Le théâtre à grande vitesse s’arrête à l’hôtel Ibis

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le 6 Avr 2016
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Pendant une semaine, le théâtre Joliette-Minoterie s'invite dans diverses entreprises pour proposer une adaptation en 20 minutes de la célèbre tragédie Phèdre de Racine. Ce mardi midi, les comédiens ont joué à l'hôtel Ibis, boulevard de Dunkerque, au milieu d'une quinzaine d'employés, invités à participer à cet interlude artistique peu habituel.

Phèdre de Racine par la compagnie Didascalies & co. Photo : Elien Roofthooft
Phèdre de Racine par la compagnie Didascalies & co. Photo : Elien Roofthooft

Phèdre de Racine par la compagnie Didascalies & co. Photo : Elien Roofthooft

Dans le restaurant de l’hôtel Ibis, boulevard de Dunkerque (2e), assis en deux rangées, les salariés se font face en silence, scrutant les visages de leurs collègues. Femmes et valets de chambres, réceptionnistes, serveurs, ils sont une vingtaine d’employés, vêtus de leur uniforme rouge, assis dans la salle à manger. Dans l’attente. Dans quelques minutes, les trois comédiens en costume de la compagnie Didascalies & Co vont interpréter la tragédie de Racine Phèdre, ou plutôt une reprise, Racines, condensée pour tenir dans un bref interlude de vingt minutes, au terme duquel chacun retournera à sa tâche.

Les comédiens Olivier Barrère, Samir El Karoui et Sharmila Naudou se meuvent au centre de leur public, frôlant de leur costume les jambes rapidement ramassées sous les chaises. “Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine”, déclame Phèdre, amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Les mimiques des acteurs qui interprètent plusieurs personnages et les libertés comiques prises par l’auteure du texte, Noëlle Renaude, finissent par susciter quelques rires, souvent contenus.

Œillades discrètes

Vingt minutes plus tard, quand les comédiens quittent la scène imaginaire, certains applaudissent timidement, jetant des œillades au directeur de l’hôtel, lui-même assis dans le public. “Ça m’a plu, ça change l’environnement de travail, je me rends compte qu’il y a un théâtre juste à côté et que je n’y vais jamais…”, s’enthousiasme une jeune employée avant de s’éclipser. Tout est minuté : des clients vont bientôt s’installer pour déjeuner et les chambres doivent être prêtes pour 15 heures. Toute la semaine, sur une initiative du théâtre Joliette-Minoterie, la troupe joue ainsi la pièce dans diverses entreprises : à l’hôpital européen, à l’école supérieure d’arts graphiques Axe-sud, dans les locaux de Futur Télécom et dans d’autres lieux encore.

Lorsque le théâtre propose à la direction de l’hôtel de se prêter au jeu, elle n’hésite pas, comme la plupart des entreprises sollicitées : “Les hôtels Ibis sont des marques très standardisées. Chaque hôtel doit juste suivre les directives du groupe Accor. Là, l’idée était aussi d’apporter de l’animation aux clients – malheureusement peu présents au rendez-vous -, mais aussi de partager un moment avec nos équipes. Évidemment nous sommes un peu contraint par le timing à respecter, et du coup il a fallu aller chercher les employés qui étaient occupés dans les étages”, raconte le directeur adjoint de l’hôtel Nicolas Quéval.

A l’origine, en 2008, la pièce est écrite pour être jouée sur le parvis de l’opéra, dans le cadre de l’événement Sirènes et Midi net de Lieux publics. “Noëlle Renaude reprend le déroulé de la pièce de Racine, scène par scène, en gardant des vers du dramaturge et en intégrant les didascalies dans le jeu. Du coup les comédiens disent oralement dans quel état ils se trouvent. C’est une forme théâtrale très contemporaine. La pièce réduite montre l’agitation contenue dans la pièce classique”, présente le metteur en scène Renaud-Marie Leblanc, également directeur artistique de Didascalies & Co. Depuis, la pièce continue de vivre jouée dans des collèges, comme la semaine dernière au collège Izzo, ou encore à l’ouverture des saisons des théâtres.

“Intergir avec les comédiens”

En janvier 2015, la compagnie Didascalies & Co s’installe pour 18 mois en résidence au Théâtre Joliette-Minoterie qui lui propose de jouer en entreprise. “Dans cet univers, nous sommes confrontés à un public issu de milieux sociaux très différents, qui n’a pas forcément une pratique du théâtre, qui n’en possède pas les codes. Il ne sait pas s’il doit interagir avec les comédiens notamment. Mais l’objet artistique n’est pas formaté en fonction du type de public, c’est toujours le même spectacle, on ne transige pas”, poursuit le directeur artistique.

Renaud-Marie Leblanc explique être plus habitué à travailler avec les publics dits “empêchés” comme les chômeurs plutôt que vers des actifs éloignés de cette forme de spectacle. Même lorsque les salariés en question travaillent à seulement quelques centaines de mètres du théâtre, comme c’est le cas pour les employés de l’hôtel Ibis. “Habituellement, ce ne sont pas les travailleurs du quartier, rentrés chez eux le soir que l’on retrouve à la Minoterie après 18 heures”, observe-t-on du côté du théâtre qui souhaite justement attirer ce public distant entre ses murs.

Selon l’entreprise visitée, la réception de la pièce est très différente. Si le metteur en scène décrit une ambiance “électrique” à l’école d’arts graphiques, à l’hôtel Ibis, une légère gêne flotte dans l’air. Mais justement. Sans prétendre initier une révolution, Renaud-Marie Leblanc se plaît à asseoir côte à côte, sur le même banc, employés et direction. “Cela brasse un peu les cartes et apporte du débordement dans des milieux très hiérarchisés” s’amuse-t-il. Et au-delà du seul fait de raconter un texte classique, on montre les artistes qui mouillent leur chemise à deux centimètres des spectateurs. Il y a là une irruption de la chose théâtrale, inhabituelle, qui est réellement intimidante”.

Ce mercredi, à 12 h 30, la petite troupe Didascalies&Co jouera Racines au Bar du théâtre Joliette-Minoterie au 2, place Henri Verneuil (2e). Réservation indispensable sur place ou au 04 91 90 74 28 ou par mail à resa@theatrejoliette.fr.

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