Le centre d’hébergement d’urgence Forbin accablé par la précarité et la violence

Actualité
le 16 Juil 2018
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Les salariés du centre d'hébergement Forbin dénoncent le climat particulièrement tendu qui y règne et des actes de violence répétés. Ils observent depuis début juillet un droit de retrait partiel. 248 hommes sans-abri y dorment chaque soir.

Vue d
Vue d'une chambre au centre Forbin (Image Fondation Saint-Jean-de-Dieu)

Vue d'une chambre au centre Forbin (Image Fondation Saint-Jean-de-Dieu)

Le centre d’hébergement Forbin est, avec l’UHU de la Madrague-Ville, le fusible de l’accueil inconditionnel des plus démunis à Marseille. Chaque soir, 248 hommes isolés et en grande précarité y trouvent refuge, après y avoir été envoyés par les services du 115. Une mission lourde qui se heurte aujourd’hui à des limites.

Depuis presque deux semaines, les salariés observent en effet un “droit de retrait partiel”, suite à l’agression d’une cheffe de service par une personne hébergée. Voilà quelques mois que les incidents, plus ou moins violents sont devenus très récurrents, et l’équipe de travailleurs sociaux ne s’estime plus en capacité de répondre aux besoins de tous, ni en sécurité.

“Tous les signaux sont dans le rouge, confie une salariée sous couvert d’anonymat. On ne nous entend jamais, on encaisse. Maintenant, il nous faut réagir.” Le personnel a interpellé ses partenaires et ses tutelles via un courrier envoyé début juillet :

Nous observons un contexte actuel extrêmement tendu dans lequel des incivilités répétées, des agressions verbales, des menaces (…), et à présent des agressions physiques mettent gravement en péril les salariés et leur santé. Les équipes dans leur ensemble s’accordent sur le constat que le contexte de violence est de plus en plus prégnant depuis deux mois. (…) Un état de stress chronique s’est installé. Les actes violents sont quotidiens et se banalisent, une limite a été franchie et il est impossible à ce jour de poursuivre le travail dans les conditions actuelles.

“Nous accueillons tous les publics les plus fragiles, migrants, sortants de prison, usagers de drogue…”, rappelle notre interlocutrice qui observe une dégradation générale de la prise en charge sociale des plus précaires, qui se répercute sur l’atmosphère du centre Forbin. “On gère toutes les frustrations causées par les partenaires extérieurs, comme les maisons départementales de solidarité ou la plateforme asile, qui ne peuvent plus tout assumer et renvoient vers nous.”

Suite à l’agression d’une cheffe de service lors d’un entretien avec un hébergé dans un bureau fermé, les travailleurs sociaux exercent leur droit de retrait en ne tenant plus de permanence dans ce bureau qu’ils jugent inadapté, car complètement clos et sans moyen d’alerte. Ils se contenteront pour le moment d’aller “vers les résidents, mais en dehors d’un bureau”.

“Frustrations, peurs et violence”

La salariée décrit aussi une situation de sous-effectif chronique au sein de l’équipe des cinq travailleurs sociaux mais aussi de la direction, “qui se réduit à peau de chagrin”. Un constat que confirme le directeur de l’établissement, Georges Kammerlocher, qui avoue avoir du mal à remplacer ou recruter du personnel d’encadrement mais aussi de surveillance, en raison notamment de la spécificité du public accueilli. “Il y a des menaces à l’encontre du personnel parce qu’il n’est pas toujours en mesure de répondre à la demande formulée, observe-t-il. Les personnes sont d’une certaine façon malmenées par les organismes sociaux, précarisées, et on est les derniers, avec l’UHU de la Madrague, à être leur lieu. Ils habitent chez nous, ils viennent avec leurs frustrations, leurs peurs et ça se traduit en violence.”

