Roland Povinelli est décédé d’une crise cardiaque entre les deux tours de ce qui devait être sa dernière élection en 2020. “C’est triste de le dire comme cela, mais je crois qu’il est parti au bon moment”, soupire un compagnon politique de longue date. Mort avant la défaite électorale qui se profilait, mort avant le procès qui s’ouvre ce mardi et dont il devait être le principal prévenu. Avec lui s’éteignent les charges qui lui étaient reprochées de détournement de fonds publics, falsification de documents et diverses prises illégales d’intérêt.

En revanche, les proches de l’ancien maire d’Allauch, bénéficiaires présumés de ces délits, devront répondre devant le tribunal notamment des faits de recel. Au premier rang de ces prévenus figurent les deux fils de Roland Povinelli, Laurent et Christophe, Prescillia G., sa belle-fille et ancienne assistante parlementaire, Valérie P., son ancienne maîtresse et directrice de cabinet et Guy Maria, cadre municipal, militant politique très proche du maire et président d’une association, la fédération des clubs culture de loisirs, ressource lucrative des deux hommes. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui résume les investigations et définit les faits reprochés offre un tableau posthume glaçant des dérives d’un autocrate municipal.

Le château, palais d’un autocrate municipal

En 2012, tout part comme souvent de lettres anonymes qui décrivent par le menu ce que les auteurs décrivent comme “des scandales”. Ces missives donnent plusieurs pistes d’enquêtes empruntées dès cette année-là par le parquet de Marseille. On y parle déjà du “château”, une bastide rachetée par la mairie dont l’édile s’est arrogé l’usage exclusif. Toutes ces pistes n’aboutiront pas sur des mises en causes formelles mais, accréditées pour certaines par un rapport de la chambre régionale des comptes en 2012, elles aboutissent dans un tableau général où le népotisme tutoie l’indécence.

Le maire avait fait installer une salle de gym, un bureau et sa garçonnière dans une bâtisse achetée par la Ville. Dans les jardins, des paons, canards et cygnes étaient soignés par des agents municipaux.

Pendant des années, Roland Povinelli a utilisé “le château” pour son seul bénéfice ou celui de ses proches. Ancienne danseuse professionnelle, son épouse occupe le sous-sol pour y donner des cours, seule activité publique du lieu pourtant acheté par la commune. Les planchers fragiles empêchent d’y installer la médiathèque prévue. Qu’importe, dans les étages, le maire a installé un bureau et sa garçonnière avec salle de gym, douches et literie. Un coach sportif y vient régulièrement entretenir le corps de l’édile et celui de sa maîtresse. Dans le parc, il fait placer des paons, canards, cygnes, chats et chiens dont les employés municipaux sont sommés de s’occuper. Ce train de vie de monarque municipal s’est éteint avec son principal bénéficiaire.

En homme généreux avec les fonds qui n’étaient pas les siens, Roland Povinelli n’a eu de cesse de faire ruisseler cet argent en direction de ses proches. À commencer par ses deux fils, Laurent et Christophe, jumeaux nés en 1969. En audition, leur père reconnaîtra avoir été peu présent dans leur enfance. “Roland Povinelli était obnubilé par sa carrière politique et la ville d’Allauch, relate l’avocat Pierre Ceccaldi qui a défendu le père et aujourd’hui l’un des fils. En réalité ils l’ont très peu vu. Déscolarisés dès la troisième, ils n’ont pas eu d’autre carrière professionnelle qu’en bénéficiant d’emplois obtenus par l’entregent de leur père. “Leur dépendance à l’influence politique de leur père est patente”, peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi.

Deux fils très dépendants de leur père

Dans les années 1990, Christophe est ainsi entré à la Ville d’Allauch après une longue période de chômage, avant d’être embauché en 2000 par le conseil général où son père est élu. Il est détaché à Allauch “pour expliquer aux jeunes dans la rue les offres du conseil général”, détaille l’ordonnance de renvoi. Son frère le rejoint quelques années plus tard. Les deux hommes sont aujourd’hui en invalidité. Les maisons qu’ils habitent ont été payées par leur père, les travaux en partie effectués par des employés municipaux. L’essentiel de leurs revenus provient de biens immobiliers achetés par leur père et d’un terrain très lucratif, au centre du procès.

Depuis 2006, les deux frères sont associés dans une société civile immobilière Le Mistral qui leur assure des revenus réguliers. Très opportunément, cette SCI a racheté un bout de terrain sur les hauteurs du village, baptisé La Folie. Une antenne relais radio et télé de TDF y est installée moyennant le paiement d’un loyer.

Les fils de Roland Povinelli ont fait l’acquisition d’un terrain, auparavant propriété de la Ville, pour 15 000 euros. Une antenne-relais y a été implantée, moyennant loyer.

Ce terrain, cette antenne et les revenus de 24 000 euros annuels qu’elle génère sont au cœur du recel de prise illégale d’intérêts reprochés aux deux frères. Durant des années, Roland Povinelli a tiré les ficelles de cette opération très lucrative. En 1986, la Ville d’Allauch vend ce bout de terrain à la fédération des clubs culture et loisirs, présidée par le maire. Il y est question d’installer une antenne pour une radio libre. En réalité, c’est TDF qui y installe, moyennant loyer, une antenne-relais.

