À la Sodexo, la grève qui n’existait pas se durcit
Il y a quinze jours, la direction de la Sodexo, chargée d'assurer les repas des cantines scolaires marseillaises a mis à pied vingt-trois salariés. Cela suite à la poursuite d'un mouvement de grève malgré la signature d'un protocole d'accord. Jeudi, les salariés défendront leur emploi devant le conseil des prud'hommes.
À la Sodexo, la grève qui n’existait pas se durcit
Dans le quartier marseillais de Pont-de-Vivaux (10e), un gardien filtre les entrées devant les grilles fermées de la cuisine centrale de la Sodexo, bloquée par les vingt-trois salariés. Ceux-ci font l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire et n’ont pas le droit de pénétrer dans l’enceinte de l’entreprise de restauration collective. Avec ce blocage, ils entendent poursuivre le mouvement de grève entamé le 23 novembre dernier.
Or, la direction considère cette grève terminée depuis son deuxième jour avec la signature d’un protocole d’accord, portant notamment sur des augmentations. Les 23 salariés concernés font l’objet d’une procédure de licenciement qu’ils contestent à la fois devant les prud’hommes, en référé ce jeudi, et par ce blocage matinal.
Pourtant, aux dires de la direction de la Sodexo, qui assure quotidiennement la livraison de 45 000 repas aux écoliers marseillais, tout était censé rentrer dans l’ordre cette semaine (lire notre article). Les repas réchauffés ou bricolés devaient cesser ce lundi. Mais la poursuite de la lutte des 23 salariés menacés fait durer le conflit et les difficultés de livraison. “Nous livrons les écoles à partir de 6 heures et le blocage a commencé à 7 heures, affirme Éric Gardet, le directeur régional éducation Sodexo. Seules 87 écoles n’ont pas pu être livrées [ce mardi matin – ndlr]. 11 000 enfants ont donc eu un repas de substitution”. Pour la direction, ces 23 employés dont 18 chauffeurs sont coupables “d’abandon de poste”. Pour ces derniers, il s’agit de défendre le droit de grève et leurs revendications.
“Des camions de 2,5 tonnes”
Celles-ci portent principalement sur les conditions de travail. “Nous devons assurer quotidiennement le chargement et déchargement de 2,5 tonnes de repas. Les chauffeurs s’arrêtent régulièrement pour des maux de dos”, témoigne un salarié*. À ce propos, il ouvre la portière du camion et pointe une inscription sur la carrosserie : les camions sont censés supporter des charges de 635 kg maximum. Du côté de la direction, on conteste ces chiffres : “Nous n’avons même pas de balance”. En revanche, Eric Gardet admet que des efforts sont faits sur “le chargement et la réorganisation des tournées”.
La raison de ces conditions difficiles ? “Il n’y a pas assez de camions ni de chauffeurs. Depuis 20 ans, ils effectuent un seul voyage pour livrer les cantines quand il en faudrait deux. D’ailleurs, la direction n’a pas seulement remplacé les vingt-trois chauffeurs manquants, elle a embauché dix intérimaires en plus. Et depuis le début de la grève, la livraison s’effectue en deux fois après réapprovisionnement”, complète Thierry Grunhut, cuisinier dans une antenne de Montpellier et délégué syndical CGT régional, venu soutenir ses collègues aux côtés de la CGT Sodexo Sud-Est, l’UD CGT des Bouches-du-Rhône, UL CGT Centre-Ville, Saint Lazare, Timone et Nord de Marseille. Cependant, souligne la direction qui remet en cause le mouvement, le protocole d’accord signé dès le 24 novembre a été approuvé par sept délégués du personnel dont trois de la CGT.
“Travailler à flux tendu”
Massés devant les camions dont le slogan d’entreprise – “faire de chaque jour un jour meilleur” – pourrait passer pour une provocation, les voix se délient sans mal, laissant transparaitre un réel mal-être. “Une économie est faite sur le personnel et le matériel. On travaille à flux tendu. La Sodexo joue avec la sécurité. Ce serait le petit épicier du coin qui ferait ses magouilles… passe encore. Mais là c’est une grosse entreprise qui fait des bénéfices !” s’insurge un chauffeur, en CDI depuis quatre ans. Comme ses collègues, il embauche tous les jours vers 5 h du matin et livre onze écoles dans les 14e, 15 et 16e arrondissements. Convoqué à un entretien préalable à licenciement, il a refusé comme les autres de s’y rendre. “Jamais de la vie”, souffle-t-il.
