Le Massalia couches système ou la débrouille au service des tout-petits

Reportage
le 23 Avr 2020
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Depuis dix jours, une équipe de bénévoles a mis en place une plateforme logistique pour répondre à un besoin urgent dans ce temps de confinement : des laits et des couches pour les nouveaux-nés de familles dans le besoin.

La salle où le gros du trésor de lait et couches est stocké.
La salle où le gros du trésor de lait et couches est stocké.

La salle où le gros du trésor de lait et couches est stocké.

“Champignons ? Salade ? Non. Du riz ?” Le petit local du Manba ne désemplit pas à l’occasion du marché rouge bi-hebdomadaire. Ce mardi 20 avril, comme deux fois par semaine, le collectif ouvre ses portes pour une distribution alimentaire d’urgence. Une longue file de gens patientent dans la ruelle en pente qui longe l’église des Réformés. Sur la place des Danaïdes, une file jumelle s’étire devant la Casa Consolat où le collectif a dédoublé sa distribution pour faire face à l’affluence.

À vue de nez, il y a là près de 200 personnes qui s’imbibent de pluie fine, cabas au pied. Une majorité de femmes, avec parfois un enfant dans le dos ou à la main. La distribution se déroule non sans tensions. Bataille de places, moqueries et admonestations en langues africaines rythment l’attente. À l’intérieur, c’est calme et industrieux. Les bénévoles accompagnent chaque personne dans le choix des produits jusqu’au fond de la salle où une table surchargée concentre les produits d’hygiène et pour bébé.

Au fond de la chaîne de distribution, les produits d’hygiène et pour bébés.

Savons, serviettes hygiéniques, dentifrice, lait en poudre et couches forment l’essentiel de l’offre. Largement insuffisante face aux nécessités créées par le confinement. Une dame tchipe. Elle regarde les cinq couches que lui a remises la bénévole et fait signe de la main qu’elle a deux enfants en bas âge. Elle en recevra le double mais grimace toujours en enfournant le don dans son sac.

Cinq couches couvrent les besoins d’une journée

Pour un nouveau-né, cinq couches suffisent à peine pour une journée. Et le Manba propose sa distribution les mardis et vendredis. Il faudra attendre trois jours à cette maman pour espérer être réapprovisionnée par ce biais. Les militants du collectif sont bien conscients de ces limites qui touchent des produits chers et pourtant de première nécessité : le lait pour bébé et les couches. “Clairement, on en manque tout le temps”, constate Laurie, dépitée derrière son masque.

Au Manba, la pénurie donne lieu à un rationnement. Un jeune homme remplit patiemment des sacs en plastiques pour permettre que chacun soit servi, mélangeant un peu les âges. Pour les couches, la distribution tient tant qu’il y a du stock.

Un jeune bénévole répartit le lait dans des sacs pour rationner la distribution.

Pour le réapprovisionnement, le collectif peut compter sur une toute jeune initiative qui fleurit dans cette époque confinée propice à l’émergence de solidarités. Grégory Colpart en est un des chaînons. Animateur de la plateforme Aouf, née dans la foulée du drame du 5 novembre et de son avalanche de délogements, il prend son utilitaire tous les après-midis pour assurer une partie de la distribution du Massalia couches système, une plateforme née voici une dizaine de jours pour répondre avec souplesse à cette demande non satisfaite par les canaux plus institutionnels de l’action sociale.

Sortie de maternité avec trois couches en main

Juste avant l’ouverture de la distribution, cet entrepreneur déchargeait encore des cartons de lait, des sacs de couches et de produits en tous genre. “Sur la plateforme Aouf, on s’est aperçu qu’il y avait beaucoup de demandes de ce type qui remontaient sans forcément être satisfaites“, explique Grégory Colpart. Il se souvient notamment de cette mère avec une poignée de couches en main, à la sortie de la maternité de la Conception, sans habits pour son nouveau né.

En quelques jours, sous l’impulsion notable de Fathi Bouaroua, le président d’Emmaüs Pointe-Rouge, un lieu est trouvé boulevard de la Liberté et la plate-forme distributive mise sur pied. Comme elle gîte dans un ancien local de la communauté grecque de Marseille mise à disposition par l’association Didac’ressources, le nom est vite trouvé. Au bout de dix jours, la plateforme logistique a trouvé son rythme de croisière.

1200 enfants identifiés

Une bonne partie de la journée, Grégory récupère les messages qui remontent des différents collectifs. Il y a notamment le Manba, le collectif des Rosiers, celui du McDo de Saint-Barthélémy (lire notre article sur ce McDo, pivot de la solidarité alimentaire), le squat Saint-Just et les collectifs réunis autour des écoles… Ils expriment les besoins rencontrés, famille par famille. “En tout ce sont 1200 enfants environ qui ont été identifiés, explique Grégory Colpart. Nous demandons aux différents collectifs de nous faire remonter les besoins avec le prénom, l’âge et le poids des enfants“.

Boulevard de la Liberté, la journée commence tôt avec la réception des dons ramenés par des collectifs informels ou la chaîne de bénévoles qui s’est mise en place en amont. Tout en haut de celle-ci, il y a Sandrine Rolengo, ou Sandy “ne-lâche-rien”. Depuis cinq semaines, elle organise la collecte de dons depuis le Carrefour City de la rue Sainte, devenu son QG depuis novembre 2018 et la mise en place de repas collectifs offerts aux délogés. “Je passe mon temps à coordonner les bénévoles dans les différents points de collecte avant de les stocker dans un coin de la réserve que la direction du Carrefour City me laisse utiliser“, explique la militante. Elle est plutôt agréablement surprise de la générosité collective : “Il y a ceux qui ont peu et donne une bouteille de lait et ceux qui ont les moyens et me font des colis à 50 voire 150 euros !” Une fois le coffre plein, elle commence sa tournée.

