Le 65 rue d’Aubagne, l’expert Richard Carta et la gestion d’une copropriété en mode dégradé
Au procès des effondrements de la rue d'Aubagne, les juges ont retracé des années de gestion défaillante du numéro 65. Jusqu'à la date fatidique du 18 octobre 2018, où l'expert Richard Carta n'a pas préconisé l'évacuation de l'immeuble.
Richard Carta au procès des effondrements de la rue d'Aubagne. (Illustration : Ben 8)
Cela fait deux jours que le procès du 5 novembre 2018 s’efforce de retracer, année après année, péril après péril, la funeste chronologie jusqu’à l’effondrement du 65 rue d’Aubagne. Autour de deux protagonistes centraux, pour des raisons bien différentes, mais dont les actes les ont menés tous les deux à occuper le banc des prévenus. Le premier s’appelle Xavier Cachard. Cet ancien conseiller régional LR avait déjà été entendu comme propriétaire de l’un des appartements du 65. Il a été rappelé ce vendredi en tant qu’avocat du cabinet Liautard, syndic en charge de la copropriété. Tous les autres jours, Xavier Cachard n’est pas venu.
Xavier Cachard n’était donc pas là, ce lundi 2 décembre, pour entendre la défense du seul expert assis sur le banc des prévenus : l’architecte Richard Carta, qui avait visité l’immeuble et autorisé la réintégration de ses habitants lors du péril imminent du 18 octobre 2018. Décisive journée que ce 18 octobre 2018, qui s’est rejouée au tribunal ce lundi.
“Vous êtes architecte ?”
Vendredi, d’abord, Xavier Cachard s’est affairé à défendre, avec sa casquette d’avocat du cabinet Liautard, sept ans de gestion de copropriété où, assemblée générale après assemblée générale, aucuns travaux structurels n’ont jamais été votés. En 2013, le cabinet Berthoz, propriétaire du numéro 67, informe le 65 voisin que sa façade s’abîme. Peu de temps après, les propriétaires du 65 tiennent leur assemblée générale. Une délibération concerne la rénovation de la façade, pour un coût global de 8 000 euros. Rejetée à l’unanimité. “Je n’ai pas été au courant des alertes. Et est-ce que cette rénovation aurait changé quelque chose ? Je ne pense pas”, se défend Xavier Cachard. “Vous êtes architecte ?” rétorque le président Pascal Gand.
2014, ensuite. D’une part, un premier arrêté de péril (simple) vient frapper le 65. Au premier étage, le plancher côté rue s’est désagrégé sous un dégât des eaux. D’autre part, cette même année, le propriétaire du 67 rue d’Aubagne lance une procédure au tribunal administratif contre son voisin. L’objectif ? Déterminer d’où vient l’eau dans la cave. L’expert Reynald Filipputti est mandaté. Dès cette année, l’expert du tribunal rédige un signalement sur les deux immeubles qu’il envoie à la Ville. Malgré ce signalement, les propriétaires du 65 votent de nouveau contre les travaux en assemblée générale.
Pourquoi ? “Je ne me souviens plus… Je suis très fatiguée en ce moment”, répond au tribunal Michèle Marx-Bonetto, propriétaire de l’appartement de Julien Lalonde Flores, décédé le 5 novembre. “Je ne sais pas. Je n’étais pas présent. Je n’ai jamais assisté à une assemblée générale”, répond Gilbert Ardilly, propriétaire de Ouloume Saïd-Hassani, également décédée le 5 novembre. Tous les deux sont renvoyés pour “homicide involontaire” et “soumission de personne vulnérable”. En dix ans, moins de 45 000 euros ont été dépensés en travaux. Les boîtes aux lettres ont été changées, une fausse caméra a été installée. “Pour 300 ou 400 euros. Les propriétaires ont préféré l’option factice”, précise Jean-François Valentin, prévenu aussi et représentant du syndic Liautard.
Gagner du temps
Fin 2015, Xavier Cachard envoie un mail à son consultant Gilbert Cardi, expert mandaté par le cabinet Liautard. Il lui demande explicitement de rédiger “une note” visant à faire échouer la procédure en référé déposée par les propriétaires du 67 rue d’Aubagne contre le 65. Le but ? Gagner “deux ou trois ans”. Gilbert Cardi s’exécute. Et écrit ce que Xavier Cachard lui a dicté : les immeubles de la rue d’Aubagne seraient victimes d’un “effet domino”, les uns s’appuieraient sur les autres, et il serait donc impossible de démêler les responsabilités en l’état.
Une assesseure demande à Xavier Cachard : “On a l’impression que vous cherchez juste à gagner du temps de procédure. Expliquez-vous !” Selon le propriétaire et avocat du syndic, “il n’y avait rien de dilatoire. Et la partie adverse ne me l’a pas reproché !”
