Légionellose : les vaillantes d’Air-Bel obtiennent gain de cause devant le tribunal
Les habitants de la grande cité de l'Est marseillais ont obtienu la condamnation de leurs bailleurs pour "troubles de jouissance". Depuis plusieurs années, les locataires vivent avec le risque avéré d'une contamination par la légionelle. La justice estime que douze d'entre eux, pour l'heure, doivent être indemnisés.
La cité Air-Bel dans le 11e arrondissement.
En ce matin de grand vent, à Air-Bel, la bonne nouvelle passe, de l’une à l’autre, et fait éclore des sourires sur les lèvres. Le jugement est tombé un peu plus tôt sous la forme d’un mail du tribunal judiciaire : le collectif d’Air-Bel a obtenu la reconnaissance du trouble de jouissance dû à la présence récurrente de légionelles dans les canalisations de cette cité de l’Est marseillais.
Pour le moment, l’information n’est pas officielle. Les militantes du collectif d’Air-Bel ont donné rendez-vous à la presse devant la conciergerie du quartier. Les journalistes et chroniqueurs judiciaires voisinent avec les habitants de la cité qui viennent là chercher ou déposer leur colis. L’association tient lieu de bureau de poste et de point relais dans cet immense village d’habitat social où s’entrecroisent les patrimoines de trois bailleurs, Erilia, Logirem et Unicil.
“Pot de terre contre pot de fer”
Si l’annonce tarde tant, c’est que leur avocate, Soraya Slimani a pris le temps de faire un détour par un hôpital de la ville où Djamila Aouache est hospitalisée. L’une et l’autre sont des figures de ce combat aux airs de “pot de terre contre pot de fer“, entre les habitants d’Air-Bel et leurs bailleurs. En 2017, Djamel, le frère de Djamila a contracté la légionellose alors qu’il séjournait chez sa sœur. Il décèdera quelques jours plus tard, à Dijon où il résidait. Déjà, en 2011, leur sœur Halia a contracté la même maladie, “dont elle subit toujours les séquelles“. Djamila, très fatiguée, finit par faire son apparition sous les applaudissements des quelques locataires réunis.
Elle est soutienue sur celle qu’elle appelle “le pit-bull du collectif“. Cette femme énergique au regard droit est Soraya Slimani, l’infatigable avocate du collectif et des quelque 300 familles d’Air-Bel qui a dû batailler ferme à la barre face à des confrères qui ne lui ont pas fait de cadeau. “Au nom de ces petites gens“, elle a assigné les trois bailleurs devant la juridiction civile du tribunal judiciaire pour faire reconnaître les troubles de jouissance et d’anxiété qu’ils subissent depuis que des traces de légionelle ont été découvertes dans les canalisations de leurs bâtiments.
Une victoire des quartiers populaires
Le 2 septembre dernier, lors de l’audience, la juge n’avait retenu que 12 dossiers sur les 273 familles qui s’étaient constituées en victimes et ont assigné les bailleurs. Sans entrer dans le détail de chaque dossier, Soraya Slimani veut dire sa joie “de voir la justice triompher“. “C’est votre droit qui a été reconnu“, se félicite l’avocate, avant de se tourner vers Djamila Haouache, “Je dédie mes premiers mots, à cette famille, touchée à deux reprises par la légionellose, et marquée au fer rouge. J’ai forcément une pensée pour Djamel, dont ça aurait été l’anniversaire, demain.”
“Je vais utiliser un mot d’arabe parce que j’en suis fière. Pour moi, c’est le mektoub [le destin, NDLR], se félicite Djamila Aouache. Demain, mon frère va avoir un très bel anniversaire, grâce à vous“. Djamila Haouache, Rania Aougaci la coordinatrice de l’amicale des locataires et Soraya Slimani n’ont pas compté leurs nuits blanches pour constituer les dossiers et faire valoir devant la justice le préjudice subi par les habitants.
Une fort résonance politique
En 2017 et 2018, le combat des habitants d’Air-Bel a très vite eu un fort écho médiatique, notamment dû à l’implication du leader insoumis Jean-Luc Mélenchon, fraîchement élu député à Marseille. Représentant du syndicat des quartiers populaires et lui aussi militant LFI, Mohamed Bensaada est là pour rappeler la dimension politique de cette décision judiciaire. “On revient de loin, dans un monde de mépris et d’indifférence, constate l’ancien candidat aux législatives et aux municipales dans les quartiers Nord. Aujourd’hui, tous les membres du collectif d’Air-Bel ont cru en la justice et l’égalité. C’est une victoire de la République qu’ils ont obtenue. Cela prouve, à tous les habitants des quartiers populaires que si les gens s’organisent et sont unis, ils peuvent gagner“. Un tonnerre d’applaudissements lui répond.
