Lamoulère, photographe des quartiers Nord

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le 8 Oct 2012
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Lamoulère, photographe des quartiers Nord
Lamoulère, photographe des quartiers Nord

Lamoulère, photographe des quartiers Nord

Marsactu : Parlez-nous de votre projet photographique Faux-bourgs. Que signifie ce titre ?
Yohanne Lamoulère : J'ai passé trois ans à réaliser ce projet. L'idée du titre m'est venue en découvrant un bouquin photo, Faubourg, décrivant la destruction d'un quartier de Rouen dans les années 80. J'ai trouvé un parallèle avec la mythologie marseillaise selon laquelle la ville est constituée de 111 villages. Les quartiers Nord font partie du tissu urbain, ils constituent à eux seuls des sortes de villages avec, autour, des autoroutes… La notion de bourgade n'est pas adaptée. Il s'agissait davantage de nommer ces entités urbaines, alors que la dénomination de banlieue n'existe pas ici. Pour moi, ce sont quand même des banlieues, mais ici on parle de quartiers Nord. Je me suis concentrée sur les 15e et 16e arrondissements de Marseille qui comptent déjà 100 000 habitants.

Comment avez-vous procédé, vous connaissiez déjà les habitants ?
J'habite moi-même dans ces quartiers ; du coup, j'ai simplement photographié des gens rencontrés en me promenant. Il ne s'agissait pas de réaliser un travail intimiste, je ne suis jamais rentrée dans les logements. Ce sont des photos sur la quotidienneté dans l'espace public. J'ai cherché à rendre compte des pratiques populaires, des usages, qui relèvent d'une certaine forme d'anarchie que je trouve belle. Il n'y a aucune mise-en-scène dans mon travail. On essaie d'imposer un tissu urbain à la population et celle-ci, en réponse, développe d'autres usages. Les riverains passent par d'autres chemins. In fine, il s'agissait de défendre l'idée selon laquelle les quartiers Nord font partie intégrante de Marseille, avec leur maillage bizarre.

Vous avez surtout photographié des jeunes. Est-ce révélateur de la population des quartiers Nord ou est-ce un choix éditorial ?
Ce sont des arrondissements où il y a beaucoup de jeunes. Ce n'est pas spécialement un choix de départ, même si ceux que j'ai le plus photographiés appartiennent à la classe d'âge des 20-35 ans. Je suis peut-être attirée par ces populations… De même, on m'a reproché de n'avoir photographié que des arabes, des noirs et… du béton. Je pense que ce n'est pas vrai. Je n'ai pas de quotas, je prends juste les gens qui m'inspirent. La photographie est guidée par un moment d'empathie. Mais je ne prétends pas non plus faire un travail objectif, je n'ai pas décidé de rendre compte de tous les habitants du 15/16.

Vous avez voulu interroger la mémoire et l'esprit des lieux d'un côté et l'aménagement de la ville de l'autre. Quel est cet esprit alors que l'on dit souvent de ces quartiers qu'ils sont déshumanisés ?
Par "esprit des lieux", j'entends justement l'usage de la population vis-à-vis de ces sites. Il m'a semblé important de le faire dans la mesure où ces quartiers sont mis en danger par la politique de réhabilitation de la ville. Les 15e et 16e arrondissements sont pauvres, et en même temps ils bénéficient de l'une des plus belles vues sur la rade de Marseille. C'est intéressant pour les spéculateurs qui lorgnent en particulier sur le haut de l'Estaque et la cité de la Savine. Et puis avec le projet Euromed 2, certains quartiers vont disparaître dans les deux années à venir – pour moi c'est le cas des Crottes. On va les détruire et reconstruire des logements trop chers pour les habitants que l'on va parquer ailleurs. Parfois il n'est même pas question de reconstruire pour créer des "zones vertes".

Vous ne pensez pas que l'on puisse arranger ces quartiers, qu'une politique d'urbanisation soit une bonne chose ?
Je doute simplement que les belles choses construites soient destinées aux pauvres. Mais attention, je n'ai pas un regard mélancolique pour autant, je ne suis pas non plus dans le "avant c'était mieux et après ce sera terrible". Mon travail est engagé, subjectif et parfaitement assumé. J'ai voulu montrer l'image des quartiers Nord physiquement avant qu'ils disparaissent en l'état. Pour moi ce sont des beaux quartiers ! Les Parisiens auxquels je montre mes photos sont systématiquement étonnés et disent : "C'est vachement vert !"

Est-il encore possible de se dépêtrer de l'image négative accolée à ces quartiers ?
C'est très compliqué de démonter la façon dont on parle de Marseille. Je le sais car je travaille régulièrement pour la presse. Pour les habitants, il est difficile d'aimer son lieu de vie quand on lui casse la gueule tout le temps. C'est le problème du 15/16 aussi, du fait que l'on entende parler à longueur de temps dans les journaux et ailleurs de kalachnikov, de violence, de saleté. Parfois on a pas envie de se relever, on n'a plus envie de faire un effort, surtout le jour où on est plus fragile… Pour moi, l'écueil le plus douloureux est le rejet de l'autre, pas l'insécurité. Mais cela, c'est parce qu'on a construit ces quartiers pour certaines populations. Comment avec un tel système, veut-on que les gens s'acceptent ? L'exemple des Créneaux est flagrant (les riverains ont brûlé un campement de Roms – ndlr). Les habitants, pauvres, les derniers indiens à être restés dedans ont découvert des gens encore plus pauvres qu'eux, les Roms, dans des bidonvilles au pied de leurs habitations. Ils n'ont pas supporté cette image, ce qui explique l'incendie, la violence.

Vous n'avez pas souhaité réunir vos clichés dans un livre. Pourquoi avoir préféré le format des cartes postales ?
Je me suis dit que l'on prenait bien des clichés de la Bonne-Mère, alors pourquoi pas des quartiers Nord ? Il faut assumer son identité. Trop de gens ont terni l'image qu'ils avaient de leur quartier. La difficulté dans ce type de photos, c'est qu'il est bien d'intellectualiser les choses mais le problème reste la visibilité. Les habitants des quartiers Nord ont peu accès à la culture. Avec le support de la carte postale, il est plus facile d'atteindre les gens qu'avec un bouquin. J'ai demandé aux riverains d'écrire un texte sur les images, de raconter ce que cela leur inspirait – mais jamais sur leur propre photo. Je suis aussi en résidence à l'Alhambra et je prévois d'exposer sur la façade extérieure du cinéma en 2013. Au niveau de la visibilité, c'est la même logique. Permettre aux gens des quartiers Nord d'avoir accès à la culture, c'est l'un des enjeux de 2013.

>> Un bel article est consacré au travail de Yohanne Lamoulère dans Le Monde Magazine

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Commentaires

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  1. Aurignacien Aurignacien

    Magnifique expo d’autant plus belles que les 2 principales figures annoncées étaient absentes : Jean Claude & Aurélie…Merci pour le bel article.

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