Son ami et bras droit, Guy Maria, lui-même employé municipal, a organisé la vente de ce terrain aux deux fils Povinelli, pour 15 000 euros alors même TDF en offrait 91 000 euros, trois ans auparavant. “Mais ce n’est pas ce qui nous est aujourd’hui reproché, remarque Pierre Ceccaldi. On nous reproche une prise illégale d’intérêts qui aurait commencé en 1988 avec la vente du terrain. Il faudra que l’accusation démontre que les deux frères avaient conscience de participer au recel d’une infraction complexe, débutée 20 ans plus tôt et qui plus est prescrite“.

Plusieurs documents et témoignages attestent de l’implication de Roland Povinelli à chaque étape de cette affaire. Ainsi trois mois avant sa dissolution, l’association a-t-elle financé les travaux d’une bâtisse dont elle n’était que locataire, permettant à la société chargée de la rénovation d’empocher 25 000 euros de bénéfices alors même que ladite société, le groupe Chailan, est spécialisé dans les espaces verts (une entreprise récemment mentionnée par Marsactu dans une toute autre affaire).

Les enquêteurs soulignent la coïncidence entre ce cadeau au groupe Chailan, effectué trois mois avant la dissolution de l’association et l’arrivée de Monique Robineau-Chailan, opposante UMP et actionnaire de l’entreprise, sur la liste de Roland Povinelli, quelques mois plus tard. Interrogée par les enquêteurs, l’ancienne secrétaire départementale adjointe de l’UMP certifie que son ralliement n’a donné lieu à aucune contrepartie. S’il colore le dossier, ce volet ne donne lieu à aucune poursuite.

Promotions turbos et esthéticienne assistante parlementaire

Mais ce n’est pas la seule incongruité. L’embauche de sa belle-fille, esthéticienne de métier, comme attachée parlementaire alors qu’il venait d’être élu au Sénat n’a pas manqué de surprendre bien avant l’affaire Pénélope Fillon. Celle-ci a reconnu n’avoir aucune activité politique auprès de son beau-père, lequel a masqué leur lien de parenté auprès du Sénat pour permettre son embauche.

Elle a pu ainsi continuer à gérer à temps plein son salon d’esthétique tout en assurant cinq heures de soins du corps par semaine, ainsi que des conseils informels sur “le bien-être animal”. Cette tâche d’assistance effectuée pendant cinq ans a permis au couple de bénéficier de 324 000 euros de revenus complémentaires, perçus de manière indue.

Enfin le dernier personnage est l’ancienne directrice de cabinet du maire dont la carrière au sein de la mairie a suivi la courbe sinusoïdale et néanmoins ascendante de sa relation amoureuse avec le maire. Dès 2012, le chambre régionale des comptes tique sur l’ascension expresse d’un certain nombre d’agents communaux dont celle de Valérie P. “Elle a bénéficié d’augmentation de salaires parfois irrégulières ou ayant nécessité des acrobaties pour les rendre conformes”, écrivent les magistrats. En 13 ans à peine, elle passe de l’échelon le plus bas de la fonction publique au plus haut.

En 2010 et 2013, le maire va jusqu’à prendre sciemment des arrêtés illégaux “pour garantir à sa maîtresse une sécurité professionnelle s’il venait à disparaitre”. La question que devra se poser le tribunal tient au niveau de connaissance de Valérie P.. Connaissait-elle le caractère illégal des agissements de son amant ? Pour les enquêteurs, il ne fait pas de doute que c’est sciemment que “Valérie P. a bénéficié de ces promotions illégales du fait de ses relations intimes avec Roland Povinelli sans qu’il ne puisse être contesté qu’elle a également personnellement payé le prix dans le cadre d’une relation oppressante…” Cette emprise vécue par bien des protagonistes et de nombreux Allaudiens fait partie du lourd héritage des décennies Povinelli.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Cet article aurait put être aussi titré ” des limites de la démocratie”. Un système politique qui mets en place de véritables potentats dans les mairies, les départements, les régions abusant ouvertement et sans limites de leurs positions, et ceci sans grands risques sur la durée ( 45 ans pour le maire d’Allauch et généralement du sursis en cas de condamnation. Face à cela ,des magistrats, la CRC qui produisent rapports sur rapports sans effets

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  2. Alceste. Alceste.

