Le conflit des retraites bloque la tentaculaire zone logistique de Saint-Martin-de-Crau

Reportage
le 28 Mar 2023
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Ce mardi 28 mars, pendant plusieurs heures, deux cents personnes ont bloqué la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, l'une des plus importantes d'Europe, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites.

File de camions bloqués à l
File de camions bloqués à l'entrée de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau. (Photo : PID)

File de camions bloqués à l'entrée de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau. (Photo : PID)

Le rendez-vous est donné à 3 heures du matin ce mardi 28 mars dans l’obscurité de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, au milieu des innombrables entrepôts rectangulaires. Elle voit transiter toutes sortes de marchandises par camions entre les grandes villes de la région, le grand port de Marseille et des ailleurs européens. 45 minutes plus tard, avec l’aide de quelques palettes et pneus, il a suffi d’une centaine de personnes pour bloquer les cinq accès de cet interminable zone de 500 hectares, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites et l’usage du 49.3 par le gouvernement.

Quand tu as connu le blocage à 30 il y a 4 ans, être aussi nombreux, c’est insolent.

Un ancien gilet jaune

Aucun camion n’est entré ou sorti jusqu’à 10 heures, moment où les protestataires avaient décidé de lever le camp. Ils étaient “200 [manifestants] au plus fort”, précise la préfecture de police, qui n’a pas engagé la force publique. Les salariés avec leur véhicule personnel pouvaient toutefois rejoindre leur lieu de travail. Dès 7 heures, le blocage a provoqué un immense oaï sur tous les axes internes et à proximité, avec des kilomètres de bouchons jusque sur la RN113 (d’Arles à Salon) et la RN568 (de Fos et à Saint-Martin). Le ramassage scolaire a aussi été touché, le dépôt des cars se trouvant sur la zone.

Action départementale

“Quand tu as connu le blocage à 30 il y a 4 ans, être aussi nombreux, c’est insolent”, salue un ancien gilet jaune venu là avec des compagnons. “Nous sommes un collectif interprofessionnel. Nous sommes là en soutien des salariés syndiqués CGT de la zone. Nous sommes très contents de monter d’un cran ici”, expose Camille* lors du briefing, après une semaine passée entre Fos et Martigues. Pour les manifestants, bloquer les rouages de la logistique, c’est s’attaquer à un pilier indispensable d’une économie mondialisée dans laquelle les marchandises ne cessent de voyager. Amazon, Decathlon, Castorama, Maison du monde, le distributeur pour la restauration Transgourmet sont autant de sociétés qui dépendent d’entrepôts saint-martinois.

Tous les bloqueurs rencontrés témoignent d’une même envie de passer à autre chose que les manifestations en ville, qui jusque-là n’ont pas fait bouger le gouvernement. Ça suffit de tourner en rond. C’est un lieu stratégique, un des plus grands pôles européens”, expose Myriam Ghedjati, conseillère municipale LFI à Port-Saint-Louis-du-Rhône. “Il faut continuer à alimenter la protestation pour faire échouer cette contre-réforme par tous les moyens”, exhorte de son côté un militant du NPA venu de Saint-Chamas.

D’Arles, de Marseille ou d’ailleurs dans le département, les manifestants représentent une constellation d’organisations et de collectifs de gauche. Tous types de catégories sociales sont représentés : des ouvriers, des profs, des chômeurs, des étudiants… et les gilets jaunes, de nouveau de sortie. À 3 h 45, les phares des premiers camions commencent à éclairer les barricades de palettes. La plupart des chauffeurs sont compréhensifs, à l’exception de quelques-uns qui tentent de négocier ou de forcer le passage.

Agora sociale

Au bout de longues minutes passées à s’ennuyer dans leur cabine, deux routiers descendent se faire offrir le café par les bloqueurs. Ils trouvent du réconfort à la lueur d’un feu de palette bien attisé par un Mistral mordant. “Les retraites, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai commencé quand j’avais 20 ans. On avait de quoi arroser les copains en boîte et il nous restait de l’argent. Aujourd’hui, quand on va faire les courses, on pleure”, raconte le premier, un grand gaillard aveyronnais de 50 ans. Il n’a fait que passer la nuit à Saint-Martin, avec son chargement de lait pour la Corse, pris en charge à Montauban et qu’il doit laisser à Marseille. Son copain de circonstance doit transporter des meubles et objets de décoration vers les magasins Maison du monde de Bretagne.

À 43 ans j’ai le dos fracassé tous les jours, alors quand on me dit qu’il faudrait que j’aille jusqu’à 64 ans.

Un cariste de la zone

Ici, comme dans d’autres agoras du mouvement social en France, les travailleurs dissertent sur leurs conditions de travail. “C’est de pire en pire. Je dois charger 28 palettes à l’heure, avant, c’était 26, témoigne un cariste qui travaille sur la zone. À 43 ans, j’ai le dos fracassé tous les jours, alors quand on me dit qu’il faudrait que j’aille jusqu’à 64 ans…” Puis il se livre à une analyse plus politique : “Ici cela représente tout ce que l’on combat, le capitalisme. Ce sont des vendeurs de précarité, qui ne proposent quasiment que de l’intérim et ne payent quasiment aucune taxe.” Présente parmi les protestataires, la conseillère municipale d’Arles et philosophe de l’environnement CNRS Virginie Maris voit ici “l’incarnation de ce qui étouffe les humains et le vivant”. Elle rappelle que la zone a été bâtie “sur le milieu des Coussouls de Crau, qui est une plaine steppique unique en Europe”.

À 7 h 30, un chauffeur nantais déambule au milieu des camions arrêtés en vrac sur la chaussée avec un bulldog en laisse. “Avec tous les blocages, je suis encore moins à la maison. Alors maman [son épouse] en a eu marre et elle m’a mis dehors avec le chien”, explique-t-il sous sa casquette sans visière. Malgré son désarroi, il vient témoigner de son soutien à un piquet de blocage. À toutes les entrées du site, les palabres se poursuivent jusqu’à 10 heures du matin. À ce moment-là, les manifestants quittent leur poste, comme ils l’avaient prévu. La circulation, au vu des centaines de camions bloqués au cours de la matinée, ne reprendra complètement qu’un peu plus tard.

*Le prénom a été modifié à sa demande

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Commentaires

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  1. Vand Vand

    Un total soutien à ces personnes courageuses

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  2. julijo julijo

    200 manifestants qui ont de vraies raisons de se faire entendre. bravo à eux, et total soutien.

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  3. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    C’est quoi… un immense oaï sur tous les axes…?

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  4. Pussaloreille Pussaloreille

    C’est très malin de bloquer les grosses plateformes logistiques des enseignes internationales de grande distribution. Y a un truc à réfléchir pour des luttes en faveur de la relocalisation, voire du no conso (ou au moins le mini-conso !), à l’opposé de ces modèles polluants qui nous accablent du déversement de tonnes de marchandises plus ou moins inutiles made in china, in india, in korea et cie. Et qu’on ne vienne pas me dire que la region a besoin qu’on lui fournisse des emplois non qualifiés : ok on n’a pas tous vocation à devenir chercheurs, mais la population d’ici n’étant pas plus bête qu’ailleurs, elle a certainement besoin de formation, mais pas de plus de boulots de manutentionnaires ou de routiers !

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