Le bar associatif Aux 3G ferme : “c’est le cœur des lesbiennes de Marseille qui s’en va”
Créé en 1996 par des militantes d'Act Up, le bar associatif marseillais lesbien Aux 3G tire sa révérence, faute de fréquentation. Samedi dernier, elles étaient nombreuses à se rassembler après l'annonce de la fermeture. Si beaucoup d'habituées se disent tristes, elles ne sont pas moins fières de ces 28 années de fêtes et de militantisme.
Soirée blanche le samedi 27 juillet 2024 aux 3G, bar associatif lesbien de Marseille. (Photo AC)
“Il en a vu des choses, le comptoir”. Christelle Barailler est membre de l’association gestionnaire des 3G depuis une douzaine d’années. En présentant le bar, elle est déjà nostalgique. Il avait fallu le construire puis l’agrandir, y faire les raccordements d’eau et d’électricité. Dans quelques semaines, il faudra désormais le détruire pour rendre les locaux tels que les fondatrices les avaient récupérés en 1996. L’histoire du bar associatif lesbien et féministe Aux 3G prend fin, 28 ans après sa création. Mais ce samedi 27 juillet au soir, on essaye de ne pas trop y penser et de profiter de la soirée. Dans le thème du jour, vêtues de blanc, cinq filles montent sur le comptoir et agitent un drapeau arc-en-ciel. Un passage obligé des soirées de ce bar de la Plaine, rue Saint-Pierre à Marseille. Certaines immortalisent ce moment. Une tradition qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir.
Le 3 juillet 2024, les administratrices ont acté en assemblée générale la fin de l’association et donc la fermeture des 3G. “On la voyait venir depuis deux, trois ans. On a eu du mal à renouveler la fréquentation et le conseil d’administration”, se résout Sylvie Gaume, qui faisait partie des créatrices. Déjà en 2022, l’association avait risqué la dissolution, faute de trouver des bénévoles. Une équipe s’était formée in extremis. Le scénario ne s’est pas reproduit cette année.
Jennifer a connu le bar en 2019. Elle l’a déserté une fois en couple, mais le fréquente à nouveau depuis quelques mois. “Ça fait bizarre de se dire que le bar s’arrête, surtout que ce soir, ça fait plaisir de le voir rempli.” Beaucoup sont venues en soutien après l’annonce de la fermeture. L’habituée de 37 ans l’assure, la fréquentation était bien moindre les soirées précédentes.
Ouvrir ce lieu était un acte militant.
Dominique Lenfant
Créé à l’origine par “quatre nanas d’Act Up”, des “gouines”, “goudous”, “garces” ou encore “gourdes”, le lieu a toujours eu une forte identité militante. Son nom a été choisi en opposition à celui de la brasserie Les deux garçons à Aix, dite “les 2G”. Dominique Lenfant, Agnès Royon-Lemée, Sylvie Gaume et Laurence Chanfreau ont bâti cette association sur le constat d’un manque d’endroit où les lesbiennes puissent se retrouver. “Nous, ce qu’on cherchait, c’était être entre nous”, se remémore Sylvie Gaume. “Ouvrir ce lieu était un acte militant”, renchérit Dominique Lenfant.
Sans les 3G, certaines ont peur de perdre contact. “Ça va créer un vide, on va se perdre de vue”, s’inquiète Christelle Barailler. D’autres voient les choses différemment. Christine, ou “Kit”, surnommée ainsi à cause du duo “Kit et Kat” qu’elle forme avec sa compagne, n’éprouve “pas de nostalgie”. Elle est adhérente à son “lieu de sortie” depuis les débuts. “Tant mieux si on n’a plus besoin de ce lieu comme ça”, veut croire la sexagénaire. Pour Sylvie Gaume en revanche, il est certain que le besoin existe toujours à Marseille et qu’un nouveau lieu lesbien ouvrira, d’une manière ou d’une autre. Pour l’heure, elle est “très fière de tout ce qui s’est passé”.
Réunions “fuckerware”
Pendant des années, les soirées se sont enchainées. À thème, plage ou montagne, en passant par “vache folle” ou ambiance irlandaise, mais aussi des projections de film, des ateliers découverte de vin, des sensibilisations à la gynécologie, des collectes de protections hygiéniques, sans parler des préparations de la marche des fiertés, des manifestations pour le Pacs, le mariage pour tous, la PMA… Ou encore les réunions “fuckerware”, présentations de sextoys sur le modèle des réunions Tupperware.
