Le passage à gauche du Sénat en trois questions

Le passage à gauche du Sénat en trois questions

La « prise du palais ». C’est la Une de Libé aujourd’hui, qui souligne la portée historique du basculement à gauche du Sénat hier. Une première dans les jardins du Luxembourg sous la Ve République, même s’il a connu un président de gauche de 1958 à 1968 représentant une « alliance » entre anti-gaullistes radicaux, démocrates chrétiens et communistes. A quelques mois de l’élection présidentielle. Revue des questions et enjeux en trois points.

1 L’ »anomalie démocratique » ?

Avant toute chose, revenons sur la spécificité de la Chambre Haute et du mode d’élection de ceux qui y siègent. Car, si la perspective d’une alternance, qualifiée de « séisme » par son président Gérard Larcher (UMP), et surtout sa confirmation, ont finalement eu droit à un minimum de couverture médiatique, on est loin (y compris sur Marsactu…) de celle dont bénéficient au même moment la primaire socialiste, et à au-delà d’elle l’élection présidentielle de 2012. Première spécificité : comme les conseillers généraux, les 348 sénateurs sont renouvelés par moitié tous les trois ans. Conséquences : pas de « grand soir » électoral, et des zones non concernées, à l’image de toute la région Paca.

Autre aspect ne facilitant pas l’enthousiasme citoyen : le suffrage indirect. Les 170 sénateurs élus dimanche l’ont été par un collège électoral composé des conseillers généraux, régionaux, des députés, et enfin de délégués des conseillers municipaux (ces derniers représentant 95% du collège). Pas de queues aux bureaux de vote donc, ni d’envoi de professions de foi et une campagne plutôt en coulisses.

Avec une autre conséquence, et on rentre là dans les revers de cette « anomalie démocratique » (selon l’expression de Lionel Jospin) : ces élus d’élus ne sont pas les plus prompts à rendre des comptes au « petit » électeur. Le Palais du Luxembourg est connu pour être en partie un refuge de candidats malheureux aux législatives (comme Jean-Pierre Chevènement, après sa défaite en 2002 puis 2007), voire d’aspirants à l’immunité parlementaire qui auraient du mal à la trouver directement auprès des électeurs (Charles Pasqua étant le meilleur exemple).

De manière plus générale, les sénateurs ne sont pas d’une activité débordante et, même si leurs homologues députés ne sont pas non plus des parangons en la matière, ils n’auront pas directement à s’en expliquer devant le suffrage universel direct. Exemple dans les Bouches-du-Rhône (à noter que Jean-Claude Gaudin est un cas atypique puisque successivement vice-président et président du groupe UMP) :

2 Une rampe de lancement pour 2012 ?

Mais la naissance, deux ans après celui consacré aux députés, du site Nos Sénateurs d’où sont tirées ces données en est une illustration : le Sénat peut aussi être un acteur observé de la vie politique. Et ce, avec la nouvelle majorité de gauche, au-delà de son rôle traditionnellement conservateur – et ressort de rappel lors de certaines lois un peu trop sarkozystes type tests ADN. Car si le possible futur président du Sénat Jean-Pierre Bel s’est défendu de toute volonté d’obstruction au travail législatif, et si des deux chambres c’est l’Assemblée qui a le dernier mot, l’exécutif et cette dernière devront composer, et même négocier, avec cette chambre désormais d’opposition. Une « gouvernance partagée », terme que les Marseillais habitués au consensus mairie-communauté urbaine-conseil général reconnaîtront – est d’ailleurs évoquée. Inutile de dire toutefois que Nicolas Sarkozy peut oublier l’inscription dans la Constitution de sa « règle d’or » de retour à l’équilibre budgétaire, qui exige une majorité des 3/5e du congrès (Assemblée et Sénat).

Et dans l’ordre du jour, dans l’examen des textes jusqu’au vote des amendements, la gauche pourra mettre sa patte. Y compris sur des dossiers cruciaux comme le budget, qui sera étudié à l’automne. Et bénéficier là d’une chambre d’écho pour faire valoir ses différences, au cours des mois qui vont rythmer la campagne de la présidentielle, qui va rentrer vraiment dans le vif du sujet après ces sénatoriales et la primaire PS d’octobre. Les commentateurs ajoutent également la portée symbolique d’un président du Sénat de gauche, 2e personnage de l’Etat et président de la République intérimaire potentiel, aux côtés de Nicolas Sarkozy lors d’événements officiels. La gauche au pouvoir avant l’heure ?

3 La première vraie prise de pouvoir de la gauche ?

Et surtout, dans l’éventualité d’une victoire en 2012 à la présidentielle et aux législatives en 2012, la gauche réellement au pouvoir. Car le corollaire d’un Sénat jamais à gauche depuis 68 est un Sénat toujours à droite depuis cette date. Y compris sous les deux septennats de François Mitterrand et le gouvernement de Lionel Jospin. Qui n’ont donc jamais vraiment bénéficié d’une majorité parlementaire complète. Cela pourrait servir, si jamais la gauche souhaitait réformer en profondeur la Constitution (qui comme on l’a vu nécessite une large majorité dans les deux chambres, voir à ce sujet notamment les idées des six candidats à la primaire PS). Ou plus simplement pour faire voter des textes de loi très marqués à gauche…

Enfin, et ce n’est pas négligeable, telle qu’est actuellement la Ve République, le président du Sénat dispose de pouvoirs de nominations : trois des neuf membres du Conseil constitutionnel, l’une des trois personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la Magistrature, deux des sept membres de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’une des trois personnalités qualifiées de l’Autorité des marchés financiers, trois des neuf membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel et deux des neuf membres du Haut conseil de l’éducation. Pouvoirs dont n’a donc jamais bénéficié la gauche lorsqu’elle était au gouvernement.

Sénat : la chute de (l’autre) maison Ga
udin, sur Marsactu