Le plus gros pollueur du Rhône Fibre excellence sera jugé en correctionnelle

Info Marsactu
par Pierre Isnard-Dupuy & Jean-Marie Leforestier
le 28 Jan 2020
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Elle s'est fait connaître pour l'ampleur de ses pollution de l'eau et de l'air. Depuis 10 ans, la papeterie de Tarascon fait régulièrement l'objet d'arrêtés pointant la nécessité de sa mise aux normes. Suite aux plaintes d'associations et de riverains, Fibre excellence est convoquée en correctionnelle ce 6 janvier.

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L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

Considérée comme “le principal pollueur du bassin du Rhône” par l’agence de l’eau, l’usine de pâte à papier Fibre excellence de Tarascon va devoir répondre aux questions de la justice. À l’issue d’une enquête préliminaire qui aura duré trois ans, le parquet local a décidé de renvoyer l’entreprise en correctionnelle pour plusieurs infractions au code de l’environnement devant le tribunal judiciaire de Tarascon le 12 mai. La pollution atmosphérique de l’industrie est également visée (relire notre enquête à propos des pollutions de Fibre excellence).

Juste avant de quitter le nord des Bouches-du-Rhône pour la Guadeloupe, le procureur de la République Patrick Desjardins a décidé qu’il y aurait ce procès pénal. L’entreprise  est poursuivie pour “émission de substance polluante constitutive d’une pollution atmosphérique”, “exploitation d’une installation classée non conforme”, “exploitation d’équipement sous pression malgré un contrôle ayant conclu à leur non conformité” et “exploitation d’une installation classée autorisée sans respect des règles générales et prescriptions techniques”.

Créée en 1951, la papeterie se situe au sud de Tarascon en bordure du Rhône au milieu de terres agricoles. L’usine Classée Seveso 2 transforme jusqu’à 1,2 millions de tonnes de bois en 250 000 tonnes de pâte à papier par an. Dans le quotidien des usagers de la ligne SNCF entre Arles et Avignon, qui passe le long de l’usine et pour nombre d’habitants du Pays d’Arles, les émanations dans l’atmosphère du site sont clairement identifiées. “Ça sent Tarascon”, se disent-ils les jours de mistral.

La justice se base sur des infractions constatées entre le 20 juin 2016 et le 9 novembre 2018. L’entreprise risque au maximum un total de 157 500 euros d’amende, une astreinte jusqu’à 3 000 euros par jour sur une durée maximale d’un an en l’absence de mise en conformité, ainsi que l’arrêt ou la suspension d’une partie ou l’ensemble des installations hors normes.

Une pollution d’excellence
Les quantités de polluants rejetées par Fibre excellence Tarascon sont particulièrement importantes. Pour l’année 2016,  l’agence de l’eau estimait que les rejets de Fibre excellence dans le Rhône à 4000 tonnes de matières en suspension (MES), trois tonnes de métaux lourds, 66 tonnes de phosphore et 104 tonnes de chlore. La Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL) a inspecté le site en 2016. Son rapport pointe des dépassements de seuil réglementaire 14 fois supérieurs pour les poussières, 12 fois supérieurs pour le cadmium, six fois supérieurs pour les autres métaux lourds et trois fois supérieurs pour les gaz oxydes d’azote.

Plainte pour mise en danger de la vie d’autrui

Au départ de cette procédure l’association de défense de l’environnement rurale (ADER), des riverains et administrateurs de l’école du Petit Castelet, située dans le voisinage, avaient porté plainte en février 2017 pour “mise en danger de la vie d’autrui, pollution atmosphérique et pollution des eaux superficielles et souterraines” à l’encontre de la société Fibre excellence. Le parquet ne retient donc pas la mise en danger de la vie d’autrui. “C’est un coup de semonce”, considère néanmoins l’avocat de l’ADER Vincent Lorenzi. “Dans un premier temps, le parquet fait bien d’utiliser d’autres moyens qui sont ceux du code de l’environnement pour tâcher de les faire rentrer dans le rang. S’ils s’avisaient de persister dans leur résistance abusive à ne pas se mettre aux normes, la mise en danger de la vie d’autrui est envisageable”, poursuit l’avocat.

“La route va être encore longue ! Nous tout ce que l’on veut c’est que cette usine soit aux normes et arrête de polluer”, souffle Philippe Chansigaud, président de l’ADER. À l’automne 2019, s’inquiétant “des dysfonctionnements touchant à la gestion des déchets, la gestion des eaux pluviales, le stockage de produits dangereux et surtout des dépassements réguliers des émissions de poussière et d’autres substances telles que le dioxyde de souffre”, France nature environnement Paca (FNE) a également déposé une plainte. La fédération d’associations environnementales sera elle aussi convoquée le 12 mai comme victime.

