Le jardin sauvageon échappe encore à la bétonisation

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le 3 Sep 2014
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Le jardin sauvageon échappe encore à la bétonisation
Le jardin sauvageon échappe encore à la bétonisation

Le jardin sauvageon échappe encore à la bétonisation

[ Cliquez sur les boutons pour entendre Cédric, jardinier-paysagiste, raconter la vie de son jardin ]

En haut du Boulevard Périer, dans une discrète allée de villas cossues, derrière un haut portail, se cache un jardin broussailleux, encore épargné de l'appétit des promoteurs immobiliers. Un triangle vert de plus de 800 mètres carrés à flanc de colline, dessiné il y a peut-être un siècle en restanques gondolées.

Comme sur un site archéologique, on devine par touches impressionnistes la vie faste qui l’a façonné. Face au sentier bordé de rocailles qui dévale la pente, se dressent quatre colonnes de style antique, nues, reliques anachroniques de ce qui devait être un patio ombragé. Ici, des vases dodus envahis par des herbes folles. Là-haut, un gros bout de rocher blanc abritant une drôle de grotte sert de fondation à une tour de guet, accessible par une passerelle en fer. “Le dernier grand propriétaire des lieux était un peu un astrobonhomme (sic), un type original”, confie le gardien du lieu, Cédric Bernard.

Derrière les branchages de pins immenses, s’étend une vue à couper le souffle qui surplombe l’hippodrome, Saint-Giniez, la plage… Et accroche le regard jusqu’aux îles du Frioul. “C’est le plus haut point de Périer”, confirme Cédric, le jardinier-paysagiste qui entretient aujourd'hui les jardins privés du quartier. Il a grandi non loin d'ici "quand les prix n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui". Il est sûrement venu vagabonder dans ce même jardin quand il était petit. 

L'improbable duo

Il y a un an, chez un de ses clients, Cédric a fait la rencontre d'un promoteur immobilier. Celui-ci lui a parlé d'un beau terrain laissé à l'abandon, et de sa volonté d'en faire quelque chose de joli en attendant les permis de construire. Cédric, lui, était un “jardinier sans jardin”. En bonne amitié, le promoteur a donc donné à Cédric les clés de la propriété pour qu’il s'en occupe un peu et puisse réaliser son rêve de gosse: produire ses propres légumes. En échange de quelques paniers de tomates, oignons, courgettes, carottes, herbes aromatiques ou betteraves, le promoteur paye l’arrosage. Dernièrement, ce mystérieux monsieur BTP qui préfère rester anonyme a implanté des ruches sur une des parcelles sauvages où il joue à l’apiculteur. L’ironie veut que ce "promoteur-bétonneur" de métier, habitué à détruire pour reconstruire, soit donc lui aussi tombé sous le charme de ce jardin typique des anciennes bastides bourgeoises du XIXème siècle.

Je sais que dans quatre ou cinq ans, l’expérience sera terminée. Ils vont construire une maison là-haut. Les permis sont dans les tuyaux”, explique Cédric, arrachant les mauvaises herbes autour de ses plants, concentrés sur à peine un dixième de la surface cultivable. Quoi qu'il arrive, Cédric va agrandir le potager l'année prochaine, et pourquoi pas monter un projet de jardin collectif. Sachant qu'il sera un jour délogé, Cédric espère trouver d'autres terrains vacants à cultiver, et pourquoi pas commencer à vendre un peu de sa cueillette : "Ça bouge beaucoup à Marseille. Il y a énormément d'initiatives d'auto-production, de terrains délaissés…", mais sûrement pas tous aussi époustouflants que ce jardin.

Car le quartier est prisé, chèrement. Entre cinq et six mille euros le mètre carré. Peut-être plus avec cette vue sans vis-à-vis et ce jardin au cachet historique. “C’est sûrement le dernier terrain vierge du quartier”, estime Cédric. Et si l’on en croit le nouveau plan local d'urbanisme (PLU), ça l'est. C’est même plus que ça. 

[ Ci-dessus, la planche concernée du PLU, sur lequel le jardin est spécialement répertorié ]

Le terrain est catégorisé “espace vert d’accompagnement”, une nouveauté réglementaire qui stipule que ces zones sont partiellement protégées car elles ont (entre autres choses) “un effet de continuité visuelle, une valeur environnementale” et “participent au paysage du quartier”. Selon l’article 13 du règlement, le permis de démolir est obligatoire et peut être refusé si “tout ou une partie de la construction est en contradiction avec les raisons qui ont conduit à la protection”. Aussi, “les arbres de haute tige abattus [devront] être compensés par des sujets en quantité et qualité équivalente”. On peut donc imaginer que l’architecture générale du jardin, avec ses restanques et ses habitants de bois centenaires, sera préservée… Mais dans le voisinage, les travaux prévus d'ici cinq ans créent déjà des tensions. La bataille du foncier semble avoir commencé.

Ce jardin unique a donc quelques chances de garder l’apparence sauvage que Cédric affectionne tant. Les mains dans le paillage, le jardinier regrette le tout-gazon à la mode dans les jardins alentours qui consomme des quantités d’eau “aberrantes” alors que "la nature marseillaise n'est pas si moche  que ça". Lui n’arrose pas de pesticides (ce qui lui a valu quelques champignons sur ses courgettes) et laisse les courges courir librement. Un peu de désordre, dans ce quartier aujourd’hui bien rangé, où les Marseillais venaient encore chasser il y a 50 ans. Un petit bout de jardin sauvageon, en résistance tranquille contre la standardisation. 

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    “Espace vert d’accompagnement”, nouveauté règlementaire en effet et même tellement nouvelle que lors de la consultation publique des planches du PLU aucun spécialiste n’était capable de dire à quoi cette appellation correspondait. Tout ce que l’on sait, c’est que grâce à ce tour de passe-passe, des espaces classés précédemment en EBC, donc théoriquement inconstructible sont devenus des terrains “partiellement protégés”, comprenez : potentiellement constructibles. Quant aux “arbres de haute tige abattus compensés par des sujets en quantité et qualité équivalentes”, allez donc raconter cette fable hypocrite aux platanes centenaires de Longchamp qui, après une euthanasie discrète, vont dans un avenir proche être remplacés par une dalle de béton et des pots de géranium… On peut encore admirer les deux derniers spécimen, en train de sécher sur pied dans l’indifférence générale…Lamentable!

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  2. pmo pmo

    Un village gaulois au Roucas Blanc ? Une pépite….

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