    Cet article aurait put être aussi titré ” des limites de la démocratie”. Un système politique qui mets en place de véritables potentats dans les mairies, les départements, les régions abusant ouvertement et sans limites de leurs positions, et ceci sans grands risques sur la durée ( 45 ans pour le maire d’Allauch) et généralement du sursis en cas de condamnation. Face à cela ,des magistrats de la CRC qui produisent rapports sur rapports sans effets.
    Liberté, Égalité, Fraternité, et pourvu que ça dure comme disait Laetizia

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  3. Andre Andre

    Allauch est un gros village et on peut penser que tout le monde savait ce qui est décrit dans l’article. Ceci d’autant plus que la réputation de Poviinelli avait largement dépassé les limites de la commune. Et on en disait, dans Marseille, bien d’autres encore, au sujet de l’attribution des permis de construire notamment.
    Question, comment cet individu a-t-il pu être réélu pendant 45 ans? Car il a bien été réélu 6 ou 7 fois selon les règles! Comment les Allaudiens ont-ils- pu tolérer ces agissement pendant si longtemps? Je ne pense pas que ce soit par conviction politique.
    Une piste, peut-être.
    Limitrophe du 13me arrondissement de Marseille et de ses barres d’HLM, Allauch est, de façon surprenante, resté une commune pavillonnaire bien prisée où les terrains valent leur prix. Le “canton vert” selon l’expression électorale… Ça vaut bien un bulletin, quite à fermer les yeux sur les frasques du maire!….

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    • Alceste. Alceste.

      En résumé nous sommes bien dans la filozofi de la mentalité locale celle du “tombé du camion”.

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  4. Pussaloreille Pussaloreille

    Merci pour ce compte rendu. Bien que sans illusions sur les pratiques locales, j’aurais presque pu douter si quelqu’un me l’avait raconté : la réalité dépasse la fiction !

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  5. Dark Vador Dark Vador

    Des parents très proches habitent Allauch depuis des décennies. De la catégorie des CSP++, ils n’ignoraient rien, ni de la réputation, ni des faits évoqués. Leur lieu de résidence comprenait évidemment des gens comme eux, parfaitement conscients du “sulfureux” premier magistrat. Qui a obtenu un permis de construire éclair et autres prébendes. Allauch, c’est effectivement une “Principauté”, prolongement de la banlieue Marseillaise mais sans les nuisances et la “mauvaise” population. Tous les Allaudiens savaient gré à Monsieur le Maire de perpétuer leur style de vie et leur tranquillité. Ses dérives n’embêtaient personne, on lui passait tout pourvu qu’il les protège, voilà la réalité.

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  6. barbapapa barbapapa

    La littérature décrit quelques fois les frasques de tel ou tel dictateur imaginaire d’Amérique du Sud, et là ce n’est pas du roman, et c’est chez nous !!!

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  7. Doc Boxk Doc Boxk

    L’incrédulité puis la nausée. Forte, très forte.
    Article à mettre en « comparaison » avec le sujet du papier de Michel Samson, juste en dessous de la “Une” : « Pour ces jeunes l’avenir n’est plus radieux »
    Justement que va-t-on laisser aux jeunes générations ? Avec de tels exemples de « ploutocrate élu», encarté, et abusant de la manne publique.
    Et démonstration par la pratique, qu’un journalisme d’enquête, d’investigation, indépendant de puissances financières, est plus que jamais indispensable. Longue route à Marsactu.

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  8. julijo julijo

    tableau posthume glaçant !!!!
    Comme Dark vador, des amis qui habitent Allauch depuis…35 ans, connaissait tout cela, et même davantage…mais, dans leur quotidien en profitait largement. De même que les habitants limitrophes du 13e, étaient largement refoulés de certains equipements… tout se sait toujours. Mais les électeurs votaient probablement en connaissance de cause, et en fonction de leur intérêt. Donc ils ont eu quand même le maire qu’ils méritaient.
    le népotisme est une chose établie, mais le clientélisme porté, à Allauch au rang des beaux arts, est loin d’être éradiqué.

    NB Benoît Gilles : attention quand même au mot « glaçant » les ayants droits de povinelli peuvent parfaitement vous poursuivre en diffamation ! Ca s’est vu pour moins que ça !!!!

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  9. Alceste. Alceste.

    Certains scripteurs s’insurgent contre la formule : ” les gens ont les élus qu’ils méritent”. En l’occurence avec feu Povinelli et d’autre(e)s , cette formule n’a jamais autant vérifiée.

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    • Andre Andre

      Ne généralisons pas. Tous ne votaient pas pour Povinelli. Mais il faut aussi rappeler que ce dernier a eu pendant des années l’investiture du PS. C’était qui, le PS? Guerini bien évidemment! Et, autre question, comment ce dernier a-t-il pu se maintenir si longtemps au CG13 pendant que Povinelli se faisait réélire à Allauch? Après on s’étonnera que les électeurs, ces irresponsables, boudent de plus en plus les urnes.

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  10. Alceste. Alceste.

    C’est bien ce que je disais , les électeurs méritent,etc.

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  11. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    les fils sont jumeaux, et leur gémellité les met en invalidité ? héréditaire ?
    ah ah

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  12. vékiya vékiya

    si on ne peut même plus faire confiance aux socialistes de bouches du rhône où allons nous ?

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    • Alceste. Alceste.

      Le Socialisme selon le Robert ;”Doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée”.
      Je n’ai pas tout compris au film !

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    • julijo julijo

      il suffit de regarder où ils en sont aujourd’hui.
      valls aurait mieux fait d’insister, quand il voulait les baptiser autrement il y a quelques années. il y a un grand moment qu’ils ne correspondent plus à la définition du robert…

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