Sur la façade du bar, des dessins de vulves réalisés à l’aide d’un pochoir, un clin d’œil à la première exposition des lieux, dans les années 1990. Laurence Chanfreau avait présenté des photographies de vulves qui avaient fait jaser à l’époque. Depuis seize ans, Lady Butterfly s’occupe des karaokés. Dalie mixait pour sa part des chansons des années 80 à nos jours. Le Covid n’a pas arrêté leur entrain, transférant le dancefloor en visio.“On est pas mal tristes de cette fermeture, mais on se rassure en se disant qu’on a été visibles, raconte la DJ. Les 3G, ça a permis de se réunir, de vivre son homosexualité sans le jugement. On est libres entre nous.”
Jusqu’au début des années 2010, les 3G ont pu se permettre d’avoir des salariés en temps partiels. Marlène y a travaillé durant onze ans, “la plus belle époque de [s]a vie”. Elle qui a toujours été out en vivant son homosexualité librement, ou selon ses mots, n’a “jamais été dans la boite à couscous”, a trouvé “merveilleux d’aider d’autres personnes à exister”. Alors, l’annonce de la fermeture a été un “choc” pour elle. “C’est dommage que personne n’ait repris le flambeau”, s’attriste celle qui est une des doyennes de la soirée, du haut de ses 77 ans, et qui avait pour saine habitude de tenter de freiner les consommations d’alcool excessives des jeunes femmes.
Corinne, qui habite à quelques mètres seulement du bar, a travaillé à ses côtés pendant sept ans, au début du siècle. Ce samedi soir, elle s’agite derrière le comptoir pour servir les clientes, une cravate aux strass multicolores accrochée autour du cou. Depuis une dizaine d’années déjà, toutes sont bénévoles aux 3G.
Derrière la piste de danse, un rideau noir opaque cache un petit local. Éclairé au flash du portable, on y découvre des ouvrages, des ressources, des archives, des banderoles, mais surtout un magnifique babyfoot repeint pour transformer les joueurs en joueuses. L’équipe a contacté le Mucem pour essayer de faire don de cette jolie réalisation collective. D’ici au mois d’octobre, les bénévoles vont faire l’inventaire de tous les objets et les donner à des associations. Cet espace à l’abri des regards, “un endroit où il s’en est passé des choses”, formule Christelle le sourire aux lèvres. Une jolie litote. En sortant du local, les filles lancent des regards amusés, pleins de sous-entendus.
Un laboratoire politique
“C’est un gros truc, c’est le cœur des lesbiennes de Marseille qui s’en va”, analyse celle qui veut qu’on l’appelle “BG” et s’est souvent occupée de la sécurité du bar. “Moi, ma vie n’aurait pas été la même sans les 3G. C’était un vrai lieu de rencontres amicales ou amoureuses, une vraie richesse, pleine de diversité”, résume Christelle Barailler, qui s’occupe de la communication de l’association. Tout l’été, elles raconteront sur leur page Facebook leur histoire du lieu.
Aux 3G, c’était surtout un laboratoire politique. Depuis 2015, l’association était gérée par un collectif collégial, c’est-à-dire qu’aucune présidente n’était élue et qu’une équipe d’administratrices prenait des décisions par consensus. Hormis la période de la pandémie, elles ont toujours refusé les subventions de la mairie. “Un choix pour rester libre, l’idée de ne jamais être perfusée économiquement”, assume Sylvie Gaume. Les garçons qui souhaitaient venir aux soirées étaient obligés un temps d’être marrainés pour pouvoir entrer, un moyen d’éviter les “gros lourds”. Le bar était certes un lieu de débats, mais aussi lieu de vie où on s’échangent même des légumes. “Je n’ai pas su quoi faire de tous les cornichons que tu m’as donnés.”, “Mais non, c’étaient des petits concombres !”, se chamaillent deux habituées sur le trottoir. Aux murs, Alice Coffin, Hoshi, Amélie Mauresmo, Christiane Taubira et Adèle Haenel regardent les filles festoyer. Ces portraits de femmes liées à la cause, pour certaines lesbiennes, pour d’autres pas, seront bientôt décrochés.
“Tous mes idéaux, des mots… abimééés”. Il est 1 heure du matin et les filles scandent Désenchantée de Mylène Farmer. La soirée blanche de DJ Galit bat son plein. La dernière danse est prévue pour le 5 octobre, une fermeture promise en fanfare.
Commentaires
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C’est un très bel article, pour un lieu que j’ai vu ouvert des centaines de fois sans jamais y entrer, tout en trouvant que c’était très bien ainsi. En souhaitant de beaux projets tout neufs à celles qui s’ennuieront vite sans leur QG, et bravo pour avoir fait exister un tel lieu, tant de temps.
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quel dommage !
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Oui bravo.
Dommage.
Surtout bon vent pour de nouveaux projets !
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Un peu l’Amicale des Anciens Combattants.
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J’habite pas très loin, ça va me faire bizarre le soir de passer devant ce bar toujours festif et désormais muet… 😪
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