En 2017, nouvel arrêté de péril. Celui-ci porte encore sur ce même plancher du premier étage côté rue. C’est l’appartement T2 de Ouloume Saïd-Hassani et ses deux fils, pour lequel le multi-propriétaire Gilbert Ardilly lui réclame 460 euros par mois. “Gilbert Ardilly voulait faire payer la copropriété pour ses travaux de salle de bain”, dénonce de nouveau Jean-François Valentin, du syndic Liautard.
En clair, personne n’a mesuré la gravité de la situation quand, en 2017, un nouveau signalement est émis. Rédigé par la société Betex Ingénierie dans le cadre de la procédure judiciaire entre le 65 et le 67, il révèle que le mur qui sépare les deux immeubles souffre d’un “double bouffement”. Autrement dit, sur deux étages, la structure ne tient plus. “Le stade ultime avant l’effondrement”, avaient expliqué des experts au début du procès.
Zéro dossier
Et nous voilà en 2018. Le 18 octobre, deux semaines avant les effondrements, les locataires ont déjà alerté le syndic Liautard à plusieurs reprises. Faute de réaction à la hauteur, une habitante, Sophie B., se résout à appeler les marins-pompiers. Au rez-de-chaussée, la cloison qui sépare le hall d’entrée du local commercial est sur le point d’exploser. Elle est bombée et très fissurée. Pendant que les marins-pompiers évacuent les habitants, la Ville demande au tribunal administratif de mandater un expert. Cet expert, c’est Richard Carta. Mis en examen, il comparaît aujourd’hui pour “homicides involontaires”.
Richard Carta, qui a assisté à l’intégralité des débats et vu un nombre incalculable d’experts contredire les conclusions qu’il avait prises ce 18 octobre, s’avance enfin à la barre. Il explique que lors de sa visite, les services de la Ville lui disent que deux arrêtés de péril ont déjà été pris par le passé. Mais la Ville ne fournit aucune information sur leur contenu. Explications de Jacques Audibert, chef de la sécurité civile urbaine : “J’aurais été bien en peine de donner des explications à l’expert puisque je n’en avais pas ! Je n’ai pas eu le temps de consulter mon ordinateur avant de partir. On ne partait jamais avec le dossier de l’immeuble !”
D’ailleurs, selon Richard Carta, ce n’est qu’à la fin de sa visite qu’il apprend l’existence des périls antérieurs. La Ville soutient l’avoir prévenu dès son arrivée. Quoi qu’il en soit, pendant l’heure qu’il consacre à l’inspection de l’immeuble, Richard Carta ne visite pas la cave, ni la cour, ni la majorité des appartements. Il ne s’adresse à aucun habitant. Pas même à Rachid R., locataire du premier étage côté cour, dont il ordonne pourtant l’évacuation. Tous les autres habitants regagneront leur domicile le soir.
“Quand on ne cherche pas, on ne trouve pas !”
“Moi, trois choses m’avaient inquiété. D’abord, la cloison. En allant voir de l’autre côté, je vois une hotte dans le local commercial avec des fissures presque en pointillé autour. Je conclus que la hotte a pesé sur la cloison. Ensuite, le plancher du premier étage côté cour, qui est très dégradé. Enfin, une lézarde sur la façade”, détaille Richard Carta. Depuis six ans, l’expert n’a jamais changé sa version : “Le 18 octobre, il n’apparaissait aucun signe avant-coureur laissant penser qu’un effondrement pouvait exister”, s’époumone-t-il encore, assez ému.
Richard Carta ne sait pas qu’à peine deux jours avant sa visite, le 16 octobre dans la soirée, Simona Carpignano n’a pas réussi à fermer sa porte. La jeune femme avait envoyé un mail à sa propriétaire, qui l’avait elle-même immédiatement transféré au cabinet Liautard. Les représentants du cabinet, présents le 18 octobre, ne lui ont pas dit. Richard Carta reconnait qu’il ne leur a pas posé de question.
Face à l’attitude plutôt défensive du prévenu, une assesseure finit par l’interpeller : “Vous dites souvent « Si j’avais vu ça ou fait ça, ça n’aurait rien changé. » Mais quand on ne cherche pas, on ne trouve pas ! On ne sait pas à l’avance. On ne sait pas si c’est important d’aller dans la cave tant qu’on n’y est pas allé. On ne sait pas ce que va dire un occupant tant qu’on ne lui a pas demandé.”
Dans l’après-midi, les témoins appelés par la défense se succéderont. L’ancienne présidente du tribunal administratif et plusieurs experts répéteront ce que Richard Carta n’a eu cesse de dire : dans le cadre d’un péril grave et imminent, l’expert fournit des “observations” et des “préconisations”, et non un “diagnostic”. En vingt-quatre heures, il n’a pas le temps. Un diagnostic, c’est par exemple ce que Betex Ingénierie a fait en 2017, en observant depuis le 67 qu’un double bouffement menaçait le cœur des deux immeubles. Personne ne l’a dit à Richard Carta. “Ça, c’est une information cruciale pour un expert !”, s’écrie-t-il.
