La saga sans fin des Habeilles, premier projet d’habitat participatif marseillais
Après une longue gestation de quatorze ans, Les Habeilles espèrent bientôt intégrer leur ruche dans le quartier de Saint-Mauront. Les 25 membres du collectif essuient les plâtres du concept d’habitat participatif en locatif social et se heurtent à de nombreuses déconfitures. Ils comptent bien se rattraper sur la manière de vivre et de faire vivre ce lieu pensé pour être ouvert sur le quartier.
L'immeuble des "Habeilles", à l'angle des rues Jouven et Jullien (3e). (Photo : Myriam Léon)
Posé à l’angle des rues Jouven et Jullien, le bâtiment détonne avec sa forme cubique et sa petite maison juchée sur son toit plat, comme une cerise sur un gâteau. À sa gauche vers le boulevard National, un parfait exemple de l’habitat dégradé, voire menaçant, du quartier Saint-Mauront ; à sa droite vers la rue Félix-Pyat, un hangar vestige du passé industriel de ce faubourg marseillais, puis la maison pour tous inaugurée en 2011. En face, les 11 000 mètres carrés de bureaux du groupe Orange. Drôle d’endroit pour construire une utopie… et pourtant.
Si, en ce mois d’octobre, seul un gardien semble s’ennuyer ferme à l’ombre des coursives, le cube au bardage cuivré se destine à abriter une nouvelle manière d’habiter. Premier projet d’habitat participatif à Marseille, l’immeuble du 12 rue Jullien est le fruit d’une longue gestation initiée en 2010 par un groupe de citoyens : les Habeilles.
Ce 13 octobre 2024, non loin de leurs futures habitations, une partie de l’essaim se réunit pour une énième plénière. Ce rituel bimensuel autour de la construction d’un immeuble a permis au groupe de se souder dans une solidarité déjà effective. S’ils n’habitent pas encore ensemble, ils partagent déjà leur vie.
Cela se traduit très concrètement quand, aux prises avec une maladie invalidante, Elsa Zeller se voit retirer la garde de son fils âgé de six ans. Pour éviter un placement traumatisant, un couple d’Habeilles se propose d’accueillir l’enfant en tant que famille tiers de confiance. Parents de deux filles, Dominique Damo et Monika Smiechowska se retrouvent avec trois enfants depuis plus d’un an.
Le collectif apporte une réponse à mon isolement.
Elsa
“Le collectif apporte une réponse à mon isolement, raconte la maman solo qui vit entre Malpassé et Frais-Vallon, Habeille depuis 2019. Pour moi, l’adhésion à ce groupe est thérapeutique, même si la communication n’est pas toujours facile, vu qu’on est tous très différents, il faut apprendre à trouver le consensus.” Aujourd’hui pourtant, même autour d’un gâteau au chocolat, l’usure se fait sentir. Lors de leur dernière rencontre, leur espoir d’emménager avant Noël a été une nouvelle fois douché. Le maître d’ouvrage parle désormais de février 2025. Or, débutés en septembre 2020, les travaux devaient aboutir en 2022.
Citoyens moteurs à 100 %
Depuis quatorze ans, le collectif des Habeilles se construit dans l’adversité, avec de nombreuses déconvenues, mais aussi des réussites qui alimentent le rêve. “Ce projet est à 100 % initié par les habitants, nous avons obtenu le permis de construire avant de trouver un bailleur social pour la maitrise d’ouvrage, souligne Dominique Damo, 61 ans, Habeille depuis janvier 2014. Pour nous, c’est une nécessité, la seule chance d’habiter un jour un logement décent, pour un coût décent. En citoyens moteurs, on s’est mis ensemble pour surmonter tous les obstacles et montrer que c’est possible.”
Au fil de ce parcours du combattant, le collectif a évolué, splitté, appris à se réinventer, pour finalement constituer un noyau dur capable de transmettre des valeurs, une dynamique et… une détermination. Et il aura fallu être “déter” pour inventer un habitat collectif populaire, en totale rupture avec l’image d’une classe moyenne militante cherchant à accéder à la propriété autrement. Les Habeilles constituent une ruche hétérogène mêlant cinq nationalités, dont deux descendants de héros de l’indépendance des Comores et de l’Indonésie. Intellectuels précaires, femmes de ménage, retraités… ils ont en commun des revenus modestes et le mal-logement.
