La “mise à l’abri générale” des SDF est un échec à Marseille
La préfecture et les collectivités tentent d'augmenter les capacités d'hébergement d'urgence pour suivre l'objectif de zéro personne à la rue fixé par le gouvernement en cette période de crise sanitaire. Mais de l'avis général des acteurs associatifs, Marseille "partait de loin", trop loin pour arriver à un résultat rapide.
Un travailleur social en intervention dans les rues de Marseille (Photo : Emilio Guzman)
L'enjeu
À Marseille, face à la pénurie, les sans-abris ne bénéficiaient que de dix jours et devaient ensuite libérer leur place pour un autre. L'arrêt des mises à la rue pose un défi au système.
Le contexte
Sous-dimensionné par rapport à d'autres départements, le dispositif était déjà sollicité par les relogements en hôtels après les évacuations d'immeubles en péril.
Le mot d’ordre était lancé sur Twitter, le 5 novembre, par la ministre du Logement Emmanuelle Wargon : “Mise à l’abri générale” . “Notre objectif, c’est qu’il n’y ait plus de personnes qui le souhaitent qui n’arrivent pas à être hébergées dans cette période de circulation du virus. Et nous mettons tous les moyens nécessaires, je mobilise les préfets de chaque département”, posait-elle lors d’une visite à Paris dans un accueil de jour pour sans-abri. Une volonté transcrite très officiellement dans deux instructions ministérielles, datées du 17 octobre et du 3 novembre. On y lit notamment que les sans-abris doivent pouvoir être hébergés “quel que soit leur statut”, ce qui suppose de mobiliser “autant de places que nécessaire”.
Mais pour l’heure, l’impact de cette annonce reste limité dans les Bouches-du-Rhône. Face à un “manque de place structurel”, on est encore loin de satisfaire toutes les demandes, reconnaît Sylvain Rastoin, directeur de Sara-Logisol, l’association qui gère la plateforme téléphonique 115 pour le compte de la préfecture ainsi que la gestion des places et l’accompagnement social. Priorité est donc accordée aux familles ou aux personnes présentant un facteur de risque face au Covid-19. Pour les autres, l’espoir d’obtenir une place dans les jours qui viennent est quasiment nul. “Soit on essaie de mettre des critères, soit c’est la loterie. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de faire”, défend Sylvain Rastoin. “Je ne dis pas qu’il n’y a personne à la rue et que l’on n’applique pas des critères de vulnérabilité. Mais mercredi, il y avait 75 possibilités d’hébergement”, nuance Henri Carbuccia, directeur adjoint de la direction départementale de la cohésion sociale.
De nouvelles places, majoritairement à l’hôtel
Prioriser face à la pénurie d’hébergement, la pratique s’était déjà institutionnalisée dans le département, comme dans d’autres. “La loi dit que l’accueil doit être inconditionnel, sans critères, et que la continuité de l’hébergement doit être assurée. Mais l’État lui-même ne respecte pas la loi, en particulier dans les Bouches-du-Rhône”, rappelle Florent Houdmon, délégué régional de la fondation Abbé-Pierre. En 2016, Marsactu décrivait le système qui consistait à limiter à dix nuits la durée de la mise à l’abri en hôtels, en appliquant des critères de sélection drastiques lorsque les enveloppes financières sont dépassées.
Depuis le début de la crise sanitaire, le plafond a sauté et “aucune remise à la rue n’a été opérée en juin suite au déconfinement”, soulignait la préfecture dans un “premier bilan” publié le 10 novembre. Au total, le 17 octobre, 727 personnes qui auraient dû être remises à la rue ont pu conserver leur hébergement. “Nous espérons que cela signe le retour à plus de normalité“, commente Florent Houdmon. Mais, dans un dispositif d’hébergement “déjà mis en tension” par les évacuations d’immeubles en péril des deux dernières années, cela reste insuffisant. Au point que les associatifs cherchent des solutions alternatives. “Je ne défends pas du tout ce système du turn over, mais cela permettait au moins de libérer de nouvelles places régulièrement”, poursuit Florent Houdmon. Et ainsi d’offrir un répit à ceux qui appelaient le 115, tout au moins une partie d’entre eux. “La difficulté aujourd’hui c’est que les personnes encore à la rue le sont depuis très longtemps.”
“Cet effet a été légèrement modéré par la hausse importante du nombre de places”, nuance pour sa part Sylvain Rastoin. À la veille du confinement, en mars, le volume était limité à 1476 places (1117 en centres d’hébergements d’urgences pérennes et 359 à l’hôtel). Doublé fin avril pour atteindre 2900 places, il est redescendu à moins de 2000, pour revenir aujourd’hui à près de 2200, soit toujours +48 % par rapport à la normale. “On est loin du compte, parce qu’on part de très loin, mais on ne peut pas dire que l’État n’a rien fait, considère Audrey Garino (PCF), adjointe à la maire de Marseille déléguée à la lutte contre la pauvreté. C’est pour cela que l’on s’engage aussi.”
