L’association Sauvegarde 13, au coeur des défaillances de la protection de l’enfance

Enquête
le 16 Mar 2022
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Un audit fait l'état des lieux de l'association, missionnée par le département pour l'accompagnement d'enfants en danger. Au-delà de dysfonctionnements internes, il révèle la crise profonde du dispositif de la protection de l'enfance dans les Bouches-du-Rhône.

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L'association s'occupe notamment du suivi d'enfants au sein de leurs familles. (Photo : SL)

L'association s'occupe notamment du suivi d'enfants au sein de leurs familles. (Photo : SL)

600 nouvelles places pour les enfants en danger. C’est ce que prévoit un appel à projet lancé par le département et l’État ce mois-ci. Le chiffre paraît énorme. Mais il correspond peu ou prou au nombre d’enfants qui attendent d’être suivis à leur domicile par une équipe de travailleurs sociaux. Une alternative au placement en foyer ou en famille d’accueil.

Cet appel à projet vient donc répondre à un retard criant. Dans les Bouches-du-Rhône, le conseil départemental a délégué la majorité de ces mesures d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) à l’association Sauvegarde 13. Mais depuis plusieurs années, la structure, débordée, peine à les mettre en œuvre, ce qui engendre des délais d’attente de plusieurs mois pour les enfants. Un audit commandé par le conseil départemental et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) mené en mai 2021 a passé au peigne fin l’organisation de l’association. Dans ce document, que Marsactu a pu consulter, la liste des dysfonctionnements est très longue. Un état des lieux alarmant que des témoignages viennent confirmer.

Des centaines d’enfants toujours en attente

“Quand on arrive, les familles nous disent « Qu’est-ce que vous faites là… j’ai alerté il y a un an et demi»”, soupire une salariée de l’association. Les délais ne sont pas nouveaux. Sauvegarde 13 a mis en place une liste d’attente depuis 2016 et ses salariés ont déjà alerté sur cette situation, notamment en mai dernier. C’est à Marseille que les délais sont les plus importants : l’audit dénombre 567 enfants en attente. Ces accompagnements sont censés durer entre six mois et deux ans, mais dans certains cas, les mesures d’accompagnement expirent avant qu’elles aient commencé concrètement. Les travailleurs sociaux sont unanimes : quand ils démarrent un suivi après un long temps d’attente, la situation s’est dégradée.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a enquêté sur cette situation à l’échelle nationale en 2019, déplore les répercussions sur les enfants. “Les délais et la saturation des dispositifs entraînent fréquemment une prise en charge inadéquate (accueil en établissement d’urgence par défaut, placement hors département, séparation des fratries, allongement de la durée du placement faute de pouvoir assurer ensuite l’accompagnement à domicile)“. Le même IGAS a récemment envoyé plusieurs de ses inspecteurs dans les Bouches-du-Rhône pour évaluer le dispositif de protection de l’enfance local.

Une association mal en point

Marc Monchaux, le directeur général de la Sauvegarde 13, reconnaît la tension au sein du service de protection de l’enfance et assure qu’il ne “se sent pas extérieur à la préoccupation“. Il explique avoir constaté des “éducateurs en suractivité” à son arrivée il y a trois ans. “Depuis 2019, on aurait dû se mettre au travail“, concède-t-il tout en reconnaissant n’avoir jamais demandé de moyens supplémentaires au conseil départemental. Pour lui, c’est tout un changement de pratiques qu’il faut mettre en place.

Habilitée pour réaliser 3865 AEMO par an, l’association en récupère davantage, mais ne peut pas toutes les exécuter. L’audit souligne “l’incertitude des chiffres transmis” et s’interroge sur cette situation paradoxale. Une des explications : le taux d’absentéisme parmi les salariés, “largement supérieur à la moyenne nationale dans le champ médico-social“. Ces trous dans la raquette déstabilisent les autres salariés qui doivent pallier les absences. Le directeur tire le même constat : “C’est un cercle vicieux. Plus les professionnels saturent, plus il y a d’arrêts maladie et l’activité incombe à ceux qui restent“.

Comment expliquer aux familles que c’est le 4e psychologue que l’enfant va voir ?

Une salariée

Mais force est de constater que ceux qui sont présents ne restent pas longtemps. “Toutes les jeunes que je connais sont parties parce que le chef de service ne les a pas accompagnées. Elles se sont senties délaissées et lâchées sur le terrain sans soutien. Comment expliquer aux familles que c’est le 4e psychologue que l’enfant va voir ?“, s’emporte une salariée. “Quand je suis rentrée à la Sauvegarde, il y avait un cadre, on se sentait porté par l’institution“, regrette-t-elle.

Un vrai malaise se dégage des différents témoignages recueillis par Marsactu au fil des mois. “On a peur de se retrouver comme les hôpitaux, craint une autre assistante sociale. Le temps que passe le chef de service à gérer la liste d’attente et tout ce qui est administratif, c’est du temps en moins pour le reste“. Les rédacteurs de l’audit sont très clairs sur ce point et préconisent de “soutenir les chefs de service dans la gestion de la charge mentale générée par la liste d’attente et des risques psychosociaux en résultant“.

Le document pointe également des “conditions matérielles de travail inadaptées pour des antennes marseillaises“. Actuellement, par exemple, l’antenne Nord n’a pas de locaux.

La responsabilité du département

Si la situation à Sauvegarde 13 est alarmante, elle n’est qu’une illustration de la crise globale du secteur social. Les rédacteurs de l’audit ne manquent pas de s’adresser aux autorités de tutelle, que sont le conseil départemental et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour leur demander “[d’]augmenter les capacités des associations“. Aujourd’hui, les AEMO sont financées par le département à hauteur de 11 millions d’euros par an. Contactée, l’institution n’a pas souhaité s’exprimer “compte tenu des procédures administratives en cours“, à savoir l’inspection de l’IGAS évoquée plus haut.