Chacun chez soi, mais ensemble, commet ça marche ?L’habitat participatif met l’habitant au cœur de la démarche de réflexion, de production et de gestion de son habitat. Il s’appuie sur trois piliers : un collectif porteur du projet d’habitat, des espaces communs (chambres d’amis, buanderie, salon, atelier, rangements…) et une gestion collective. Le concept a d’abord séduit une classe moyenne militante désireuse d’accéder à la propriété différemment. En mobilisant des personnes aux revenus trop modestes pour acheter, le projet des Habeilles a la spécificité d’être entièrement voué au locatif social. Une première scrutée de près par l’association Habitat participatif France, qui souhaite développer l’habitat participatif populaire dans les quartiers prioritaires de la ville.
“J’ai découvert le projet en déposant mes enfants au centre de loisirs à la maison pour tous rue Félix-Pyat, rembobine Miryam Benali, 44 ans, Habeille depuis 2014. Je voyais souvent Jamil assis là, je lui ai demandé pourquoi. Il m’a raconté les Habeilles. J’ai été intéressée par le métissage, le développement pour le quartier et l’idée d’entraide entre voisins. En 2015, j’ai traversé de grandes difficultés, c’est les Habeilles qui m’ont soutenue, c’est ça qu’on cherche à transférer au quartier, pour que les personnes ne se replient pas sur elles-mêmes. À la première pierre, on avait des étoiles dans les yeux, depuis ça avance, puis ça recule. C’est long, mais quand on sème une graine, il faut patienter pour cueillir le fruit ; couper maintenant, ce serait rater quelque chose.”
Faire avec les gens, c’est le surgissement de la vie dans la bureaucratie et ça coince.
Anne-Marie
En attendant, la femme de ménage s’épuise à courir dans tout Marseille pour pouvoir sortir les 1000 euros de loyer avec les charges pour son T3 insalubre, et élever ses trois fils de 8, 14 et 17 ans. “J’aimerais participer plus au collectif, mais ma famille a besoin de pain. Quand on sera dans le même immeuble, ça simplifiera tout.”
Faute d’apport financier des habitants, le projet s’oriente vers le locatif social avec l’intégralité des douze appartements en loyers sociaux et très sociaux, avec un T1 réservé pour un bénéficiaire de l’association Habitat alternatif social en intermédiation locative. Un bailleur social doit donc devenir maître d’ouvrage et accepter de travailler avec ces maîtres d’usage organisés. Un premier, Pact 13, jette l’éponge. En 2016, Grand Delta Habitat reprend le bébé… et le trouve bien turbulent. “Au début, tout le monde adore le projet, on se dit qu’on va apprendre ensemble, mais dès que ça devient concret, c’est plus compliqué, constate Anne-Marie Guglielmi, 65 ans, professionnelle des montages en locatif social, Habeille depuis 2012. Je trouve passionnant de partager la vie de ce collectif et de voir l’inscription du citoyen dans le process du logement social. Mais ça n’a rien d’évident. Faire avec les gens, c’est le surgissement de la vie dans la bureaucratie et ça coince.” Même si la retraitée n’envisage pas de devenir habitante, elle met ses compétences au service du collectif et forme ses membres aux aspects juridiques et financiers du projet.
Maître d’ouvrage VS maîtres d’usage
L’habitat participatif a pour principe de partager des espaces. Répondant à des problématiques d’individualisme et d’isolement en favorisant l’entraide au quotidien, cet aspect innovant attire les soutiens et les financements, publics et privés (voir encadré), notamment de la Fondation Abbé Pierre. Mais consacrer 31 % de surface à des espaces collectifs (buanderie, rangements, chambres d’amis, terrasse et séjour sur le toit, salle polyvalente ouverte au quartier au rez-de-chaussée), ça représente pour le bailleur social 214 mètres carrés qui échappent à la location. Pour maîtriser les coûts, Grand Delta Habitat gomme l’ambition environnementale initiale des habitants. Le béton remplace les caissons bois-paille, il n’y a plus de panneau solaire et un chauffage individuel au gaz se substitue à une pompe à chaleur collective… Les Habeilles renoncent à l’écologie pour préserver l’aspect très social, les espaces communs et l’ouverture sur le quartier.
“La salle polyvalente tournée sur le quartier m’importe beaucoup, je veux que ça devienne un espace de co-construction avec les habitants du quartier, insiste Monika Smiechowska, 46 ans, Habeille depuis 2014. Au départ, c’est la construction du collectif qui me motive, l’envie de vivre ensemble différemment. En tant qu’habitante de la Belle de Mai, je développe un projet artistique ancré sur un territoire où les gens sont majoritairement pauvres et immigrés. Grâce aux Habeilles, j’ai pu rencontrer des interlocuteurs et trouver la force de rêver avec les autres pour transformer le monde. Dans ce collectif, il y a des bac +5 et des bac -5, mais beaucoup de richesse, on apprend les uns des autres de la diversité de nos parcours. Reste à faire l’éducation du bailleur social dont les cadres adoptent une position haute, parce qu’on a un accent et que nous sommes éligibles au logement social.”