La Ville a ainsi identifié des bâtiments municipaux permettant d’ouvrir 100 places, dont 60 pour les femmes victimes de violences ou les mères isolées. “Elle met les locaux à disposition et paie les fluides [eau, électricité, chauffage, ndlr], nous payons l’accompagnement social et la sécurisation”, précise Henri Carbuccia depuis la direction départementale de la cohésion sociale. En parallèle, le conseil départemental a voté le financement pour la création d’un centre de 52 places pour les femmes victimes de violences conjugales, lui aussi financé à 50 % par l’État.
“On fait feu de tout bois, revendique le représentant de l’État. On parle beaucoup des nuitées hôtelières mais on travaille beaucoup sur l’extension de la capacité d’hébergement pour avoir des réponses plus satisfaisantes à l’accueil du public. Nous ouvrirons ainsi 60 places au 1er décembre qui bénéficieront plutôt à des hommes isolés, avec des animaux, des problèmes de toxicomanie. On essaie de construire une offre qui permet de répondre à tous types de situation.” Soit au total 212 places nouvelles, présentées comme pérennes.
“On est incapable de savoir de combien de places on a besoin”
Malgré ces efforts, le dispositif ne résistera pas à la comparaison avec ceux déployés dans d’autres départements. Dans le Rhône, pour 1,8 million d’habitants, soit légèrement moins que les 2 millions des Bouches-du-Rhône, 4413 places sont disponibles en temps normal et 1358 supplémentaires sont annoncées pour l’hiver. “Marseille est un territoire qui a été très longtemps mis de côté. Depuis un petit moment l’État s’est bougé, les collectivités aussi un peu, mais on reste à des années-lumières”, souligne Sylvain Rastoin.
“Et si c’est 10 000 places dont on a besoin ?”, interpelle Florent Houdmon. “On est la seule grande ville de France où l’on est incapable, à plusieurs milliers près, de savoir de combien de personnes on parle. Comment peut-on mettre en place une politique dans ces conditions ?”, reconnaît Sylvain Rastoin, qui plaide pour l’organisation d’une “Nuit de la solidarité”. À Paris, et depuis dans d’autres villes, ces opérations visent à mobiliser de nombreux bénévoles sur une nuit donnée pour estimer au mieux le nombre de personnes à la rue. L’idée avait été “envisagée” pour l’été 2020, signale le Henri Carbuccia qui souligne toutefois sa complexité et précise que l’opération n’a pu aboutir à cause de la crise sanitaire.
Pour l’heure, l’évaluation la plus précise est de 14 000 personnes passées par la rue en 2016 à Marseille. “Il y a un vrai problème de connaissance des publics. D’autant plus qu’on parle des gens à la rue, mais quelqu’un qui dort au Petit Séminaire, grand squat qui va être évacué, il est invisible”, note Florent Houdmon. “Est-ce qu’on couvrira toutes les personnes à la rue ? Tout dépend de quoi on parle. La réalité c’est qu’on va essayer d’accueillir le plus grand nombre”, avance Henri Carbuccia.
Même sans être aussi générale qu’annoncée, cette mise à l’abri du deuxième confinement va représenter un défi pour l’État et les collectivités si l’objectif d’une continuité de l’hébergement est maintenu. “On a une grosse inquiétude sur l’après, confie Florent Houdmon. En deux ans, on n’a pas réussi à reloger les délogés. Comment va-t-on pouvoir le faire pour des personnes souvent sans ressources ou aux situations complexes ?” À Sara-Logisol, dont la mission englobe la recherche de cette sortie de l’urgence, Sylvain Rastoin se dit confiant : “le dispositif d’insertion qui peut fonctionner, à condition que les personnes puissent en sortir vers du logement, c’est une chaîne.”
Or, pour ce qui est du logement social, qui représenterait l’aboutissement d’un parcours de mise à l’abri, le parc est, là aussi, loin des besoins et les nouvelles attributions sont en berne depuis le début de la crise sanitaire. “Il y a un temps court et un temps long. Le temps court, c’est le développement de l’hébergement d’urgence et d’autres formes de logement d’insertion. Le temps long, c’est la rénovation immobilière du centre-ville de Marseille”, estime Henri Carbuccia. Deux chantiers de taille.
Actualisation le 24 novembre : le Rhône compte 4413 places d’hébergement d’urgence et non 6657 comme indiqué dans un premier temps. Ce dernier chiffre comprend les logements dit d’insertion.
Commentaires
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Super article( hélas!) mais une fois de plus il faut vous relire : “… en ayant appliquant des critères…”
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Bonjour,
c’est corrigé merci.
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en même temps que l’émotion ,pleine d’espoir, du spot de la fondation Abbé Pierre qui passe sur les écrans actuellement, on a un très bon article documenté sur la situation dans notre département, l’objectif est atteint, on regardera avec sensibilité ses hommes et femmes. Merci Julien Vinzent.
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https://www.fondation-abbe-pierre.fr/nos-publications/communiques-de-presse/seul-peut-aider-ensemble-peut-sauver
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La municipalité n’a t’elle jamais compté les gens à la rue avec son “unique en France” Samu Social ?
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