Dans sa plainte, l’ADER visait aussi le maire LR de Tarascon Lucien Limousin. “Alors qu’il se doit d’assurer la protection des populations, il n’a rien fait pour informer les autorités préfectorales et la population concernant les pollutions : pas même un panneau pour informer en particulier les personnes fragiles”, affirme Philippe Chansigaud qui regrette que ce dernier ne fasse pas parti des convoqués. “La protection des populations est de la responsabilité de l’État et chaque fois que j’ai eu une information, je l’ai transmise aux services de l’État“, se défend Lucien Limousin.

Les victimes déplorent également que seule la personne morale de Fibre excellence soit poursuivie, alors que trois anciens dirigeants de l’entreprise étaient mentionnés dans la plainte.“Si les anciens directeurs ne sont pas responsables des actes qu’ils ont commis, c’est grave. Ça veut dire que tout est permis”, ne décolère par Bruno Émeric, agriculteur riverain et administrateur de l’école du Petit Castelet. “Le plus grave c’est que c’est nous riverains, associations, syndicats agricoles qui œuvrons pour la protection des populations. On est des Don Quichotte !”, poursuit-il.

L’absence de mise aux normes pointée depuis dix ans

Régulièrement rappelée à l’ordre, Fibre excellence tarde toujours à réagir et en général au delà du délai qui lui est imposé. Depuis son passage dans le giron du géant indonésien Asia pulp and paper (APP) en 2010 – après que la multinationale ait racheté les deux sites français du canadien Tembec (avec celui de Saint-Gaudens en Haute-Garonne) – le site de Tarascon a fait l’objet d’une dizaine d’arrêtés préfectoraux portant sur la mise en conformité de ses installations ou sur la gestion de la pollution.

“On ne peut pas nier le risque sanitaire, pas nier le bruit et les odeurs.

Michel Chpilevsky, sous-préfet d’Arles, La Provence juillet 2019

En juillet dernier encore, le préfet de région Pierre Dartout a adressé une série de mises en demeure à l’entreprise concernant les rejets dans le Rhône, les nuisances sonores ou encore les rejets dans l’air de dérivés du soufre. L’action des services de l’État n’a toutefois jamais été suivi de sanctions administratives. Régulièrement depuis 2018 le sous préfet d’Arles Michel Chpilevsky est intervenu auprès de la presse locale (comme ici sur France 3) pour affirmer la nécessité de conserver les 270 emplois du site, dans un bassin d’emploi tendu.

De son côté, l’entreprise, qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien, affirme depuis des années procéder à de “colossaux investissements” sur le site tarasconnais. Le sous-préfet d’Arles qui pilote les comités de suivi de site (CSS) bisannuels, considérait en juillet dans La Provence : “On ne peut pas nier le risque sanitaire, pas nier le bruit et les odeurs. Nous allons continuer à travailler là-dessus, pour améliorer la situation”. C’est tout ce qu’attendent les riverains.

Avec Jean-Marie Leforestier

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Pierre Isnard-Dupuy
Journaliste, membre du collectif Presse-papiers
Jean-Marie Leforestier
Journaliste | jm.leforestier@marsactu.fr

Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    Tarascon, Cortiou, Cassis, La Ciotat, même combat! Des services de l’Etat aux ordres des politiques qui freinent des quatre fers devant les sanctions ou attendent que tout rentre dans l’ordre avant de faire les constats qui conduisent à: “circulez y a rien à voir”. Si la justice doit intervenir à la suite des plaintes déposées par les riverains comment peut-on encore justifier le bien-fondé de la représentativité dans notre “démocratie”?

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  2. Alain Dex Alain Dex

    Il manque des virgules dans le titre, non ?

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    • barbapapa barbapapa

      Non, juste une majuscule à Excellence

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  3. petitvelo petitvelo

    Article futuriste (daté du 28 Jan 2020 !)
    Pour toutes ces situations de pollutions qu’on laisse traîner, le meilleur moyen, s’il y a volonté d’agir , c’est de faire comme pour les dealer :taper au portefeuille.
    Il faut arriver à dire : Oui vous pouvez polluer , le temps que vous arrangiez les choses, mais en attendant c’est une astreinte de XXX euro par jour de production, et ça augmente de X% tous les mois. c’est le message qui marche le mieux avec la “main invisible du marché”

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