Ils ne veulent plus jamais être des Sodexo

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le 20 Jan 2016
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Après des semaines de conflit qui ont abouti au licenciement des chauffeurs-livreurs de la Sodexo, la société de restauration collective vient de proposer la réintégration de ceux qui livrent les cantines marseillaises. Trois chauffeurs-livreurs refusent de reprendre leur poste au sein de l'entreprise. Ils racontent leur amertume et le divorce consommé.

Crédit  photos : Julia Rostagni
Crédit photos : Julia Rostagni

Crédit photos : Julia Rostagni

“C’est le conflit le plus tordu, piégeux qui ait jamais existé à Marseille. C’est un océan de n’importe quoi”. Dans les locaux de l’union locale CGT, rue saint-Ferréol, le flot de paroles de Christian Bakali ne tarit pas pour désigner le rocambolesque conflit social de la Sodexo, géant de la restauration collective. Licencié de l’entreprise après y avoir œuvré 38 ans comme chauffeur-livreur, il raconte posément son épreuve aux côtés de deux autres chauffeurs-livreurs également licenciés : Yvon Caprice, délégué syndical CGT et salarié depuis 21 ans et Lionel Hébreu, employé depuis cinq années.

Il y a près de deux mois, la direction de l’entreprise chargée d’assurer les repas des cantines scolaires marseillaises a mis à pied puis licencié 23 chauffeurs livreurs parce qu’ils avaient décidé de poursuivre leur mouvement de grève, malgré la signature d’un protocole d’accord. Leurs revendications : une augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail.

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18 des 23 salariés avaient alors saisi le conseil des Prudhommes en référé. Mais les juges n’avaient pas réussi à se mettre d’accord et la procédure est toujours en cours. Vendredi dernier, coup de théâtre : la direction propose d’en réintégrer onze, s’ils s’engagent à arrêter les poursuites en cours. Parmi ceux qui restent, six refusent de réintégrer l’entreprise pour laquelle ils nourrissent désormais un fort ressentiment.

“Sentiment d’incrédulité”

Le jour de leur mise à pied pour abandon de poste, les trois hommes s’en souviennent encore. “C’était surréaliste, décrit Christian Bakali, 60 ans, entre deux bouffées vaporeuses de cigarette électronique. On ne licencie pas des gens pour trois heures de rébellion. Il y a eu un sentiment d’incrédulité. On s’est dit «ils vont au bluff pour casser le mouvement»”. “C’est une mascarade, on se pince”, ajoute le jeune Lionel Hébreu, 34 ans. Surtout que les revendications – 200 euros de plus sur des salaires allant de 1164 euros net à 1768 euros – ne leur semblent pas excessives.

Dans les jours qui suivent, la communication de la Sodexo achève d’affliger les salariés. L’entreprise désigne les chauffeurs-livreurs comme seuls responsables de l’enlisement du conflit au mépris du bien-être des écoliers. Ils ne cessent de rappeler leur “conscience professionnelle”. “Nous avons pris soin de retarder la grève au mardi pour que la direction puisse livrer les repas lundi et prendre ses dispositions. Nos propres gosses mangent à la cantine”, rappelle Yvon Caprice.

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“Un soulagement pour eux”

Pour les trois grévistes, la proposition de réintégration de la Sodexo survenue à la suite d’une réunion menée en présence de Christian Lurson, directeur des services Ressources humaines du siège parisien, est un clair désaveu de la direction locale par le siège national. Mieux, une reprise en main. “Ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient se passer de gens d’expérience dans le domaine des livraisons et se reposer uniquement sur des intérimaires. La réintégration est un soulagement pour eux”, soutient Christian Bakali. D’après lui, des mouvements d’ampleur impulsés par la CGT en ont accéléré l’issue. Une de ces actions était justement prévue ce mardi à la Défense, à Paris. “La Sodexo a vu que cela montait à tous les étages”, lâche-t-il.

Plus encore, la portée médiatique, aussi bien locale que nationale aurait contribué à ce revirement inattendu. “La direction ne s’y attendait pas. En même temps, c’est innommable ce qu’ils ont fait à des pères de famille”, glisse timidement Lionel Hébreu. À plusieurs reprises, raconte Yvon Caprice, “la Sodexo a proposé de nous payer si on arrêtait tout et si on disparaissait”. Les grévistes refusent. “Les chauffeurs-livreurs ont la réputation d’être des fortes têtes, alors qu’il n’y a jamais eu de conflit de cette ampleur”, ironise Lionel Hébreu.

Lorsqu’enfin la direction fait sa proposition de réintégration, c’est Christian Bakali qui prévient une partie de ses anciens collègues au téléphone. “Ils étaient soulagés mais ils ne sont pas encore totalement rassurés. Ils le seront quand ils seront réintégrés, le 1er février. Certains acceptent de laisser tomber les procédures parce que deux ans, c’est long…” D’après eux, le conflit les a davantage soudés entre eux, malgré des choix radicalement différents.

“Soyons sérieux”

Les trois hommes conservent en effet trop de rancœur pour accepter de saisir la main jugée tardivement tendue par la Sodexo. “La boîte nous a assez montré qu’elle ne voulait plus de nous, soyons sérieux”, lance le doyen qui se souvient du 16 décembre, jour où les lettres de licenciement ont été reçues. “Surtout, comment expliquer ça à sa famille ?” interroge-t-il. “Mes enfants sont adultes et me confortent dans l’idée que j’ai raison de faire ce que je fais. Ma femme, un peu moins…”, avoue-t-il dans un demi-sourire. Yvon Caprice enchaîne en racontant que son fils de 15 ans a découvert ses difficultés à la télé. “Il me fait confiance, mais c’était plus difficile d’expliquer les choses à ma femme.” Quant à Lionel Hébreu, il ne peut dire la vérité à sa mère.

En dépit de ces difficultés, les trois hommes refusent de transiger. Yvon Caprice lui, en tant que délégué syndical Cgt attend la décision de l’Inspection du travail sur son licenciement. Si la Sodexo est obligée d’accepter sa réintégration, il essaiera de négocier sa sortie. “Ils comptaient sans doute sur l’effet dévastateur des licenciements pour nous mettre à genoux, mais on bouge encore”, affirme-t-il, catégorique. Christian Bakali va réclamer une somme “qui pourrait correspondre au préjudice subi, évalue-t-il. Mais attention, je demanderai juste ce qu’ils me doivent, ni plus, ni moins”.

Quant à Lionel Hébreu, il espère une requalification de son licenciement pour faute lourde, afin de toucher des indemnités chômage et retrouver un poste plus facilement. Les négociations devront se poursuivre dans les quinze prochains jours entre ceux qui ne souhaitent pas être réintégrés et la SodexoCette dernière n’a pas souhaité commenter ces nouveaux rebondissements.

Si les trois hommes plaisantent, se charrient tout au long de l’entretien, “c’est parce qu’il faut conserver son humour”, arguent-ils d’une seule voix. “Il n’empêche qu’on ne peut pas faire l’éponge indéfiniment”, ajoute Christian Bakali, comme un avertissement, tandis qu’Yvon Caprice acquiesce : “Il y a des nuits où on ne dort pas”. Normal, tranche Christian Bakali. “On a ce que la Sodexo n’a pas, un cœur”. 

Retrouvez notre dossier cantines ici

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