La Ville met aux enchères des taudis qui attirent autant qu’ils inquiètent

Reportage
le 13 Avr 2022
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Les premières visites des biens municipaux vacants mis aux enchères ont débuté à Marseille. Certains logements attirent les foules avec leur prix très bas. Mais l'insalubrité de ce patrimoine soulève de nombreuses questions.

Première visite des éventuels candidats à l
Première visite des éventuels candidats à l'achat aux enchères d'un bien délabré de la Ville. (Photo : Iounès Disdier)

Première visite des éventuels candidats à l'achat aux enchères d'un bien délabré de la Ville. (Photo : Iounès Disdier)

Oula, c’est quoi ça ? Ça ne donne pas très envie d’entrer” grince Youssef lorsqu’il arrive devant la porte blindée de l’appartement. L’imposante paroi d’acier est une porte anti-squat. Une fois entré, ce n’est guère mieux puisqu’une odeur de renfermé et un papier peint jaunâtre et taché accueillent les visiteurs. Ils sont une trentaine ce mardi 12 avril au matin à tout de même faire la queue patiemment devant le 64 rue de la Joliette (2e) et à monter tour à tour l’escalier qui mène au troisième étage. L’appartement visité ce jour-là fait partie des quatre biens municipaux vacants mis aux enchères depuis fin mars.

Cette expérience vise à trouver une nouvelle destinée à une quarantaine de logements vieillissant détenus par la Ville depuis des dizaines d’années pour diverses raisons (biens vacants laissés sans maître, expropriation réalisée pour constituer une réserve foncière, biens oubliés…). “Nous avons des biens très délabrés qui sont le fruit de plus de vingt ans d’inaction, explique Eric Méry, conseiller municipal au patrimoine et chargé de l’expérimentation. Les gens doivent comprendre dans quel état est ce que l’on a récupéré. C’est aussi l’idée de cette mise aux enchères, en plus de permettre aux Marseillais d’accéder au logement“. Ce T2 de 67 m² est l’un des biens municipaux vacants en meilleur état, explique-t-il, ce qui n’est sûrement pas étranger dans le choix d’ouvrir cette visite à la presse.

logement enchères rue de la joliette 1

Dans cet immeuble de la Joliette, des travaux d’électricité et de propreté sont à prévoir. (Photo : Iounès Disdier)

“Le logement coûte beaucoup trop cher à Marseille”

L’appartement, un T2 dans un quartier en plein embourgeoisement pour une mise à prix initiale de 60.000 €, attire du monde. Les trois autres visites prévues dans le mois sont déjà pleines. Mais beaucoup constatent la vétusté du bien en entrant. Première surprise, le sol en carrelage est recouvert d’un mélange de terre et de poussière grisâtre. “On se croirait à Roland-Garros“, plaisante l’un des visiteurs en frottant sa chaussure sur le sol de la cuisine.

De manière générale, l’ensemble du logement, qui n’a pas été occupé régulièrement depuis 1995, aurait besoin d’un coup de neuf. Le chauffage électrique est d’époque, les prises murales sont arrachées et les murs témoignent du passage de plusieurs infiltrations. “C’est quand même pas trop ça, y a du boulot, remarque Hamid, primo-accédant à la quarantaine passée. Dans la salle de bain, le fond du puits de lumière arrive au niveau de la fenêtre de la salle de bain. Il est plein de détritus, s’il y a une fuite ça inonde l’appartement. Il faudra refaire tout ça“.

Certes le logement est vieux, mais c’est super pour ceux qui cherchent à devenir propriétaire pour la première fois.

Bruno, acquéreur potentiel

Pourtant, ils sont peu à se décourager. La mise aux enchères attire des investisseurs, mais une bonne partie des visiteurs sont plutôt en quête d’un premier logement à acheter. Dans le salon, au-dessus des bouts de scotch marron qui empêchent des pans de papier peint de se décoller, Bruno voit une opportunité. “Certes le logement est vieux, mais c’est super pour ceux qui cherchent à devenir propriétaire pour la première fois“, estime le trentenaire.

La mairie a tenu à ce que la mise aux enchères se fasse selon des conditions précises, en visant en premier lieu les primo-accédants justement. Les éventuels investisseurs ont l’obligation de louer l’appartement aux normes d’un logement social conventionné par l’agence nationale d’aide au logement (9,44 € le m²) s’ils n’ont pas pour projet d’en faire leur résidence principale.

Le faible montant de la mise à prix, qui se base sur le prix des domaines de l’État, attire aussi de nombreux parents venus pour aider leurs enfants à acquérir leur premier logement. “Le logement coûte beaucoup trop cher à Marseille, se plaint Rachid, accompagné de sa fille Sonia, la vingtaine. C’est vraiment exorbitant, là, c’est l’occasion de faire une affaire ! Mais il faudra attendre de voir le prix final, parce qu’il y aura beaucoup de travaux à faire“. Yacine, 31 ans, accompagné de son père, abonde dans ce sens. “On est intéressés, mais c’est clair que le coût des travaux risque de nous dissuader d’acheter, surtout si le prix de vente monte lors de la mise aux enchères“, explique le jeune homme.

Un patrimoine municipal en très mauvais état

Les travaux à réaliser risquent d’être d’autant plus importants que le patrimoine municipal vacant est en très mauvais état. “On a décidé de visiter uniquement cet appartement sur les quatre disponibles. Celui-là est clairement le meilleur ou en tout cas celui qui est dans le moins mauvais état, argumente Christelle, qui cherche à investir. Les autres sont bien trop délabrés, on ne peut vraiment rien en faire“.

