"La vraie sécurité passe par la dignité des détenus"
"La vraie sécurité passe par la dignité des détenus"
Marsactu : Cela fait près de vingt ans que des alertes à répétition sont lancées sur l'état déplorable de la prison des Baumettes et, visiblement, la situation n'évolue pas. Pourquoi ?
Jean-Marie Delarue : C'est la question centrale. En effet, en plus d'être indigné par ce que l'on voit, le plus révoltant est la passivité qui règne en la matière depuis 20 ans. Du côté des pouvoirs publics, la question n'est sans doute pas jugée prioritaire. Du côté de l'opinion publique, l'idée est que les personnes détenues sont des criminels qui l'ont bien cherché. A cela je réponds que, d'abord, ces conditions immondes sont aussi partagées par le personnel qui se sent oublié. D'autre part, ce n'est pas la peine d'ajouter à la privation de liberté la crasse, les cafards… Ce n'est écrit nul part dans le code pénal. Les détenus disent eux-même qu'ils purgent leur peine mais ne doivent pas vivre comme des rats pour autant. Et puis les gens se trompent, cette question les concerne. Car la vraie sécurité passe par la dignité des détenus qui vont ensuite être réinsérés dans la société.
La réponse de la garde des sceaux, Christiane Taubira vous satisfait-elle ? Elle évoque notamment l'horizon de 2017 pour l'achèvement de travaux. Cela n'est-il pas trop tard pour une mesure d'urgence ?
On ne peut pas faire les choses du jour au lendemain, il faut apprendre la patience. Mais nous sommes satisfaits sur plusieurs points, comme par exemple, l'idée de recruter un moniteur de sport et trente personnes détenues supplémentaires, embauchées comme auxiliaires pour améliorer les conditions d'hygiène et assurer l'évacuation des ordures ménagères. Tout cela participe d'un bon esprit. En revanche, il y a un point sur lequel nous ne sommes pas du tout satisfaits concernant la reconstruction des Baumettes. Il faut reconstruire le tout. Or, seul le centre pénitentiaire des femmes doit être détruit puis reconstruit pour en faire une maison d'arrêt pour les femmes et une autre pour les hommes. A côté de cela, une maison d'arrêt doit être bâtie à Aix, mais cela ne suffira pas, il faut construire autre chose. Il y a là un paradoxe. Le centre pénitentiaire des femmes est le moins dégradé, c'est là que la vie est la moins épouvantable et c'est pour celui-là qu'il est question de travaux. La maison d'arrêt des hommes (Baumettes 3), l'endroit le plus dégradé de la prison, où quelques toitures seulement vont être réparées, elle, doit subsister. La solution est partielle. Je voudrais obtenir des pouvoirs publics qu'ils s'engagent sur la rénovation de l'ensemble des bâtiments.
Marisol Touraine, la ministre de la santé ne vous a pas encore répondu ?
En tout cas elle n'a pas répondu dans les délais, je ne sais pas si elle compte le faire, alors qu'il y a un risque sanitaire, peut-être un risque d'épidémie aux Baumettes avec les rats, la saleté…
Vous avez reçu le témoignage de détenus, comment s'est passée cette récolte ?
Les détenus provenaient tous du bâtiment A, le plus dégradé, et nous avons assuré plus de 100 entretiens. Nous avons vérifié tous les témoignages de manière contradictoire. Nous avons également reçu des témoignages des personnels qui ont tenu à peu près le même langage que les personnes incarcérées.
Me Philippe Chaudon, un avocat marseillais a appelé l'ensemble de ses confrères à déposer une demande de mise en liberté de la totalité des personnes en détention provisoire aux Baumettes et une demande immédiate de conditionnelle pour les condamnés. Vous le rejoignez là-dessus ?
C'est l'affaire de la justice de se prononcer là-dessus. Quoi qu'il se passe, les pouvoirs publics doivent prendre l'engagement de ne pas en rester là. Ce que je sais, c'est que dans certains cas, les avocats ont obtenu des dédommagements pour leurs clients dans des cas similaires de détention.
Il va y avoir également une grève du personnel de la prison demain. Vos recommandations trouvent un écho important…
Oui, je suis content de savoir que nos préoccupations rejoignent les leurs.
La garde des sceaux Christiane Taubira affirme partir en croisade contre le "tout carcéral". Vous semblez être sur la même longueur d'onde, avec votre positionnement en faveur d'une amnistie pour les courtes peines. Croyez-vous que cette politique et de telles mesures résoudraient une partie des problèmes des Baumettes ?
A coup sûr oui, cela résoudrait ce problème de surpopulation, en dégonflant la population des Baumettes. C'est un premier remède efficace, même si aujourd'hui encore, le problème est loin d'être réglé. Il se trouve qu'après analyse des statistiques, j'ai remarqué qu'en octobre il y avait davantage de détenus qu'en juin.
Dans vos recommandations, vous parlez de la violence sur les cours de promenade. Certains l'expliquent par la présence de détenus issus des quartiers Nord de Marseille aux Baumettes, et de l'importation de leurs trafics en prison. Or vous expliquez qu'en réalité, les quartiers Nord sont peu représentés. Ce sont des préjugés ?