L’immeuble des Habeilles veut devenir un lieu d’expérimentation. À ce titre, il obtient des financements, mais aussi un statut dérogatoire dans sa construction et dans l’attribution des logements puisque qu’il faut être Habeille pour y habiter. Une liste d’attente est même constituée par le groupe. D’autre part, les habitants comptent gérer au maximum les parties communes, dans une logique d’appropriation et de réduction des coûts. Pour ce faire, des conventions restent à signer avec le bailleur social qui, face à des citoyens dans des logiques d’autogestion, peine à sortir de sa zone de confort. De plus, les difficultés s’accumulent dans la construction. Le Covid a freiné le démarrage des travaux, la parcelle située en zone inondable a nécessité des fondations coûteuses, le menuisier se plante dans les mesures des soixante fenêtres ; enfin, à peine construites, les coursives flanchent et nécessitent de nouvelles expertises.
Deuxième famille
“J’ai vu un immeuble de 79 logements se construire en dix-sept mois juste en face de ma boutique, là ça fait quatre ans et on ne sait pas quand ça va finir“, préfère en rire Sadi Ladjali, 62 ans, Habeille depuis 2020. Pourtant, depuis quatre mois, il est sans domicile. “J’ai dû vendre ma pizzeria parce que je ne m’en sortais plus et mon appartement faisait partie du commerce. Je pensais emménager en septembre 2023, du coup mes affaires sont stockées dans ma voiture et je dors chez ma fille, chez des amies… Et j’ai ma deuxième famille, les Habeilles. Au départ, je voyais cette rencontre comme une opportunité, je ne me doutais pas que ça allait tant traîner. Maintenant, c’est une vraie histoire, on est devenus amoureux. On est même partis tous ensemble en week-end avec les enfants.” L’ancien entraineur de foot ne regrette rien, même s’il s’interroge sur la date de l’entrée dans son nouveau chez lui : “Comme je suis musulman, je me dis « mektoub », c’est une histoire de destin.”
Le 15 octobre, veille d’une réunion avec l’ensemble des acteurs du projet, Grand Delta Habitat envoie un mail pour annuler la rencontre où divers sujets devaient être abordés, notamment la signature des conventions de gestion : “Nous rencontrons des difficultés techniques sur l’opération des Habeilles. Nous sommes bloqués entre les avis suspendus du bureau de contrôle et les réponses du bureau d’étude structure. La solution technique envisagée par l’expert n’est pas validée par l’ensemble des intervenants, ce qui empêche la reprise du chantier.” Une froideur bureaucratique qui file le bourdon aux Habeilles. En réponse, le groupe rappelle la situation de chacun de ses membres. À 72 ans, Jean-Claude peine de plus en plus à gravir les cinq étages qui le mènent à son studio de 15 m2 à Noailles. Fatima marche en crabe dans un appartement de 52 m2 où s’entassent ses cinq enfants. Bruno vit chez son père au nord de Bézier. Tous vivent dans un provisoire qui dure et trouvent le temps long. Car l’histoire des Habeilles est faite de pierres, mais surtout de chair.
Commentaires
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Les abitants des habeilles font le buzz.
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Oups…une utopie sans écologie aujourd’hui n’en est plus vraiment une…
J’avoue que l’article est pas très clair, ou alors c’est parce que c’est tellement compliqué que j’y comprend rien: mais c’est quoi le projet de ces habitants?
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l’habitat participatif est une grande et belle idée, qui semble cohérente.
évidemment, plus de panneaux solaires, plus de pompe à chaleur…drôle de choix aujourd’hui pour des immeubles en construction !
on comprend mal ce qui coince ?? le financement, l’administration, des procédures ??
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Les bailleurs sont devenus des promoteurs comme les autres (et en plus à force d’acheter aux promoteurs ils ont perdu beaucoup de leurs capacités et savoir-faire à construire) : comme eux ils sont prêts à faire quelques opérations exceptionnelles à condition de s’y retrouver d’une manière ou d’une autre. Ici ils ont compris que ce ne serait pas le cas. A se demander si l’option chauffage au gaz n’est pas faite pour faire capoter définitivement le projet (2025 = interdiction des chaudières 100 % gaz dans les bâtiments collectifs neufs), qui sera ensuite transformé en logement social “normal”, avec – soyons fous – une priorité aux membres des Habeilles en mesure de payer le loyer.
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compliqué l’économie d’un projet immobilier de taille si réduite… Mais bravo à eux et on espère l’emménagement très bientôt !
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