Est-ce que les moyens sont suffisamment adaptés à l’échelle départementale ? On navigue à vue aujourd’hui. Il vaut mieux être un enfant en danger dans un département plutôt que dans un autre“, fustige pour sa part Stéphane Pianetti, secrétaire du syndicat CGT de la Sauvegarde.

Une crise globale

Plusieurs facteurs expliquent les délais d’attente des mesures AEMO non exécutées. D’abord, le fait qu’elles sont en augmentation. Le nombre de saisines des juges des enfants a augmenté de 23% entre 2018 et 2020 et les magistrats s’inquiètent de cette situation dans un récent article du Monde. Pour Marc Monchaux il y aurait une “sursollicitation des AEMO” et certaines situations ne mériteraient pas d’être judiciarisées. Il souhaiterait voir émerger une “nouvelle forme plus innovante de la mesure judiciaire”, inspirée d’autres départements.

Franck Arnal, le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) Sud-Est, l’une des deux autorités de tutelle de Sauvegarde 13, explique pour sa part cette hausse par le contexte et la difficulté d’obtenir l’adhésion des familles sans passer par la justice. “La crise sanitaire a engendré un repli sur soi, de la précarité et des violences intrafamiliales”.

Il ne faut pas croire que ça règlera le problème de fond. C’est assez grave, il n’y a plus d’éducateurs

Franck Arnal, directeur de la PJJ Sud-Est

Si le secteur social est en crise, c’est aussi parce qu’il manque d’attractivité. Comment ouvrir 600 nouvelles places sans le personnel qui va avec ? Cette inquiétude est partagée par tous. “Il ne faut pas croire que ça règlera le problème de fond. C’est assez grave, il n’y a plus d’éducateurs, souligne Franck Arnal. Il y a des choses qui marchent bien, nos personnels ont besoin d’être revalorisés. Il faut remettre la main au portefeuille”.

Une réunion des acteurs du social prévue en juin

Mais pour l’heure, la situation stagne depuis des mois. Stéphane Pianetti, pour la CGT, dénonce un “déni de justice” concernant la liste d’attente où patientent des centaines d’enfants, mais il tient à souligner que Sauvegarde 13 n’est qu’un “maillon de la chaîne”. “On a besoin d’une actualisation du schéma départemental et d’une autorité qui régule les ordonnances des juges”, appuie-t-il. Depuis près de deux ans, il insiste sur l’urgence d’une “réunion de consensus entre conseil départemental, PJJ et associations pour que l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté”.

Depuis le rendu des conclusions de l’audit, un comité de suivi s’est mis en place entre Sauvegarde 13 et ses autorités de tutelle. Une journée de collaboration est prévue au mois de juin pour “proposer une réflexion d’évolution des pratiques”, précise Marc Monchaux, qui espère y voir des élus.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    Plusieurs questionnements :
    -“Depuis 2019, on aurait dû se mettre au travail“… Ha bon, ils ont fait quoi depuis tout ce temps???
    -“reconnaissant n’avoir jamais demandé de moyens supplémentaires au conseil départemental”… Pour quelles raisons cet attentisme, cet non intervention???
    -“Actuellement l’antenne Nord n’a pas de locaux”… Alors que c’est le territoire qui compte le plus de demandes! Je n’en crois pas mes yeux quand je lis pareille affirmation…
    Surtout cette vérité et triste réalité : l’état et les collectivités se sont outrageusement déchargées sur le secteur associatif, là comme dans d’autres domaines. Exemple : Tous les ministères s’en remettent aux sociétés d’audit et de conseil, faisant fi de leurs hauts fonctionnaires compétents…

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  2. Marie Laure Revest Marie Laure Revest

    En lisant cet article je comprends désormais mieux pourquoi :
    – certains employés font des rapports mensongers, “oublient” ou plutôt choisissent d’oublier de rapporter des faits graves, et font de mauvais copier-coller de rapport, quitte à attribuer la maternité d’enfants inconnus par la famille elle-même,
    – les responsables, Mme Mazelier, M. Roche, M. Monchaux et M. Chapus, pourtant alertés de la situation et des graves conséquences qu’elle engendre, se terrent dans le silence, ignorent les alertes maintes fois formulées, et refusent des rendez-vous pour régler les erreurs commises par leurs employées.
    – les responsables préfèrent faire l’autruche et se moquent des conséquences que leurs mensonges peuvent avoir sur la sécurité de deux enfants.
    – le Président M. Chapus, refuse un rendez-vous en prétextant : “ce ne sont pas mes enfants, ce n’est pas mon problème, faites comme bon vous semble ! De toute façon, moi, je ne suis même pas un professionnel, je suis juste un bénévole !” : quel sens des responsabilités !!!! Et quelle éthique ! Heureusement que ce Monsieur est Président d’une association s’occupant de la Protection de l’enfance …. !!!!

    Et le pire, c’est que la justice confie la vie des familles à ce genre de “professionnels” et se base en toute confiance sur leurs compte rendus ! Effroyable !
    Et tout le monde ferme les yeux, sans aucun scrupule !
    Est-ce qu’il faut attendre qu’un nouveau drame ne se produise pour esquisser un début de changement ? A quand le choix de la prévention plutôt que la gestion du drame ?

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  3. Avicenne Avicenne

    Moi, je voudrais comprendre pourquoi des êtres qui ont 1,2,,3… retirés pour incompétence, peuvent- ils continuer à procréer alors que tous les moyens médicaux sont à disposition et gratuits ?

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