Le procès du bailleur social HMP rouvre un chapitre de vieilles pratiques politiques
Six personnes comparaissent cette semaine au tribunal correctionnel de Marseille pour favoritisme et détournement de fonds publics. Un dossier de probité qui mêle anciens cadres de HMP et avocats proches de la droite locale, époque Gaudin.
Le siège social du bailleur Habitat Marseille Provence (HMP) à Frais-Vallon. (Photo : CM).
Cette semaine, le tribunal correctionnel de Marseille s’apprête à solder une affaire de probité qui planait au-dessus du bailleur social Habitat Marseille Provence (HMP) depuis de longues années. Les faits les plus récents remontent à 2011. Mais ils concernent, entre autres, le proche entourage du président actuel de région Renaud Muselier, et plus globalement, la droite marseillaise alors aux manettes de la Ville.
Au premier plan, on trouve Jean-Luc Ivaldi, ancien directeur de cabinet de Renaud Muselier, aujourd’hui à la tête de la Société du canal de Provence (SCP). À l’époque directeur général de HMP, il est poursuivi pour prise illégale d’intérêts. La justice lui reproche d’avoir favorisé la désignation de plusieurs avocats agissant pour le compte du bailleur, sans mise en concurrence. Parmi ces avocats figure celle qui est alors l’épouse de Renaud Muselier, Stéphane Clément, aujourd’hui poursuivie pour recel de cette prise illégale d’intérêts. Au total, six personnes sont attendues à la barre ce lundi 16 septembre, et l’affaire qui concerne l’ex-compagne de Renaud Muselier n’est qu’un chapitre du dossier.
En 2011, le parquet de Marseille reçoit un signalement de la Miilos, la Mission interministérielle d’inspection du logement social, rebaptisée Ancols depuis. Cette dernière vient d’achever un contrôle au sein de HMP. Elle a relevé deux éléments “susceptibles de caractériser des infractions pénales”, lit-on dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel que nous avons pu consulter. D’une part, le recours à différents prestataires “en dehors de toute publicité et de toute mise en concurrence”. D’autre part, le curieux licenciement, en 2008, de celle qui a précédé Jean-Luc Ivaldi à la direction générale de HMP, Nicole L’Hernault. Cette dernière a bénéficié d’une indemnité de 218 000 euros, sur fond de conflits internes.
cabinet “allié”
La justice s’est intéressée à l’activité de plusieurs cabinets de conseil, dont la société IAG. L’enquête met au jour que HMP a sollicité IAG pour des prestations d’assistance et de conseil “sans mesures de publicité” et sans “mise en concurrence”. La mission avait commencé en toute légalité en 2003, pour un marché de trois ans. Mais au terme de ce délai, cette mission avait continué “en dehors de tout cadre contractuel”. Entre 2006 et 2009, la société IAG a ainsi perçu 271 000 euros. Un nouveau marché public n’a été conclu qu’en 2010.
Le même mécanisme est observé avec la société Leaders & Opinions, dirigée par Marc Vanghelder, identifié comme acteur central des campagnes électorales, en 2002 et 2008, de Jean-Claude Gaudin. Il a déjà été jugé dans ce dossier, en juillet, via une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Et condamné à quatre mois de sursis, 2 500 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité pour “recel d’atteinte à la liberté d’accès des candidats dans les marchés publics”. Car les marchés publics, justement, n’étaient pas commandés. Nicole L’Hernault, la directrice générale de HMP de l’époque, expliquera quant à elle qu’avoir recours à cette société lui permettait d’avoir “l’oreille du maire” et ainsi, de s’affirmer auprès de la Ville, autorité de tutelle du bailleur. “En résumé, avec ces 45 000 euros annuels [facturés à Leaders & Opinions, ndlr], je gardais un allié dans la place”, résume-t-elle sans détour.