Ce mardi, le tribunal se concentrera sur les deux semaines précédant l’effondrement. Il sera beaucoup question des travaux d’urgence décidés par Richard Carta ce 18 octobre, et de leur incidence, ou pas, sur la suite des évènements. À défaut d’avoir ordonné une évacuation totale de l’immeuble. Le procureur Michel Sastre lui a d’ailleurs demandé : “On est d’accord que votre mission première sur un péril grave et imminent, c’est de sécuriser les vies ?” Réponse de Richard Carta : “C’est ma mission principale, oui.”
Commentaires
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Édifiant.
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C’est pas moi, c’est ma sœur qu’à cassé la machine à vapeur….chanson bien connue.
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Au fait, combien touche un architecte pour une expertise bidon?
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On a pu lire ailleurs 900 euro, visite et rapport sous 24h
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Il faudrait avant tout préciser ce qu’est une “expertise” dans le cadre d’une procédure sous égide du Tribunal administratif.
Le terme est d’ailleurs inadapté. Il ne peut s’agir d’une véritable “expertise” dans la mesure où le cadre légal ne permet au professionnel désigné par le TA de ne faire qu’un “constat visuel”, sans autorisation d’aller plus à fond, en particulier faire des sondages qui permettraient par exemple de vérifier l’état des murs derrière les doublages, ou l’état du plancher au-dessus des faux plafonds…
Il s’agit donc d’une démarche forcément succinte avec tous les aléa qui en découlent et qui n’a d’autre but que de délivrer ou non un arrêté de péril. D’où la tentation de certains experts de faire évacuer l’immeuble au premier signe suspect, par principe de précaution.
Je ne connais pas les détails du dossier mais on peut se demander pourquoi la Ville n’a pas ressorti pour les communiquer à M.Carta les rapports antérieurs, sans doute plus poussés qu’une simple visite de type Tribunal administratif. Cela aurait éclairé l’avis de l’expert qui aurait probablement pris une autre décision.
Il faut aussi rappeler qu’à cette période, le service des périls de la Ville était un service indigent avec très peu de personnel pour couvrir tout Marseille. En novembre 2018, l’ingénieur responsable du centre ville était parti en retraite depuis presque un an sans jamais avoir été remplacé.
Les vrais coupables ne sont pas tous je pense au banc des accusés, notamment, de manière posthume, Jean Claude Gaudin avec sa haute administration, son directeur de cabinet tout-puissant et le directeur général chapeautant les services de sécurité, qui se sont presque totalement désintéressés de l’état notoirement pitoyable du bâti ancien dans le centre ville, à commencer par des immeubles municipaux qui sont parmi les pires.
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Édifiante est la parole des propriétaires et l’incompétence du syndic!
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tous ces gens là, prévenus, convoqués, témoins venus se décharger de leurs responsabilités….sont vraiment à gerber, ils provoquent une vraie colère !
vues les photos qui apparaissent régulièrement dans les articles, on a pas forcément besoin d’être expert pour se rendre compte que c’est dangereux, inhabitable, et tous se renvoient la balle entre eux !
8 personnes sont mortes, mais, au moins pour les prévenus, ou convoqués, ou propriétaires des 65 et 67, ils auront payé les loyers !!
personnellement, je trouve très compliqué d’accepter cette ignominie.
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La première des ignominies dans ce drame, c’est l’attitude des propriétaires ! Et l’incompétence du syndic. Ensuite, on peut effectivement se poser des questions sur la qualité du travail des différents experts, la réaction des services de la ville. Mais ceux qui devaient en tout premier lieu réagir, ce sont les propriétaires qui ont sciemment refusé de faire quoi que ce soit alors qu’ils connaissaient l’état de l’immeuble et étaient régulièrement sollicités par leurs locataires. Pas besoin de toujours attendre des pouvoirs publics que ce soit eux qui pallient à tout. Vraiment, le récit de ce procès donne mal au ventre.
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Le seul à savoir tout l’historique des désordres était le syndic de la copropriété.
X.Cachard à la fois propriétaire et avocat du syndic me semble particulièrement au coeur de l’affaire.
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finalement, ils sont tous au coeur de l’affaire !
cachard, qui était impliqué en prrpriétaire, et avocat du syndic, les propriétaires nommés dans cet article qui encaissaient les loyers, mais ne se déplaçaient jamais ; carta, archi et expert, qui a fait son boulot, mais n’a rien vu ; les services qui ont reçu les premières plaintes, et ont émis les arrêtés de péril, qui ont vite été arrêtés….bref on a un choix immense de responsabilité, partagée, additionnée, et là, remise en question avec un arrogance incroyable.
ils n’ont pas l’habitude ces gens là de se remettre en question. et là on s’aperçoit que comme d’habitude ils ne faisaient pas leur boulot. dans la nullicipalité gaudin, on la fermait si on voulait rester en bons termes avec l’areopage de direction…”il ne faut pas que les élus soient trop intelligents”
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