Le système d’autocontrôle d’ArcelorMittal mis en cause
Deux anciens travailleurs d’ArcelorMittal Méditerranée accusent l’entreprise d’avoir falsifié certains relevés de pollution pendant des années. Ces témoignages interrogent, jusqu’à la justice, sur les failles du système d’auto-surveillance. Une enquête en accès libre, dans le cadre d'un partenariat avec le media Disclose.
Le site d'Arcelor-Mittal à Fos-su-Mer. (Photo NH)
240 jours de pollution excessive aux particules fines en 2022. Ce chiffre révélé par l’enquête menée par Marsactu et Disclose n’est pas le fruit d’une évaluation publique et indépendante, mais bien celui que nous avons pu découvrir directement dans des documents établis par ArcelorMittal lui-même. En France, les entreprises ICPE – pour Installations classées pour la protection de l’environnement, c’est-à-dire les plus polluantes – mesurent elles-mêmes leurs émissions. Elles agissent selon des protocoles définis par la réglementation, puis transmettent les résultats à l’État, qui a la charge de vérifier que ces rejets respectent les limites légales.
Des perquisitions ont eu lieu en 2022 sur le site de Fos-sur-Mer.
À Fos-sur-Mer, ArcelorMittal mesure donc lui-même ses émissions quotidiennes de poussières, d’oxydes d’azote, de dioxyde de soufre et les composants organiques volatiles. Central dans la surveillance de cette usine, l’autocontrôle pose pourtant question. Y compris à la justice, qui a ouvert une information judiciaire pour mise en danger de la vie d’autrui. Elle fait suite à la plainte contre X déposée par 211 habitants, sept associations environnementales et le syndicat CFDT métallurgie en novembre 2018. Selon nos informations, les enquêteurs du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Marseille ont perquisitionné en 2022 le site industriel d’ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, et s’intéressent de près à la sincérité de ses relevés d’émissions polluantes.
Les accusations de deux anciens salariés
Deux anciens travailleurs de la société nous ont confié avoir été interrogés dans le cadre de cette enquête. À Marsactu, ils racontent comment l’industriel se serait arrangé avec la réalité pour minimiser ses déclarations de pollution lorsque ses émissions dépassaient les seuils. Cet ouvrier et ce technicien, en poste jusqu’en 2018, étaient chargés de contrôler les émissions diffuses de la cokerie, l’unité la plus polluante de l’usine, où le charbon est transformé en combustible de coke.
Appelées diffuses parce qu’elles ne sortent pas des cheminées, ces émissions sont chargées en benzène et benzo-a-pyrène, des cancérigènes irritants. Pour les comptabiliser, Mathieu*, technicien, faisait le tour de la cokerie, une fois par semaine, pour observer et noter le nombre de panaches de fumées s’échappant des installations. “En faisant le tour des fours de la cokerie, je comptais en général 15 à 20 fumées anormales. Mais mon supérieur hiérarchique m’avait demandé de ne jamais rentrer des chiffres supérieurs à 7 dans le fichier informatique.” Ce nouveau ratio aurait permis de rester en dessous du seuil fixé par l’arrêté préfectoral : “Quand j’ai commencé à faire ces mesures et à transmettre à mon supérieur les relevés réels qui dépassaient les limites légales, il était mécontent et m’a fait comprendre que je devais lui ramener de “meilleurs” résultats. J’imagine qu’il fallait éviter à ArcelorMittal de payer des amendes.” Selon cet ancien technicien de la sidérurgie, les relevés falsifiés étaient ensuite transmis à la Dreal, la direction régionale de l’environnement, un service de l’État.
Lorsqu’il y avait une visite de la Dreal de prévue, notre équipe était renforcée et on devait venir plus tôt le matin pour « colmater » au maximum les fuites.
Un ancien salarié
Patrick*, qui a travaillé plusieurs années à la maintenance des fours de la cokerie, confirme ces modifications des relevés a posteriori. “J’accompagnais le technicien chargé de ces relevés et je l’ai vu modifier les chiffres une fois devant son ordinateur.” Il décrit aussi une manœuvre temporaire permettant de dissimuler la pollution excessive de la cokerie. “Lorsqu’il y avait une visite de la Dréal de prévue, notre équipe était renforcée et on devait venir plus tôt le matin pour « colmater » au maximum les fuites, raconte-t-il. Ensuite un technicien dans la salle de contrôle baissait les barillets, du coup la pression était négative et les fumées étaient aspirées à l’intérieur des fours. Ça ne pouvait pas durer plus d’une heure ou deux parce que ça abîmait beaucoup les fours.” Il a fini par démissionner par peur des conséquences sur sa santé, après plus d’une décennie passée au milieu des fumées de la cokerie.