Petit cercle d’avocats
Ces prestations illégales concernent aussi des missions d’assistance juridique. Ainsi, entre 2005 et 2009, près de 735 000 euros ont été facturés à différents cabinets d’avocats, eux aussi désignés par HMP en dépit “des principes fondamentaux du droit de la commande publique” et sans aucun contrat écrit. L’avocate Stéphane Clément fait partie des principaux bénéficiaires de ce système, avec 71 000 euros facturés en quatre ans. Lorsqu’en 2009, un marché public est finalement passé, elle figure parmi les lauréats. Avec d’autres avocats, elle devient officiellement chargée de représenter HMP dans les contentieux contre les locataires.
Au cours de l’instruction, plusieurs salariés de HMP décrivent aux enquêteurs un système aux motivations politiques. Ainsi, la responsable du service des marchés publics explique que la directrice générale Nicole L’Hernault avait décidé de concentrer entre les mains d’un petit cercle d’avocats les missions juridiques externalisées. Stéphane Clément, donc, mais aussi Jean-Louis Tixier, adjoint municipal à La Ciotat et “proche de monsieur Muselier”.
En 2008, la direction générale change de main, mais les mêmes pratiques perdurent. Lorsque Nicole L’Hernault laisse son fauteuil à Jean-Luc Ivaldi, une responsable juridique explique aux enquêteurs que ce dernier lui donne “l’instruction verbale de confier 60 % des dossiers à Me Stéphane Clément et de partager le reste des dossiers entre Me Jean-Louis Tixier et Me Salasca”. L’avocate Marie-Hélène Salasca s’avère être la femme du directeur de la société de café Henry Blanc, lui-même proche du président de HMP, Bernard Oliver.
Quant à Stéphane Clément, elle a assuré aux enquêteurs ne pas faire de lien entre “la nomination de Jean-Luc Ivaldi et l’augmentation de son chiffre d’affaires”. De son côté, Jean-Luc Ivaldi a expliqué que l’avocate était “la moins chère” et que ses prestations permettaient de “faire gagner de l’argent” à HMP. Un avis tout relatif : une employée du service juridique estime quant à elle qu’il s’agissait d’une “pure perte [financière] pour HMP”.
Un licenciement et une retraite
Mais ce lundi 16 septembre, les magistrats vont d’abord interroger Nicole L’Hernault sur les conditions troubles de son licenciement. Celui-ci est décidé en février 2008. Un an plus tôt, la présidence de HMP, alors assurée par Bernard Oliver, avait signé un avenant au contrat de Nicole L’Hernault qui comportait un mode de calcul plus favorable de ses indemnités en cas de licenciement. La directrice générale est déjà en âge de prétendre à une retraite à taux plein. Lorsque son départ est voté en conseil d’administration, le mot “licenciement” n’apparaît même pas dans la délibération. Les administrateurs ne savent pas, non plus, que ce départ se solde à 218 000 euros.
“Tous les administrateurs ont été effarés, surtout que la situation de l’office est très tendue […]. On a vraiment le sentiment que ces choses ont été décidées en catimini par Bernard Oliver et Nicole L’Hernault”, explique l’un d’eux aux enquêteurs. Un autre administrateur se dit “choqué” par le montant de l’indemnité, qu’il qualifie de “prix du silence”.
Ce qui est certain, c’est que Nicole L’Hernault quitte HMP sur fond de conflit avec la Ville de Marseille, et en particulier le “monsieur urbanisme” d’alors, Henri Loisel. L’homme, directeur général adjoint des services sous Jean-Claude Gaudin, semble porter peu d’intérêt au bailleur social, dont une grande partie du patrimoine locatif se situe dans les quartiers Nord. Bernard Oliver dit à propos de lui qu’il “refusait systématiquement toute action dans les quartiers Nord, ou alors a minima, considérant qu’il en faisait assez pour des populations qui souvent ne le méritaient pas”. Une philosophie très clientéliste, qui pourrait bien ressurgir dans les débats qui s’ouvrent aujourd’hui, bien qu’elle ne soit pas au cœur du dossier.
