Le Petit Nice de Gérald Passedat peut-il garder son parking les pieds dans l’eau ?

Le parking du Petit Nice, en encorbellement au-dessus du domaine public maritime. Photo : VA

“Le domaine public maritime est inaliénable, autrement dit, personne ne peut se prévaloir de la qualité de propriétaire sur cet espace commun.” Les propriétaires du bord de mer marseillais connaissent bien la chanson. Depuis son entrée en vigueur en 1986, le refrain de la loi Littoral bourdonne aux oreilles de ceux qui vivent ou travaillent les pieds dans l’eau. Au plus grand bonheur des baigneurs, baladeurs ou pêcheurs venus pour profiter de la mer. C’est ainsi qu’au sud de la ville, l’Abri côtier, ou encore Chez Dédé ont laissé place à la plage, dans des criques que les habitués appellent toujours du nom de ces restaurants désormais démolis.

Un peu plus au nord, dans l’anse de Maldormé, des particuliers se battent pour retarder les opérations de déconstruction. Deux cabanons – dont un, construit illégalement et qui appartenait à l’ancienne députée socialiste Sylvie Andrieux – ne font déjà plus partie du paysage. Deux autres, sous le coup d’une procédure judiciaire entre l’État et les descendants des propriétaires, devraient subir le même sort. Dans la continuité de ces constructions qui empiètent sur le domaine public maritime, le Petit Nice, l’hôtel-restaurant étoilé du célèbre cuisinier Gérald Passedat, déborde, lui aussi, sur l’espace public. Passe-droit au détriment des citoyens ou dérogation justifiée ? Marsactu a posé la question aux différents acteurs concernés.

“Un tiers de son parking est au-dessus du domaine public maritime”

Une partie du parking de Gérald Passedat se situe clairement au-delà du trait de côte, qui délimite le domaine public maritime (voir image ci-dessous). Pour mettre dans les clous le cuisinier étoilé, l’État, propriétaire du domaine public maritime, lui délivre tous les trois ans une autorisation temporaire d’occupation. “Un tiers de son parking est au-dessus du domaine public maritime. Tôt ou tard, la question se posera”, glissait-on il y a peu encore dans les couloirs de la direction des territoires et de la mer (DDTM, service déconcentré de l’État notamment chargé des questions relatives au littoral).

Superposition du tracé du trait de côte transmis par la préfecture à une capture d’écran Google map

Cette autorisation temporaire, censée être assortie d’un motif de dérogation, a donc dû, en théorie, être renouvelée au mois de juin dernier. Après maintes relances au service presse de la préfecture, Marsactu n’a pas pu obtenir l’intégralité du document qui compose cette autorisation. Alain Ofcard, le directeur adjoint de la direction des territoires et de la mer l’assure pourtant : le parking du Petit Nice dispose bien d’une dérogation en règle.

L’argumentaire prend en compte l’accès à la mer préservé par le parking ainsi que l’activité économique qui s’appuie dessus : “Le parking est en encorbellement au-dessus du domaine public maritime, il ne gêne personne. Il s’agit d’une activité commerciale avec une redevance versée, je n’ai aucun argument pour dire de démolir”, tranche le haut fonctionnaire. Si une “opération de démolition complexe” est effectivement en cours au niveau des cabanons voisins, “rien n’est prévu” en ce qui concerne l’établissement de Gérald Passedat, informe encore le directeur adjoint de la DDTM.

Sous le parking du Petit Nice, un passage pour accéder au littoral. Photo : VA

Avis négatif de la mairie

Une position attentiste de l’État que regrette l’adjoint (EELV) à la mer et au littoral de la Ville de Marseille. “La reconduction de l’autorisation nécessite un avis consultatif de mes services et si on me le redemandait, il serait négatif.* Ce parking est en encorbellement au-dessus d’un espace de baignade, d’un espace naturel. Il faut une cohérence et la même exigence que pour les cabanons”, estime Hervé Menchon qui aimerait voir cet endroit retrouver son état naturel. L’élu à la mer va plus loin. Pour lui, cette construction donne une mauvaise image de la ville. “Il ne s’agit pas de n’importe quelle avancée, mais d’une avancée qui supporte des voitures. Exposer sur le littoral l’un des outils du dérèglement environnemental n’est pas très valorisant”, ajoute l’écologiste.

Après l’entrée du parking, des escaliers permettent d’accéder à la mer, un peu plus loin. Photo : VA

Hervé Menchon souhaite ainsi entamer des discussions avec les services de l’État et l’hôtel-restaurant. “Je ne suis pas l’État, mais je porte une position politique. Un grand nombre d’électeurs considèrent ce parking comme une verrue. Il faut avoir une réflexion paysagère globale. On a un axe de promenade entre Malmousque et le pont de la Fausse monnaie, on ne peut pas penser que par points isolés.”

Pour Kaïs, l’ombre du parking est plutôt appréciable. Photo : VA

“Un endroit recouvert mal fréquenté”

Charline, robe à paillette et sandalettes, apprécie la baignade au pic du soleil de midi au pied du Petit Nice. “L’été, quand il y a des touristes de partout je viens ici, c’est plus calme”, glisse la jeune femme. Mais avant de poser sa serviette et profiter de la mer, Charline doit passer par un moment désagréable : “Je n’aime pas passer sous le parking, c’est mal fréquenté. Comme c’est couvert, des gens se regroupent ici”, précise-t-elle. L’odeur d’urine vient agrémenter l’expérience, sans compter le muret qui fait office de rambarde : “Avec mes chaussures, je ne peux pas l’escalader, je dois donc faire tout le tour pour aller de ce côté-là”, ajoute-t-elle. Marsactu n’a pas réussi à dater ni à attribuer à quiconque la réalisation de cet ouvrage. “En tout cas, il n’a pas été construit par les services de la Ville”, assure Hervé Menchon qui se dit prêt à supporter la charge de sa démolition pour le remplacer par une rambarde en fer lisse.

Pour Kaïs, cette rambarde fait à l’inverse office de banc. Baskets aux pieds, il a sauté sur l’occasion en béton pour s’en griller une à l’ombre. Une habitude qu’il a depuis longtemps. La casquette en porte-à-faux au-dessus de sa tête ? “On ne voit pas que c’est un parking, et s’il n’était pas là, les gens ne pourraient pas venir au restaurant en voiture”, juge le jeune homme qui lui “roule en scooter.” Contacté, Gérald Passedat n’a pas répondu à notre sollicitation dans les délais impartis à la publication de cet article. Si les grilles de son restaurant ne se déverrouillent que pour laisser entrer des privilégiés, le débat sur la légitimité de son parking, lui, reste ouvert.

Actualisation le 24 août à 21 h : suppression du passage où l’architecte Yvann Plukswa était cité, l’intéressé étant en désaccord avec la retranscription de ses propos en dépit de nos efforts pour les modifier.

Actualisation le 25 août à 15h30 : contrairement à ce que nous avions écrit l’avis négatif de la mairie n’a pas été pris en compte dans la procédure de reconduction d’AOT car rendu hors délais.