Couches, lait, petits pots et liniment

Les bénévoles du jour transportent les paquets de couches et de lait dans une grande étagère à casiers où ils sont rangés selon l’âge des enfants. Les bénévoles du jours sont une archiviste spécialisée dans l’audiovisuel, Julie et Florent, un architecte. L’un et l’autre découvrent la problématique des couches et les difficultés d’approvisionnement tout en trimbalant les paquets d’une pièce à l’autre.

Julie range le lait, les couches et les denrées en fonction de l’âge et du type de produits.

Dans le local tout en longueur, une salle est dédiée au stockage de la matière première. Plus loin, un atelier de fabrication de gel hydro-alcoolique attend de nouvelles fioles pour poursuivre la production. Au centre, un gros stock de lait offert par Médecins du monde constitue le gros du trésor de guerre. Au sol, les couches sont rangées par taille. D’un rapide coup d’œil, l’équipe constate un gros déficit sur les couches de premier âge. L’équipe fonctionne en flux tendus, clairement en dessous de la demande.

La vague bénévole

À partir de 13 heures, une seconde équipe bénévole prend le relais. Il s’agit cette fois de confectionner les 50 colis qui vont être distribués dans la journée. Sur chaque colis individualisé, le prénom, l’âge, ce que contient le colis et un petit cœur rouge pour ajouter un brin d’humanité. Cette fois, ce sont Suzanne et Sophie qui étrennent leur nouveau statut de bénévole. Les produits d’hygiène viennent en plus des produits de base pour lesquels le collectif s’est spécialisé. Les sacs partiront ensuite vers les différents terrains de distribution via la dizaine de livreurs qui s’est greffée au système.

Suzanne et Sophie répartissent les couches par bénéficiaire.

Ce qui surprend le plus les bénévoles du Massalia couches système est de recevoir des demandes de couches ou de laits venant d’assistantes sociales des maisons de la solidarité gérées par le Département, de la caisse d’allocations familiales ou même des hôpitaux.

Des demandes qui viennent aussi des institutions

Une demande qui n’étonne pas David Jame, directeur de la maison de solidarité du 3e arrondissement. “Nous ne distribuons pas de produits alimentaires que cela soit dans la PMI [dans les centres de protection maternelle infantile, ndlr] ou via les assistantes sociales, explique-t-il. En revanche, nous donnons des tickets alimentaires pour des montants parfois conséquents. Nous faisons aussi des virements pour ceux qui ont un compte. Mais les familles se concentrent sur l’alimentaire. Les couches passent sans doute après“. Il explique donc que les travailleurs sociaux se tournent vers “le caritatif” parce que, pour lui “les deux démarches sont complémentaires”.

La mise en place de l’accueil sur rendez-vous ralentit aussi la prise en charge. “Nous sommes passés d’une centaine de rendez-vous par jour à 35 à 40, forcément cela limite”, explique-t-il. Sans compter les règles légales auxquelles il est obligé de se conformer.

4000 paquets de couches, trésor de guerre municipal

Mais, d’ici quelques jours, les maisons de la solidarité pourraient trouver une nouvelle source d’approvisionnement. En effet, la Ville vient d’annoncer qu’elle allait distribuer via les colis de la métropole les 4000 paquets de couches qu’elle avait en stock pour alimenter les crèches municipales. Un trésor de couches qui faisait rêver plus d’un collectif.

Le marché rouge, rue Barbaroux.

“Cela va être effectif d’ici la fin de la semaine, confirme Catherine Chantelot, toujours adjointe à la petite enfance et aux crèches. Depuis un an et demi, la Ville de Marseille fournit les couches aux enfants. Nous avons donc un stock important dans un entrepôt qui seront intégralement distribuées“. L’adjointe LR admet qu’une collectivité est plus complexe à faire bouger que des collectifs très mobilisés. “Il faut toujours qu’on se demande ce qu’on a le droit de faire ou pas. Nous sommes moins réactifs mais quand on s’y met cela un vrai effet”, espère-t-elle. En attendant que la manne municipale recouvre les fesses des nouveaux-nés, le Massalia couches système poursuit sa course contre la montre pour satisfaire ces besoins premiers.

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Commentaires

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  1. Pussaloreille Pussaloreille

    Chouette article, à la fois implacable sur la toujours gigantesque précarité qui règne partout sous nos fenêtres, et réconfortant parce qu’on y voit la solidarité tout de suite à l’oeuvre des que s’exprime une carence. Agréable surprise avec l’implication apparemment efficace de la Ville… Tiens, c’est vrai : toutes ces réserves des collectivités qui ne servent pas… ??

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  2. Robert Simonet Robert Simonet

    Le ROTARY a fait un don de 4 000€ à la banque alimentaire pour la fourniture de produits d’hygiène pour les enfants, en collaboration avec l’association SARA LOGISOL.

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  3. Catherine Roland Catherine Roland

    Bonjour , j’ai vu cette file d’attente et me suis doutée qu’il s’agissait d’un lieu solidaire , mais ce qui m’a choquée c’est que ces personnes étaient sans masque et agglutinées sans aucun souci de la distance .

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