Le tunnel Prado Carénage est une mine d'or pour ses actionnaires

Le tunnel Prado Carénage est une mine d'or pour ses actionnaires

Paul Roudier est un automobiliste marseillais qui habite les quartiers Est de la ville. Régulièrement, il emprunte le tunnel Prado Carénage. "En juin dernier, le tarif est passé de 2,60 à 2,70 euros. C'est là que j'ai pris conscience du coût : 2,60 euros pour 2 kilomètres. Cela m'a soudain paru très cher". Il va donc jeter un oeil sur le site de l'entreprise qui gère le tunnel, la fameuse société marseillaise du tunnel Prado Carénage (SMTPC), cotée en bourse mais mais dont les deux actionnaires principaux sont Vinci et Eiffage. Comme Paul Roudier est également militant au sein du parti Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, il se dit qu'il tient là un lièvre. Et ce, d'autant plus que son candidat a fait de la lutte contre la mainmise des grands groupes sur les marchés publics l'un de ses chevaux de bataille pour la présidentielle. 

Paul Roudier se plonge alors dans les comptes que l'entreprise et sort sa calculette. "Plus de 60 centimes de dividendes sont payés par l'usager pour un prix de passage moyen évalué à 2,53 euros", calcule le militant. En 2011, le chiffre d'affaires hors taxes de la société atteint 34,4 millions euros, dont 33,9 millions euros proviennent du péage (soit 98.41%) . Le résultat net de la société (c'est-à-dire après soustraction des charges d'exploitation, impôts sur les sociétés, participation des salariés et autres) est d'environ 10,5 millions euros". Or, la majeure partie de cette somme est reversée aux actionnaires sous forme de dividendes, il suffit donc à Paul Roudier de diviser ceux-ci par le nombre de voitures qui s'enfilent le tunnel pour obtenir cette somme de 61 centimes qui passe directement de la poche de l'automobiliste à celle des actionnaires, Vinci, Eiffage et les petits porteurs.

Jetons de présence pour 50 000 euros

Comme la santé de l'entreprise n'est plus à démontrer, Paul Roudier s'intéresse alors à ce que perçoivent les membres du conseil d'administration de la société. "Le 4 avril 2012, ces derniers ont décidé, pour la première fois de se partager des jetons de présence à raison de 50 000 euros", découvre-t-il dans le procès-verbal du conseil d'administration. Pour lui, le plus choquant est que cette entreprise ne réalise plus aucun investissement : "C'est comme pour les autoroutes où on retrouve également Vinci. vous payez 23,50 euros pour deux cents kilomètres alors que l'investissement est amorti depuis longtemps. L'entretien ne vaut pas ça. C'est une poule aux oeufs d'or".

Du côté de la direction de la société, on ne renâcle pas à justifier cette rentabilité hors du commun en jouant les bons pères de famille économes. "C'est exactement la même chose que quand vous achetez une maison, compare le directeur général de la société Jacques Feron. Vous faites un emprunt à la banque sur dix ans. Au bout de dix ans, les 500 euros de loyer que paie votre locataire vont directement dans votre poche. C'est la même chose pour le tunnel Prado Carénage. Nous avons investi 300 millions pour réaliser ce tunnel".

Sur cette somme, une partie était un prêt de la Banque européenne d'investissement. Encore de l'argent public, râlent certains qui pointent, en sus, l'existence d'un tunnel ferroviaire. Ils n'auraient donc pas eu à creuser pour trouver le filon. "Certes, il existait bien un tunnel mais l'investissement lourd a bien été réalisé. Quant au prêt de la BEI, il a été remboursé depuis longtemps, justifie le directeur. Il ne faut pas regarder notre rentabilité sur une courte période. Pendant dix à quinze ans, nous n'avons fait aucun bénéfice mais nous avons remboursé nos emprunts. Il faut donc regarder notre rentabilité sur l'ensemble de la période ce qui nous amène à un taux de rentabilité de 10%, beaucoup plus raisonnable. Vous pensez bien que notre concédant, la communauté urbaine, surveille de près ce taux de rentabilité. Enfin, nous ne sommes pas propriétaire de cette infrastructure qui sera rendue à MPM à la fin de la concession en 2025".

"Le retard de la L2 n'avantage pas le tunnel Prado Sud"

Là encore, la puissance publique a bien fait les choses puisque, en 2014, la SMTPC sera l'heureuse exploitante du tunnel Prado Sud, un marché encore gagné par ses deux actionnaires, Vinci et Eiffage alors que leur concurrent, Bouygues, jetait opportunément l'éponge avant le rendu des offres. A ce propos, le patron de la société revient sur la fameuse clause dont Marsactu s'est fait l'écho et qui prévoit un retard dans la mise en service de la rocade L2 et du Boulevard urbain sud.

"Bien entendu, je ne peux pas nier que le retard de la L2 a un effet positif pour notre société. Des études déjà anciennes tablent sur une baisse de 20% du trafic (avec l'entrée en service, ndlr). En revanche, pour Prado sud, ce retard n'est pas positif. En effet, nous aurons un problème de congestion à l'entrée de Prado Carénage où vont se retrouver les automobilistes de l'A50 et ceux de Prado Sud. Or, les automobilistes sont prêts à payer si on gagne du temps. D'ailleurs, c'est ce que nous vendons : non pas des kilomètres mais du gain de temps". Et si les automobilistes gagnent du temps dans les tunnels, ils ne sont pas prêts d'en gagner en empruntant la L2 dont la partie Est ne sera pas livrée avant 2016. Et, tiens, comme c'est étrange, les trois candidats au partenariat public privé sont – roulement de tambour – Eiffage, Vinci et Bouygues.

Jacques Feron ne voit en cela rien d'étonnant, d'ailleurs pour le DG, la fameuse clause n'est qu'une "hypothèse de travail sur laquelle on construit le modèle financier. Elle n'a d'intérêt que si on peut démontrer que cela relève de la responsabilité du concédant. Par exemple, si ce dernier construit un itinéraire concurrent". Si MPM n'est en rien responsable du retard du chantier de la rocade L2, en revanche, la communauté urbaine est seul maître à bord concernant le chantier du boulevard urbain sud qui ne sera pas fini avant 2026.

Sur ce point, Jacques Feron se contente de renvoyer la communauté urbaine à ces chères études : "Le concédant est absolument maître de son calendrier et c'est lui qui a  établi cette hypothèse de 2026. Effectivement, si le Bus est fini avant cette date et que nous perdons du trafic à cause de cela, nous discuterons avec la communauté urbaine". Si ce dernier décide de recourir à un partenariat public privé (PPP) pour finir ce Boulevard urbain sud, ils trouveront sûrement un terrain d'entente. Dans une ville pauvre et embouteillée, il n'y a que les riches pour transformer le bitume en or.