Les revendications portent aussi sur les salaires, jugés insuffisants. 1420 euros brut pour les chauffeurs – soit le SMIC – une prime d’ancienneté de 300 euros environ sans compter les heures sup’ non payées d’après leurs dires. La direction a concédé une augmentation comprise entre 60 de 100 euros au lieu des 200 demandés. “Il y en a qui travaillent ici depuis plus de trente ans et ils ont ce salaire de base”, poursuit Alain Epert, délégué syndical régional venu d’Avignon.
Le téléphone sonne, le jeune chauffeur qui a témoigné discute quelques instants et lance à ses camarades rassemblés : “C’est ma femme, elle est cantinière. Il paraît que certaines cantinières et des tatas vont nous soutenir. Il va y avoir des mouvements dans des écoles”. Une information que nous n’avons pas pu recouper auprès des organisations syndicales. À travers plusieurs communiqués, les associations et syndicats de parents d’élèves tel que le MPE13 ont eux aussi déploré l’impact du conflit sur les enfants tout en soulignant leur soutien aux chauffeurs.
Chiens de garde
C’est l’attitude qualifiée de “brutale” de la direction qui atteint le plus les salariés. “Pourquoi a-t-elle mis en place des chiens de garde et refuse-t-elle de rencontrer les grévistes ?”, interroge Thierry Grunhut. Un chauffeur plus âgé, le visage marqué par l’angoisse s’avance. “Et dire qu’il y a quinze jours, j’ai reçu la médaille du travail [pour l’ancienneté – ndlr]”, ironise-t-il. Du côté de la direction, on souligne que les entretiens préalables sont justement le moment où les salariés peuvent s’expliquer avec leur employeur et on regrette qu’un seul salarié se soit présenté pour l’instant.
Bonnet enfoncé sur le visage, un chauffeur qui travaille là depuis 38 ans ne mâche pas ses mots : “C’est inédit et historique. La direction transgresse les lois, ferme la porte au dialogue et fait peur aux salariés en appliquant des mesures dignes d’une république bananière”. Sur les 23 salariés, 19 ont décidé de saisir la justice prud’homale. “Les autres n’ont sans doute pas osé”, suppute un gréviste.
Alertée par leur avocat, l’inspection du travail n’a pour l’heure pas donné suite. Maître Steve Doudet rappelle pourtant que le droit de grève appartient à chaque salarié, pour peu qu’existe une démarche collective – même minoritaire – et qu’il ne s’arrête pas à un protocole d’accord. “Je n’ai jamais vu un employeur réagir de manière aussi brutale. C’est un retour au 19e siècle. Ces mises à pied appliquées au motif d’un soi-disant abandon de poste ne sont qu’un subterfuge grossier pour dissimuler une atteinte au droit de grève”, explique-t-il. Et de rappeler que le respect du droit de grève interdit justement de remplacer les salariés grévistes… “Aujourd’hui, les salariés se retrouvent sans salaires et sont sur le point de perdre leurs emplois. C’est dramatique. La justice et les pouvoirs publics ne peuvent rester sans réagir”. Jeudi, l’audience devant les prud’hommes sera décisive. L’occasion peut-être pour les salariés de faire entendre leur voix.
* Marsactu a souhaité respecter l’anonymat des salariés non syndiqués.
Articles liés
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Sodexo a obtenu pour 7 ans le monopole de l’approvisionnement des écoles de la ville de Marseille – naguère partagé en deux lots. Il serait intéressant de savoir si le contrat contient des clauses sociales… Il arrive que certaines collectivités y tiennent – mais je ne me fais pas trop d’illusions, tout de même, sur la sensibilité de la municipalité Gaudin à ce “détail”.
Travailler avec de l’argent public implique certes la plus grande rigueur de gestion. Mais il y a une différence entre la rigueur de gestion et le moins-disant social : visiblement, les salariés de cette entreprise sont priés de n’être pas trop exigeants, ni en ce qui concerne les salaires, ni en ce qui concerne les conditions de travail…
Se connecter pour écrire un commentaire.