Les fiches descriptives des biens mis aux enchères annoncent la couleur. “présence de plomb”, “installations gaz et électricité dangereuses et vétustes”, “très dégradé, travaux de structures à prévoir”, “mauvais état, fuites d’eau”L’ensemble des biens que présente la Ville de Marseille est plutôt de cet acabit. Certaines photos peuvent donner froid dans le dos, notamment celles d’une maisonette du 10e arrondissement.

Enchères toilettes

Les toilettes de la maison de ville du 10e arrondissement mise en vente par la municipalité. (Photo : Agorastore)

Interrogée sur le délabrement de ces biens, la mairie renvoie la balle vers la municipalité précédente. “Lorsque le Printemps Marseillais est arrivé en 2020, nous n’avions pas une bonne idée de l’ensemble du patrimoine de la Ville. L’inventaire finalisé en fin d’année dernière nous a permis de constater un patrimoine diffus en mauvais état, très délabré, qui coûte cher chaque année à la ville en frais de sécurisation et en procédures juridiques lorsque les appartements se retrouvent squattés”, explique Eric Méry.

“Nous ne sommes pas obligés de vendre”

Les travaux sont tellement importants dans certains biens, que le risque existe que les futurs acquéreurs réalisent des travaux cosmétiques pour s’assurer une meilleure rentabilité. La Ville explique avoir pris des précautions pour éviter que les biens mis en vente aillent rejoindre la catégorie taudis. “Un premier tri sera fait par la plateforme avec laquelle on travaille, Agorastore, qui va retenir les dossiers et vérifier à la fois le projet proposé et sa faisabilité, détaille Éric Méry. Enfin, dans un second temps, la Ville évaluera les offres les mieux disantes à travers une commission regroupant à la fois des adjoints compétents et on l’espère des associatifs comme l’Adil 13″, l’agence départementale d’information sur le logement. Enfin, l’élu écarte toute possibilité de voir ces biens finir dans le patrimoine de marchands de sommeil “que nous ne connaissons que trop bien sur Marseille”. 

Si on a le moindre doute, nous ne sommes pas obligés de vendre. On ne veut pas participer au logement insalubre.

Eric Méry, élu au patrimoine

La Ville insiste aussi sur la mise en place de contrôles a posteriori pour constater la réalisation des travaux promis. Une procédure qui s’annonce d’ores et déjà complexe reconnaît l’élu qui se retranche derrière le caractère expérimental de ces enchères : “Le risque zéro n’existe pas. Mais si on a le moindre doute, nous ne sommes pas obligés de vendre. On ne veut pas participer au logement insalubre“. Pas sûr que la masure du 10e avec toiture en tôle et “travaux de structure à prévoir” trouve facilement preneur.

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Commentaires

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  1. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Si le contrôle à posteriori d’exécution des travaux pour sortir ces biens de leur état insalubre est réellement réalisé, j’applaudis. Je veux bien y croire, reste que les outils légaux pour que la Ville ait une capacité de coercition sur l’acquéreur sont réduits : tout (absolument tout) doit être écrit à l’acte de vente, il n’y a pas beaucoup d’autres options.

    Et si ce n’est pas fait, il faudra arrêter de se mentir : on (car c’est le patrimoine des citoyens de cette ville) aura vendu des biens à des marchands de sommeil, une fois encore. Je doute d’ailleurs que tous les visiteurs soient réellement des primo-accédants sincères.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    C’est quand même dingue que les anciens responsables municipaux aient laissé pourrir ces logements. J’avais suivi tous les articles sur le sujet, mais de revoir en photo cette situation…tout en ayant dans les oreilles les grandes phrases de Gaudin sur son action sur “sa ville”…

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  3. Dark Vador Dark Vador

    Evidemment que des margoulins s’introduiront parmi les acheteurs, évidemment que les marchands de sommeil ont plus d’un tour dans leur sac pour endormir la méfiance et acquérir à vil prix pareils biens. Je doute hélas que l’administration municipale ait les moyens de surveiller et d’enquêter sur l’après. Je suis très pessimiste. D’ici quelques temps, de nouveaux scandales de logements insalubres feront la une de la presse, s’il n’y a pas de nouveaux drames… Je comprends que la Ville, très endettée, cherche de nouvelles sources de revenu, mais pas dans ce domaine, surtout pas. Pour quelques milliers d’Euros, ne prenons pas le risque de rejouer “Rue d’Aubagne”…

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  4. Oreo Oreo

    Vendre un logement vétuste à des gens qui s’engagent et ont un budget pour faire des travaux, le principe est très bien et peu fonctionner. Le problème surgit quand le logement en question est dans une copropriété également vétuste, avec des copropriétaires absents ou des marchands de sommeil. Si un redressement de la copropriété n’est pas entrepris simultanément, on envoie les primo-accédants au casse-pipe. Ils vont se retrouver avec des problèmes ingérables sur le dos (fuites, dégradations, délabrement dans les parties communes). Pour mémoire, les immeubles de la rue d’Aubagne se sont effondrés pour des fuites et des infiltrations récurrentes qui ont minés les murs porteurs suite à des décennies d’incurie dans la gestion des parties communes ; avoir un logement refait à neuf dans un tel immeuble n’a évidemment aucun sens.

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  5. GlenRunciter GlenRunciter

    Si la ville veut être sûre que les travaux seront faits il y a une solution simple : les faire elle même avant de les vendre non ?

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