La mer des Marseillais dans les pas de l'architecte

La mer des Marseillais dans les pas de l'architecte

"Il y en a au moins pour trois heures". Au téléphone, au moment de prendre rendez-vous, Yvann Pluskwa prévient et ne ment pas. Quand il s'agit de parler du littoral marseillais, l'architecte est intarissable. De ce sujet de mémoire de fin d'études soutenu en 2006, il a récemment proposé une version élargie sous le titre Demain Marseille, habiter la ville, habiter la mer, réflexion sur la ville de demain destinée à nourrir le débat à l'approche des élections municipales. Rendez-vous est donc pris pour une balade de bord de mer entre le Vieux-Port et la Corniche. À cet endroit, le littoral se mérite : on y accède le plus souvent par des chemins tortueux. Et pourtant, pour la pêche, la baignade ou le farniente, les Marseillais trouvent là une manière d'assouvir leur passion pour la mer. Un rapport à la mer en danger ?

"Depuis mon enfance, j'ai vu le littoral se désagréger au fil d'aménagements dédaigneux ou peu respectueux de la côte. Du coup, le plaisir de la mer que j'ai connu enfant peu à peu s'étiole". Ce plaisir d'enfance n'est pas celui du sable fin et du rouleau de vagues des plages de Camargue mais du bout de rocher où l'on grimpe en funambule après avoir parfois sauté un muret et dévalé des marches taillées dans un mauvais ciment.

C'est ce littoral fait d'interstices, d'usagers croisés, que l'architecte cherche à améliorer sans trop aménager. Point de départ de cette balade, le square Manouchian, sur le boulevard Livon. Le contre-exemple parfait  de ce que l'architecte  projete : la ronde des bancs est bien ombragée mais la vue – magnifique – sur l'entrée du port est mangée par la végétation au point que le square est plus ouvert vers le bruyant boulevard que vers la mer en contrebas. En lieu et place, Yvann Pluskwa rêve d'une plate-forme minérale qui offre une vue dégagée sur l'entrée du port, le Fort Saint-Jean et le Mucem.

Tandis qu'il remonte le boulevard Livon, l'architecte développe son intention : "On dit souvent que Marseille tourne le dos à la mer. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Au contraire, ils en ont toujours été très proches soit parce qu'ils en tiraient les moyens de subsistance, soit pour le plaisir. On trouve des gravures très anciennes qui attestent de cette réalité. L'historien Marcel Roncayolo insiste sur la forme même en double croissant du littoral qui permet que celui-ci soit visible en totalité quel que soit l'endroit d'où on le regarde. Les gens des quartiers Nord comme des quartiers Sud ont une vue totale sur une morphologie urbaine qui rassemble à partir d'un paysage commun".

Les pas de l'architecte l'amène à dépasser le palais du Pharo "premier monument balnéaire" pour arriver sur la plage des Catalans qui occupe régulièrement la chronique médiatique soit par le filtre des faits-divers, soit par celui de l'opposition à des projets d'urbanisme. Et justement, le projet censé redonner un forme à cette anse sableuse paraît figé.

Déjà, tout au long de ce premier tronçon de corniche, on trouve trace d'aménagements anciens plus ou moins formalisés. Là, une coulure de béton amoindrit la rugosité du sol, ici, c'est un escalier qui a été rapidement façonné. Certains jouent de ces aménagements pour s'octroyer un petit bout d'usage plus ou moins officiel. Jusqu'à l'ancien emplacement des Flots bleus, une grande partie du littoral pourrait bénéficier de nouveaux accès à des lieux de baignade améliorés sans trop d'aménagement "pour ne pas nuire à la naturalité du lieu".

Après le portrait offert à JR où jadis trônait Zidane, on entre dans une nouvelle séquence avec le village de Malmousque. Cet ancien quartier de pêcheurs disposent de nombreux coins de baignades très prisés, notamment des "bobos" du centre-ville, mais aussi des habitués du quartier et des jeunes plongeurs. Ici, les lieux n'ont connu pratiquement aucun aménagement depuis des lustres. Le petit port de Malmousque avait quasiment la même physionomie à la fin des années 30. Et déjà les Marseillais y venaient goûter la culture du bain de rochers.

A la pointe de Malmousque, tout près des locaux de la Légion étrangère, la promenade littorale a été aménagée, devançant les intentions d'Yvann Pluskwa. Bancs en kit façon Corniche, jardinières et  garde-corps conséquents, l'intervention urbaine ne joue pas du registre de la délicatesse, "de la surenchère de l'aménagement à la fois design et sécuritaire". Elle témoigne en tout cas de la volonté de prendre en compte les pratiques existantes.

Plus loin, à l'aplomb du Petit Nice, la plateforme rocheuse n'a subi aucun aménagement. Cela n'empêche pas qu'elle continue d'être fort prisée dès baigneurs. Près du pont de la Fausse-monnaie, un quidam généreux a installé quelques pavages de galets. Son travail se confond avec celui de la nature, exemplaire de ce que l'architecte rêve de faire : accompagner les usages sans bousculer le rapport avec les éléments, créer des transversalités de l'intérieur de la ville vers ces petits coins de paradis balnéaire. Ainsi à l'anse de Maldormé, il rêve d'une coulée verte sous la corniche, depuis le théâtre Silvain jusqu'au bord de mer. 

À quelques mètres encore, au pied de la villa Valmer, un square pour enfants a été aménagé dans les sous-bois. Curieusement, l'accès à la mer a été condamné. À cet endroit, Yvann Pluskwa imagine la même coulée verte depuis le jardin Valmer jusqu'à la mer où les enrochements discrètement aménagés offriraient un nouvel espace de baignade au pied du marégraphe. La balade s'arrête à cette utopie accessible loin des plages Gaston Defferre qui, factices, imitent la nature sans l'égaler. Yvann Pluskwa y rêve d'autres aménagements plus radicaux. Mais c'est déjà une autre histoire.