“J’ai formé mon successeur à modifier les mesures”
Ces manipulations et falsifications supposées de relevés de pollution ont-elles toujours cours à Fos-sur-Mer ? Probable selon Mathieu, l’ancien technicien, qui a quitté l’entreprise il y a cinq ans. “J’ai formé mon successeur à faire ces mesures et à les modifier pour avoir des résultats “acceptables” par la hiérarchie.”
En 2019, le directeur Bruno Ribo avait fermement démenti dans une interview à La Provence ces accusations de falsification, révélées à l’époque par le documentaire “Fos, les fumées du silence”** diffusé sur France 3. Interrogé à nouveau sur le sujet , le service communication d’ArcelorMittal répond à Marsactu : “Nos salariés agissent avec professionnalisme, éthique et conscience. Les prélèvements et analyses des émissions font l’objet d’un suivi rigoureux et d’une information auprès des autorités compétentes”.
En gage de la probité de l’entreprise, le même service met en avant “les contrôles inopinés de surveillance de la Dreal”. Pourtant, les visites de cette antenne de l’État ne sont pas si nombreuses. D’après les rapports publiés sur le site gouvernemental Géorisques, seulement trois visites y ont été conduites en 2022. C’est cinq fois moins que sur l’autre site de la firme à Dunkerque. Là-bas, les agents de la Dreal des Hauts-de-France ont inspecté l’usine, classée Seveso seuil haut comme celle de Fos-sur-Mer, 19 fois en 2021 et 16 fois en 2022.
Un contrôle de l’État de plus en plus lâche
De manière générale, à l’échelle nationale, la fréquence des visites des inspecteurs de l’environnement, toutes installations confondues, a baissé de 28% depuis vingt ans, s’alarme la commission d’enquête sénatoriale formée en 2020 suite à l’incendie de l’usine chimique de Lubrizol à Rouen. “L’évolution du nombre de contrôles réalisés chaque année par l’inspection des ICPE est inquiétante. Au total, le nombre de contrôles est passé de 25 121 en 2003 à 18 196 en 2018”, écrivent les sénatrices Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy. Des conclusions partagées par la Cour des comptes, qui pointe à nouveau le système d’autocontrôle par les industriels dans un rapport de juillet 2020, soulignant le manque de visites d’inspection et le niveau “peu dissuasif” des amendes prévues par le code de l’environnement.
Premier industriel pollueur des Bouches-du-Rhône, ArcelorMittal Méditerranée ne fait pas exception : seules deux amendes administratives de 15 000 euros chacune et une astreinte de 54 000 euros (une autre est en cours mais n’a toujours pas été réclamée) ont sanctionné l’industriel pour ces excès de pollution depuis dix ans.
Lorsqu’il y avait une visite de la Dréal de prévue, notre équipe était renforcée et on devait venir plus tôt le matin pour « colmater » au maximum les fuites
**Nina Hubinet, qui co-signe cet article est aussi la co-autrice de ce documentaire
Les joies du capital …on se controle soi même…???????
On a presque envie de rire…
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Et la DREAL fait confiance … Et en plus elle se fait “enfumer” (désolé) quand elle vient sur site. Pas top, le service public à la préf 13 …
On va nous dire, c’est la faute aux baisses d’effectif. Admettons. Mais à l’heure de l’Internet des Objets, on doit pouvoir disposer des capteurs communicants dans l’usine, sous scellés, et d’autres à l’extérieur de l’usine. Pas besoin de personnel pour s’en occuper, ça marche tout seul, les données sont rapatriées vers un serveur qui les compile et les met à disposition. (exemple là : https://www.iqair.com/fr/air-quality-community).
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Par ailleurs, ce manque de zèle dans les contrôles sent l’éternel chantage à l’emploi : il ne faut surtout pas que l’usine ferme … donc on ne lui fait pas trop de misère, voire on la subventionne.
M. Mital avait dû intégrer ça dans ses calculs quand il a acheté ARCELOR …
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