Point culminant de l’horreur, un meurtre a eu lieu le 26 avril dernier dans l’enceinte d’une chambre du centre, en pleine nuit. Un hébergé de 67 ans aurait étranglé un autre hébergé âgé de 39 ans. La salariée interrogée estime que le drame, survenu dans l’enceinte d’une chambre, était difficile à prévoir. “On n’a rien vu venir”, regrette-t-elle. Mais l’événement pèse toujours sur l’atmosphère et, pointe-t-elle, “sur le moral des équipes mais aussi des hébergés qui se sentent très exposés depuis”. 

Suite à leurs revendications, les salariés ont obtenu de la fondation Saint-Jean-de-Dieu, qui gère l’établissement, la prise en charge d’un suivi psychologique pour les chocs traumatiques et une formation de gestion de la violence. Le directeur prévoit aussi de renforcer les équipes de surveillance durant l’été. “On peut choisir de réduire les horaires, remettre les gens à la rue plus tôt le matin, ouvrir plus tard l’après-midi, mais ça ne correspond pas à ce que nous voulons, à savoir que les gens puissent avoir un endroit où se reposer”, développe le directeur.

Pour ce dernier comme pour les salariés, un dialogue doit se nouer avec l’État pour redéfinir le cadre d’action et les missions du CHRS Forbin. “Il faut clarifier quel est le travail social qui nous est demandé, dans la mesure où les gens restent parfois durablement dans les structures. On demande au 115 d’attribuer des places, mais pour les personnes à la rue depuis longtemps, il faut plus que ça”, pose le directeur qui constate que certains hébergés ont recours à l’hébergement d’urgence depuis des années, faute de remplir les critères pour d’autres prises en charge. “Dans ces cas là, ce n’est pas de l’urgence, cela demande une autre forme d’accompagnement.” Il a aussi exprimé à l’État sont souhait de voir prolonger la durée d’hébergement pour mieux évaluer les besoins de chaque individu. Actuellement, une personne est autorisée à rester un mois pour une première prise en charge, et ensuite par tranches de 9 jours.

Mieux accompagner dans l’urgence

Des inquiétudes qui sont entendues par les services de l’État, au moins dans une certaine mesure. “Nous avons conscience de la nécessité que Forbin ait des moyens pour répondre aux besoins de ces publics, pose Henri Carbuccia, directeur adjoint de la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale). Et nous avons fait en sorte qu’il ne soit pas touché par les baisses budgétaires, entre 2016 et 2017, il y a même eu une hausse de leurs moyens.” Le lieu est doté d’un budget annuel de 2,5 millions d’euros, précise-t-il. Pour ce qui est de sa mission, le haut-fonctionnaire juge les questions posées par le personnel “légitimes”, mais rappelle la nécessité au sein de l’hébergement d’urgence d’un accompagnement “global, pour permettre aux personnes de sortir plus armées que lorsqu’elles sont entrées”.

De même, pour la durée d’accueil, Henri Carbuccia répond par la nécessité d’avoir des temps courts qui permettent de faire tourner les bénéficiaires, alors que le nombre de places est très réduit à Marseille. “Il y a besoin de lieux pour absorber les flux de population.” Il n’exclut pas en revanche d’agrandir les capacités du pôle “insertion” du centre Forbin, aujourd’hui doté de 35 places pour des prises en charge de plus longue durée.

Enfin, la DDCS compte sur les financements liés à la politique du “logement d’abord” pour répondre à la situation des sans-abri de très longue durée. “Nous venons de recevoir une dotation supplémentaire de 513 000 euros pour les prises en charge en intermédiation locative”, ces dispositifs qui permettent à des personnes très précaires de devenir locataire grâce à l’accompagnement d’une association. “30 % des personnes en CHRS pourraient en sortir s’il y avait une réponse de logement adaptée derrière”, explique-t-il. Un espoir pour soulager, à moyen terme, les centres aujourd’hui saturés.

Les personnels du centre Forbin attendent la visite du directeur de la DDCS début août, même si le directeur adjoint se propose de les rencontrer auparavant. “Ce qu’on comprend, c’est qu’ils ne prennent pas mesure de l’urgence, c’est une vraie poudrière”, alerte la salariée. Et l’urgence, au centre Forbin on le sait bien, ça n’attend pas longtemps.

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