Oui, on entend souvent que la violence reflète la guerre des gangs, importée de ces quartiers. J'étais prêt à le croire. Sauf que j'ai regardé la provenance des détenus – en respectant l'anonymat des personnes – et la majorité des Marseillais détenus viennent du centre ville. La mythologie des quartiers Nord n'est pas la bonne. Ce que l'on retrouve, en revanche, c'est une forme de délinquance liée au grand banditisme où des gens très riches utilisent des gens pauvres pour leurs trafics. Il y a une extrême violence à l'égard tant des personnels que des détenus entre eux, avec des menaces sur les familles à l'extérieur. Il existe un autre fait marquant aux Baumettes : les feux de cellules, provoqués par les détenus eux-mêmes pour qu'on les transfère dans une autre cellule. Ils espèrent ainsi échapper à leur bourreau, dans la mesure où, avec la surpopulation, on ne peut pas les changer facilement de co-détenu, encore moins les isoler.
Toute petite note positive dans vos recommandations, les ateliers culturels des Baumettes, sans cesse menacés de suppression.
Le problème reste que c'est en effet un boulot de miraculé. Les détenus qui en profitent sont trop peu nombreux. C'est un échantillon ridicule. Globalement, il y a un désert d'activité aux Baumettes, avec très peu de travail, de sport, peu de formations professionnelles. L'arbre de l'activité ne doit pas cacher la forêt de l'inactivité. Or on a moins de chance de se réinsérer dans la société sans logement et sans emploi si, en plus, l'on reste démuni aux Baumettes.
Que va t-il se passer maintenant ?
Un rapport va être écrit à partir de ces recommandations et sera transmis en premier lieu au chef d'établissement des Baumettes, puis envoyé aux ministres dans quelques mois. A charge pour eux d'y répondre. Le rapport sera ensuite rendu public.
Commentaires
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ben ouai,
c’est le chtar,on sait pourquoi on y est(j’y ai passé 18 mois)
c’est vrai que c’est un autre monde,mais d’un autre coté la privassion de liberté est tellement bien vecu par la plupart des detenus que si en plus c’etait un 4 etoiles ce serai pas la peine,
deja qu’y a le meilleur bambou de tout marseille,les cantines,une bonne pharmacie(subutex,metadone…etc),le portable,je buvais meme le fly a 11h aux boulles,on va pas avoir le grand luxe en plus,
le but c’est de pas revenir quand meme!
et puis vos photos c’est le batiment des clandos et des SDF ou les arrivants,
et quand on est clando,on est plus confronté a la crasse que se soit dehors ou dedans,
c’est un peu plus propre quand on est casé dans les autres batiments.
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Ricou 24., 6 décembre 2012 à 19:29 min
Pour y avoir passé quelques temps je peux vous dire que ce n était pas la privation de liberté le pire,le pire c était tout le reste.
La liberté est même très chère,on s en rend compte quand on en est privé,on est libre de quoi dehors?A quel prix?
Par contre le reste,tout le reste,ce n est pas normal.
combien d innocents enfermés en préventives?
10 à 15 % qui font partis des dommages collatéraux,des caprices des juges d instruction et de la faiblesse de la chambre d instruction en appel ou encore de assouvissement du juge des libertés sans force et caractère.
Je ne garde pas de mauvais souvenir des surveillants,des pauvres jeunes souvent ,peu payés et avec 80 cellules à surveiller,des nuits et de we de travail en enfilade.
Je garde un mauvais souvenir de la médecin chef,qui n a pas sa place dans ce service public,froide,sans regard,sans état d âme.
Je garde un bon souvenir de compagnons de détentions malgré le tort fait à des victimes malheureuses,c est bizarre de copiner avec un démon,mais en prison c était un copain.
Le plus gros scandale c est les soins,les rats,les cafards,les wc,la douche trois par semaine comme des animaux,pas de coiffeur ,un cour de promenade de 1500 m² en sable et poussières,pour 180 personnes,pas d ombre du tout,des ordures à même le sol.
Je passe sur la violence ,pas la violence des stades ou de l école,non des combats de tueurs ou le vainqueur n est pas le plus fort mais le mieux entouré.
Les parloirs familles c est l enfer pour les parents qui viennent vous voir et eux ils sont innocents.
Très peu de détenus profitent d ordinateurs,de livres,de cours,de sport,de travail,de musique,cela doit être 20 % au mieux.
Pas de retraite pour le travailleur en prison à sa sortie.
Il faudrait que dans chaque cursus de magistrats,avocats compris,il y ait 3 semaines tous les 5 ans en détention.
Passez un we ,un seul dans votre chambre enfermés,en ne sortant que 2 heures dans le jardin,sans douche et vous avez un aperçu de la prison (5 étoiles).
Les deux syndicats majoritaires ne font que nuire au système car peu crédibles et recherchant l effort minima et la complaisance avec leurs adhérents.
Une pensée pour toutes les victimes pour finir,souvent elles aussi malheureuses en silence et sans tribune.
Il faudrait que les victimes puissent parler aux coupables dans certains cas pour soigner les deux,même si la protection de l intérêt général intéresse aussi la Société et est un élément central.
Ricou 24.
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Pourtant Ricou,malgré la description que tu en fais, pour l’avoir vécu,et on ne peut que te croire.
qu’est-ce qui pousse tant et tant de jeunes hommes à connaître l’enfer carcéral?
ou plutôt qu’est-ce qui fait, qu’ils ruinent leurs vies,en ruinant souvent celles de leurs victimes.
L’explication est peut-être dans ta première phrase.
Une autre forme de suicide pour certain, dans une société ou l’individu, doit-être un géant pour éviter ce genre de descente aux enfers.
merci pour ton témoignage très courageux.
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