Même si elles empruntent le cheminement tortueux du langage judiciaire, les motivations du jugement que nous avons pu consulter sont cinglantes. Malgré un rapport d’expertise “querellé à l’audience” qui concluait à une absence de désordre, le jugement considère que “la réalité du risque sanitaire (…) est démontrée“. Entre septembre 2017 et février 2023, une “jouissance paisible du logement” n’a donc pas été assurée par les bailleurs qui ont exposé leurs locataires “à un risque manifeste pouvant porter atteinte à la santé“.
C’est le symbole qui compte. Les bailleurs auraient été condamnés à un euro, cela aurait été la même chose.
Soraya Slimani, avocate des habitants
Attendue en elle-même, cette reconnaissance ouvre droit à un dédommagement financier. “Le montant des indemnités que les bailleurs vont devoir payer au titre du trouble de jouissance va varier d’un dossier à l’autre, explique Leïla Slimani. Il s’appuie sur le montant du loyer et la durée du préjudice subi. En moyenne, on peut l’évaluer à l’équivalent de trois ans de loyer.” Mais, pour le collectif comme pour l’avocate, “c’est le symbole qui compte. Les bailleurs auraient été condamnés à un euro, cela aurait été la même chose.”
D’autres enquêtes pénales toujours en cours
Car l’affaire de la légionellose ne s’arrête pas là. Comme Marsactu l’a révélé, la maladie liée à cette bactérie a tué ailleurs dans Marseille. Et des enquêtes pénales sont toujours en cours. Et deux d’entre elles concernent toujours Air-Bel. La première est l’information judiciaire sur les circonstances de la mort de Djamel Haouache. La décision au civil permettra peut-être de réveiller l’enquête pénale. La seconde concerne Djamila Haouache, elle-même. Les bailleurs d’Air-Bel n’ont pas apprécié d’être pris à partie publiquement alors que la militante avait été invitée à s’exprimer devant le chef de l’État, lors de sa venue. Ils l’ont attaquée pour diffamation.
Même fatiguées, les vaillantes d’Air-Bel veulent poursuivre le combat. Le premier concerne les suites du jugement rendu : il ne concerne que 12 dossiers sur les 300 “qui ont été enrôlés“. Cela se traduira-t-il par des négociations amiables avec les bailleurs sur la base des premiers jugements rendus ? Soraya Slimani l’espère.
Appel au dialogue constructif
Joint par Marsactu, Unicil qui assume le rôle de syndic de la copropriété, prend acte des “12 décisions personnalisées” qui ont été rendues ce jour, en soulignant qu’elles rejettent “à quelques exceptions près l’existence d’un préjudice moral“. Lors de l’audience, Soraya Slimani avait rappelé comme il était complexe pour les gens d’Air-Bel de rendre compte de manière objective du stress permanent, en l’appuyant, par exemple, avec l’avis d’un médecin psychiatre.
Pour ce qui est du trouble de jouissance, le syndic pointe “la responsabilité finale” du prestataire technique, “au motif de son obligation de maintenir la température de l’eau chaude sanitaire“. Ce que confirme le tribunal, pour qui cette “faute engage sa responsabilité civile”.
Dans “ce dossier complexe“, les bailleurs veulent se donner le temps d’une “analyse sereine” avant de décider des “suites à donner” et d’un éventuel appel. Soucieux “d’agir pour l’intérêt des habitants“, ils appellent donc à un “dialogue constructif”. Dès janvier, les représentants des locataires pourront mettre à l’épreuve cette volonté de dialogue sur un autre sujet : l’épineux dossier de la rénovation urbaine du quartier donnera lieu à une nouvelle réunion du comité de pilotage en préfecture.
Commentaires
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Un seul mot : BRAVO !
Et merci à @Marsactu qui suit le sujet depuis le début.
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“jouissance paisible du logement”
Quel plaisir, même si je n’ai pas encore lu l’article entièrement, je suis agréablement surprise Merci aux vaillantes et à leur conseil Maitre Soraya SLIMANI. Dommage de n’avoir pas eu la santé et la possibilité de me battre sinon sans hésiter poursuites judiciaires contre mon bailleur !
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Combat exceptionnel des habitants d’Air Bel pour leur dignite; une belle victoire qui permettra, espérons-le, un peu plus de respect dans l’écoute et les revendications des habitants dans la réhabilitation ANRU à venir.
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