Bernard Oliver est renvoyé devant la justice pour “complicité de détournement de fonds publics”. Celui qui lui a succédé à la présidence de HMP, l’ex-adjoint municipal Patrick Padovani, lui, n’est pas poursuivi. Il a simplement été interrogé au cours de l’enquête et a déclaré, sur la préférence accordée à certains avocats proches de la droite : “Si le travail est bien fait, cela ne me pose pas de problèmes particuliers.” Là aussi, toute une philosophie.
Actualisation le 16 septembre 2024 à 12h30 : mention de la condamnation de Marc Vanghelder.
Commentaires
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Les additions se règlent toujours et cela est bien le cas avec ce procès.
La gaudinie pensait que non , la Justice prouve le contraire et cela est parfait.
Si il y a condamnation nous verrons bien le montant des peines (avec sursis ?)
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“Les additions se règlent toujours” ? C’est bien la première fois qu’Alceste paraît croire aux Bisounours…
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favoritisme et détournement de fonds publics….abus de biens sociaux…et toute une série de petits actes de délinquance et de corruption ordinaire commis par nos élus. Dans la plupart de leurs fonctions.
je ne suis pas forcément naïf, cependant il est consternant de remarquer que le pouvoir corrompt certains (pas tous, je sais)
pour ce qui concerne les élus cités, c’est consternant.
ce sont souvent les premiers ( davantage à droite) à dénoncer les fraudes. En ce moment, au sujet des arrêts de travail, il y a aussi le travail « au noir », les abus autour du chômage….bref, de même l’ « assistanat » en général est mis en cause…alors que comme assistés certains patrons en profitent bien, suppression de cotisations, niches fiscales, cice….(et ça ne ruisselle pas plus que ça !)
est ce que c’est parce qu’une fois arrivés aux affaires ils savent et usent de leur droit de « tout » faire, même dans l’illégalité avec ce sentiment fort partagé chez eux d’impunité due et d’arrogance ?
et selon l’adage « comme on est, on croit les autres » ils accusent violemment parfois des abus qui sont répréhensibles, sans regarder devant leur porte ?
alors évidemment on souhaite qu’ils soient condamnés pour leurs turpitudes, mais ils ne le seront jamais assez.
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Un adage adapté pourrait être : “Quand le sucrier est à portée, la tentation du pot de confiture est grande”.
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Renaud Muselier, après son” switch” avec Estrosi est devenu Président du Conseil régional PACA en 2017 où Jean Luc Ivaldi l’a suivi au poste de directeur général adjoint. Chargé des ressources humaines, des finances et…des marchés publics sans doute grâce à ses compétences acquises dans ce domaine à HMP.
Xavier Cachard, avocat d’un syndic d’immeuble effondré rue d’Aubagne était président de la Commission d’appels d’offres du Conseil régional.
Un article de Libé rapportait un échange tordant entre Cachard, Ivaldi et consorts sur cette affaire des marchés d’HMP.
Loin d’être un expert en matière de gestion de l’eau, Ivaldi a été ensuite recruté comme Directeur général de la Société du Canal de Provence, entreprise dépendant du Conseil régional Paca donc de …Muselier.
En effet, les méthodes de la vieille droite marseillaise perdurent.
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Stéphane Clément => Stéphanie Clément
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Je comprends mieux le “place aux jeunes” de la rentrée politique de la droite, .
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oui enfin place aux jeunes, mais avec Bruno Gilles, Laure-Agnès Caradec, Yves Moraine et Didier Réault. Sans parler du sémillant Lionel Royer-Perreaut qui revient dans le jeu après voir été exclu du Palais Bourbon.
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“Henri Loisel, directeur général adjoint des services sous Jean-Claude Gaudin, ‘refusait systématiquement toute action dans les quartiers Nord, ou alors a minima, considérant qu’il en faisait assez pour des populations qui souvent ne le méritaient pas’.” Un bien beau résumé du gaudinisme : l’abandon délibéré de la moitié de la ville par un gang de truands.
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